2014/02/26

Israël et la Palestine dans le monde d'après

Le retrait soudain de la part des U.S.A. de la volonté d'offensive armée sur la Syrie le 10 Septembre 2013 a aussi signé le retrait de l'influence U.S. dans tout le Moyen-Orient. Depuis, ses alliés les plus proches, l'Arabie Saoudite et Israël, se détournent de lui. 
Laurent Fabius avait peu après exigé une refondation des moyens d'études stratégiques pour la politique étrangère de la France. [4]
Les positions du "jeu" au Moyen-Orient se sont depuis déjà déplacées pour accompagner le retrait inévitable des U.S.A.

Le Moyen-Orient constitue en effet une géographie très importante de la politique de voisinage de l'UE. Un retrait d'un soutien fort menace rapidement la stabilité d'un état dans un équilibre très précaire comme Israël, et les répercussions incontrôlables dans cette zone sont à craindre. Par effet d'entraînement les conflits pourraient dépasser les puissances régionales. On l'a vu avec la pression mise par les BRICS dans le conflit en Syrie: le Moyen-Orient est aussi une affaire stratégique pour la politique de voisinage de la Chine et de la Russie, directement au travers de leur allié Iranien.

Si l'UE se désintéressait complètement du Moyen-Orient, le retrait du support américain laisserait en prise directe Israël et l'Iran (avec l'Arabie Saoudite pour attiser les flammes). Ce serait une politique du désastre.

Dans le cas d'Israël, on doit constater qu'un nouvel allié est déjà en place: il s'agit de l'Euroland, c'est à dire en premier lieu du couple franco-allemand. Le service de Mme Ashton est complètement absent, ainsi que le Royaume-Uni. Le terme UE n'est présent dans les discours que comme un raccourci sémantique. Le L.E.A.P. a déjà longuement analysé la nécessaire reconstruction de l'UE autour du noyau Eurolandais. [2]
La co-construction du Moyen-Orient dans le monde d'après la crise représente donc l'acte de naissance d'une politique étrangère visible et affirmée de l'Euroland.

Après la visite de Hollande à Jérusalem ET à Ramallah (Palestine) le 18 novembre 2013 [1], on a en effet assisté à:
  • Merkel à Jérusalem [9], avec une position de soutien équilibrée [6]
  • Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas rencontre Hollande à Paris [7]
  • La représentation diplomatique d'Israël dans certains pays sera assurée par l'Allemagne [8]
Concernant la stabilisation des relations entre Israël et Palestine et les principes de construction d'une paix durable - c'est à dire équilibrée - ceux-ci ont déjà été définis par Franck Biancheri en 2008 [3]. Vous pourrez constater du maintien de leur complète pertinence aujourd'hui. C'est un des avantages quand on réfléchit à une stratégie sur le temps long. 

Israël et la Palestine: la route est longue, mais désormais dans le monde d'après il peut y avoir une route, dès l'instant où les positions sont équilibrées et que l'Europe n'utilise ni boycott, ni soutien à la colonisation [5].

C'est ce même élan d'une politique étrangère Euro-BRICS (mais avec la Pologne, et sans les U.S. ni la Commission Européenne) qu'il faudrait utiliser pour la résolution de la crise en Ukraine. Une partie de cette configuration est déjà en place.

Sources:

2014/02/10

La conjecture de Valéry, de Paul à Paul

Dans sa lettre célèbre La Crise de L'Esprit, (1919) Paul Valéry est loin d’être le premier à parler de l’idée d’Europe.
Mais il est l'un des tous premiers (*) à notre connaissance à parler de l’Esprit européen d’une part, et d’autre part de la « physique intellectuelle et sociale » qui pourrait décrire l’évolution de cet Esprit. Il tire de cette intuition physique une étonnante prédiction pour l’époque, qui pourrait se généraliser sous la forme d’une conjecture (1):
« Je prétendais que l’inégalité si longtemps observée au bénéfice de l’Europe devait par ses propres effets se changer progressivement en inégalité de sens contraire. C’est là ce que je désignais sous le nom ambitieux de théorème fondamental. »
Ce décalage du centre de gravité, historiquement vers l’Ouest puis désormais vers l’Est s’observe bel et bien dans la part respective du PIB mondial.


Valéry veut poser par ce moyen la question encore plus fondamentale du devenir de l’Europe. Il la pose au sortir de la Grande Guerre, et il offre à la réflexion deux facettes :
La première sur la difficulté de créer la paix, et sur le développement d’une nouvelle philosophie européenne engendrée après Hegel et Marx fait l’objet de la première lettre.
La deuxième concerne le repositionnement de l’Europe vis-à-vis de la Grande Asie, face à l’inéluctable retour de balancier de ce que l’on appelle aujourd’hui en géopolitique la puissance, mais – insistons bien sur ce point – que Valéry argumente comme étant la résultante du développement de l’Esprit des peuples.
Valéry avait doublement raison : d’abord par la deuxième Guerre Mondiale et par les conflits « froids » ou régionaux jusqu’à nos jours qui ne sont que des conséquences de mauvaises conditions de paix et d’affrontement direct de mouvements issus d’idéologies post-Hégéliennes, post-Marxistes et post-Kantiennes (Heidegger, Trotsky, Weishaupt, Gentile…). Cette primauté de la lutte a conduit à un siècle de ralentissement intellectuel, accaparé par la dimension marchande et les effondrements humains. Mais il n’a pas réussi à inverser la progression éveillée de l’Esprit à l‘Est, tout au mieux à gagner quelques années.
La crise de l’Esprit européen est toujours une question d’actualité, et le repositionnement de l’Europe vis-à-vis de la Grande Asie se pose avec plus d’acuité que jamais.
 Nous avons choisi de marcher dans la piste esquissée par Valéry : il n’y a pas de destin irrévocable pour l’Europe. Cette liberté de l’Esprit nous permet d’affirmer qu’il n’y a pas de menace que le Peuple européen ne saurait maîtriser. Et c’est bien en cherchant cette liberté qu’on la crée.
Pour une telle recherche, nous avons consacré un thème - et non pas l’ensemble de notre recherche - à la considération des ensembles géopolitiques. Nous étudions par ailleurs l’individu pensant, c’est-à-dire l’Esprit et la Liberté au moyen du personnalisme avec Berdiaeff et Mounier, ainsi que la lutte de la vie personnelle avec la vie sociale, c’est-à-dire la conscience sociale. Nous avons utilisé dans certains travaux une méthode très innovante créée par le L.E.A.P., l’anticipation politique, pour tenter d’élaborer plus efficacement des relations entre le choix individuel, l’évolution de la société, le devenir des peuples. Eclairer le devenir, même d’une vacillante chandelle, vaut mieux que de maudire les ténèbres (2). Cette nouvelle liberté crée une nouvelle zone d’espace que peut parcourir notre intellect. Elle seule peut rendre possible une nouvelle destination, parce que le chemin sera différent.
Nous avons également marqué l’espace des sciences politiques en ajoutant un nouveau minuscule grain de sable au bord du monde - les principes de la Démocratie Agile - là où il n'y avait que l'impossible. Ce grain pourrait un jour devenir rocher ou montagne. C’est un point d’appui, qui a la particularité de s’adapter à la taille du levier que l’on utilisera. Ce levier pourrait servir de forceps permettant d’accoucher (3) d’une nouvelle Renaissance, ou mieux d'un nouveau Moyen-Âge si il est joint avec un renouveau métaphysique.
Il ne tient qu’aux peuples européens de l’utiliser, pour créer une nouvelle différence dans le phénomène démocratique, et prolonger le mouvement de l’Esprit européen. Je crois cet apport également diffusible au sein des autres peuples, bien qu’à des vitesses différentes. L’Europe ne possède qu’une respiration d’avance avec l’expérience initiée par le mouvement 5 étoiles ou d'autres initiatives.
Il ne tient aussi qu’aux Européens, et à leurs organisations commerciales et politiques, de surfer résolument la vague porteuse et d’engager des partenariats stratégiques avec les pays BRICS. Que certains le veuillent ou non, le rôle de la Russie dans cette ambition historique est indépassable. L’Histoire de l’Europe ne peut pas s’écrire sans elle. Elle pourrait s'épuiser en s’écrivant contre elle, pour des décideurs insensibles au vent de l’Histoire, et par des peuples Européens restés aveugles, sourds et muets. Cette crise de l’Esprit Européen se terminerait alors en une satellisation politique, au petit cap du bout du monde que mentionne Valéry.

Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre !
L’air immense ouvre et referme mon livre,

Paul Valéry, Le cimetière marin, 1920.

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(*) [26/01/2018] La version initiale de cet article disait "le premier". Nous corrigeons cet ordre en mentionnant un passage méconnu dans l'ouvrage d'Alexandre Saint-Yves, marquis d'Alveydre : La Mission de L'Inde en Europe - La Mission de l'Europe en Asie (rédigé en 1886, publication originale de manière posthume en 1910, pp. 107-116 et 167-170). Non seulement il fut le premier à décrire précisément la "physique intellectuelle et sociale" (pour reprendre l'expression que Valéry, ignorant l'oeuvre de Saint-Yves d'Alveydre, utilisera plus tard), mais il fut le premier à proposer une solution de rétablissement de l'Occident -la seule et vraie solution- qui sera reprise et développée par Guénon à partir de la publication d'Orient et Occident.
"Depuis un siècle, en Europe, le dégagement des sciences physiques a momentanément noyé dans un déluge de faits précieux mais de nomenclatures barbares, et les plus hautes facultés de l’esprit humain, et son sens synthétique ou religieux, et ses ressouvenirs les plus profonds.
Depuis ce temps aussi, le fil de communication entre l’Agarttha [NDE: comprendre ici l'Orient] et l’Occident est momentanément coupé, car encore une fois le nom de cette grande Université est : Fermée à l’Anarchie !
Européens, rouvrez les communications, croyez-moi, non d’une manière occulte, mais au grand jour. [...]
Si vous ne faites pas la Synarchie, je vois, à un siècle d’échéance, votre civilisation judéo-chrétienne pour toujours éclipsée, votre suprématie brutale pour toujours matée par une renaissance incroyable de l’Asie tout entière, ressuscitée, debout, croyante, savante, armée de pied en cap, et accomplissant sans vous, à votre encontre, les Promesses sociales des Abramides, de Moïse, de Jésus-Christ et de tous les Kabbalistes judéochrétiens.
Et de même que je vous signale le danger pour vous, je vous crie et je vous crierai le remède tant que Dieu m’en laissera la force.
Le remède n’est pas militaire, car à ce jeu vous finirez par instruire militairement, en les frappant, près d’un milliard d’Asiatiques qui vous feront tôt ou tard connaître leur poids.
Le remède n’est pas diplomatique : déjà presque toute l’Asie fait partie de votre Corps diplomatique et, saisie des engrenages de la machine de vos ruses et de vos jalousies mutuelles, elle vous y fera passer un jour, et vous y broyer entre elle et les deux Amériques.
Le remède que je vous propose, vos Livres Sacrés, vos Sciences sociales et l’Histoire universelle à la main, est purement intellectuel, juridique, organique.
C’est la Synarchie, c’est la loi historique de l’Humanité, que je vous ai irréfutablement démontrée dans mes Missions précédentes.
C’est là et non ailleurs qu’est votre sauvegarde, vis-à-vis de vous même et vis-à-vis de l’Asie.
C’est là qu’est votre entente possible avec elle, entente d’intelligences, de consciences et de volontés, à travers vos propres Corps enseignants, juridiques et économiques, c’est-à-dire à travers tous vos prêtres et tous vos maîtres, tous vos gouvernements et toutes vos forces productrices. [...]
Prenez la peine de relire tout ce que j’ai dit dans la Mission des Souverains et dans la Mission des Juifs du rôle politique que la Papauté a été forcée de jouer jusqu’à Pie IX, jusqu’au dernier Concile.
Ce rôle est désormais impossible, et l’évolution de la fonction papale vers un Souverain Pontificat d’Arbitrage purement intellectuel et purement social est certaine, quoique lente.
Vous avez vu jusqu’à présent des papes qui étaient les empereurs romains de leur Église, et cela a eu sa raison d’être temporaire, dans la longue gestation de la civilisation actuelle.
Mais il en est des organes sociaux comme des rouages d’une montre, et si ceux qui correspondent à l’aiguille des minutes marchent vite et d’une manière visible aux yeux, le progrès des autres, quoique insaisissable aux regards, n’en fait pas moins mouvoir l’aiguille de ces heures qui pour les collectivités sont des siècles.
Sans Autorité au-dessus de vous, empereurs et rois d’Europe, ou présidents de républiques, vous êtes voués à la destruction mutuelle de vos Peuples, de vos Pouvoirs et de vos Puissances, ainsi qu’au dualisme, au duel plutôt, des gouvernants et des gouvernés de vos États.
Cette loi fatale d’anarchie et de Mort, dont je vous ai dévoilé toutes les causes secrètes, ne peut pas plus être abrogée par vous que par les révolutionnaires qui tendent à usurper vos sceptres et vos trônes pour substituer des politiciens d’en bas à ceux d’en haut.
Tout Dualisme, quel qu’il soit, ne s’abroge jamais que par l’action du Trinitarisme.
C’est pourquoi il faut qu’au-dessus de vous se dresse une Autorité désarmée de tous moyens violents qui, appuyée sur tous les Corps enseignants de votre Continent, s’abstenant de tout arbitraire dogmatique, ne soit qu’un Arbitrage suprême de vos démêlés mutuels et de vos débats intestins.
Et si je vous conseille de prendre la Papauté comme point culminant et comme axe de cette magistrale évolution, c’est que, si vous ne le faites pas, au lieu d’un Souverain Pontificat européen et chrétien dont vous n’aurez pas voulu, vous en aurez un autre avant un siècle d’ici, mais asiatique et doublé d’une Maîtrise universitaire dont l’Esprit fera certainement la Synthèse intellectuelle et sociale que vous n’aurez été ni dignes de comprendre, ni capables d’accomplir. [...]
Vous n’en voudrez pas ? Vous ne ferez pas cette Synarchie judéochrétienne ? Soit, c’est votre affaire.
Mais pendant que vous vous enfoncerez plus avant dans toutes vos anarchies intellectuelles, politiques et sociales, l’Asie se reconstituera, n’en doutez pas ! dans sa Synarchie primitive, et c’est elle qui, vos deux Testaments à la main, exécutera sans vous, et contre vous au besoin, la Promesse sociale, universelle, qu’ils renferment.
Pourquoi contre vous au besoin ? Parce que si vous ne modifiez pas synarchiquement votre régime colonial, vos colonies asiatiques ou africaines vous échapperont forcément, et pendant que vous continuerez à vous enferrer militairement et économiquement en Europe même dans l’engrenage de l’Anarchie de votre Gouvernement général, la fédération des peuples asiatiques, les Arabes y compris, se resserrera en un seul Corps amphictyonique autour de l’Agarttha. [...]
Admettons que l’aveuglement des hommes d’État et des hommes d’Église, la haine mutuelle des sectes et des partis internationaux ou nationaux empêchent d’advenir ce Souverain Pontificat synarchique, cette reconstitution de toute l’Autorité enseignante, ce Conseil de Justice des États européens, ce Conseil œcuménique de toutes les nations judéochrétiennes.
Admettons que l’hébètement et l’impuissance actuels continuent, et qu’un pareil réveil de la Foi et de la Science, de l’intelligence et du bon sens total de notre Continent soit une impossibilité et une chimère.
Disons que l’Europe actuelle est le meilleur des mondes possibles, que toutes ses anarchies sont le triomphe suprême de la Science et de la Civilisation modernes, que l’abrogation synarchique que j’en indique, les
Textes sacrés et l’Histoire à la main, ne vaut même pas la peine qu’on y songe et qu’on s’en occupe.
Mais alors, faut-il voir face à face les perspectives qui restent ouvertes à l’avenir de l’Europe, si l’on supprime les précédentes ?
Fermons donc le Temple du Règne de Dieu, et continuons à rester au dehors la proie de toutes les fatalités déchaînées par toutes les anarchies.
Tiares, Mitres, Couronnes, Gouvernements, Nationalités, Universités après Églises, Chrétienté après Christianisme, tout continuera à être incessamment la pâture de la destruction, entre les anarchistes d’en haut et ceux d’en bas.
Évêques en tête, en habit noir ou en tenue militaire, l’Europe officielle, aux prises avec elle-même, continuera à mener gaiement, tambours battants, mèches aux canons, le deuil de notre État Social et de sa civilisation.
Mais, pendant ce temps, veuillez jeter un coup d’œil du côté de l’Asie, pour peu que vous ne soyez pas un politicien de hasard, n’ayant pour tout horizon que le bout de votre nez ou de l’intérêt particulier de votre personne ou d’un parti.
À cinquante ans d’échéance, vous verrez l’Asie renaître à l’Esprit de son antique synthèse celtique.
Vous la verrez s’abstenir sagement de toutes vos folies, se délivrer prudemment de vous par vous-même, reconstituer autour de son Souverain Pontife aux sept couronnes l’Alliance synarchique d’il y a cinq mille ans.
Et si persévérant quand même dans le système du Gouvernement général selon l’Ordre de Nemrod, vous continuez encore à vous démembrer mutuellement, vous qui aurez fermé vos oreilles aux doux appels de la Promesse chrétienne, vous serez forcés de les ouvrir aux clairons tonitruants du Jugement dernier.
Les armes à la main, l’Asie vous empêchera de venir la troubler dans son observance de la Loi du Règne de Dieu, et, Chine et Islam en avant, sous la conduite de vos propres instructeurs militaires, elle viendra vous
imposer de mettre votre signature au bas de la Promesse sociale des Abramides, de Moïse et de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que vous aurez repoussée.
Entre ces deux perspectives, je ne crois pas que l’Europe pensante puisse, tôt ou tard, hésiter.
En attendant, je fais des vœux pour qu’entre la Synarchie et l’Anarchie les politiciens essayent de trouver un moyen terme : ils ne trouveront que des atermoiements funestes.
Quant à moi, j’ai terminé mon œuvre et couronné par ce livre mes trois
Missions précédentes.
J’ai fait ce que je devais, advienne que pourra !"

(1) Cette proposition est une conjecture car elle reste non démontrée mathématiquement. Valéry ne l’ignorait pas et il veut ici sans doute renforcer la dimension essentielle de sa proposition. 

(2) Comme le disait Lao-Tseu il y a 2500 ans. 

(3) La crise, c'est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître. (A. Gramsci)

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Liens vers les autres parties du thème l'Esprit Européen :
Partie 1
Partie 2 (cet article)
Partie 3
Partie 4

La Crise de l’Esprit Européen

Le superbe texte de Paul Valéry (La crise de l’Esprit, 1919) présente un contenu très actuel malgré son âge. 
J'en partage ici quelques extraits de la deuxième lettre (1) publiée initialement dans Athenaeum sous le titre The Intellectual Crisis) - moins connue que la première (publiée initialement sous le titre The Spiritual Crisis)Je commente un passage de cette deuxième lettre dans cet autre article.

[…]
*
Une première pensée apparaît. L’idée de culture, d’intelligence, d’œuvres magistrales est pour nous dans une relation très ancienne, — tellement ancienne que nous remontons rarement jusqu’à elle, — avec l’idée d’Europe.
Les autres parties du monde ont eu des civilisations admirables, des poètes du premier ordre, des constructeurs et même des savants. Mais aucune partie du monde n’a possédé cette singulière propriété physique : le plus intense pouvoir émissif uni au plus intense pouvoir absorbant.
Tout est venu à l’Europe et tout en est venu. Ou presque tout.
*
Or, l’heure actuelle comporte cette question capitale : l’Europe va-t-elle garder sa prééminence dans tous les genres ?
L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire : un petit cap du continent asiatique ?
Ou bien l’Europe restera-t-elle ce qu’elle paraît, c’est-à-dire : la partie précieuse de l’univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d’un vaste corps ?
Qu’on me permette, pour faire saisir toute la rigueur de cette alternative, de développer ici une sorte de théorème fondamental.
Considérez un planisphère. Sur ce planisphère, l’ensemble des terres habitables. Cet ensemble se divise en régions et dans chacune de ces régions, une certaine densité de peuple, une certaine qualité des hommes. À chacune de ces régions correspond aussi une richesse naturelle, — un sol plus ou moins fécond, un sous-sol plus ou moins précieux, un territoire plus ou moins irrigué, plus ou moins facile à équiper pour les transports, etc.
Toutes ces caractéristiques permettent de classer à toute époque les régions dont nous parlons, de telle sorte qu’à toute époque, l’état de la terre vivante peut être défini par un système d’inégalités entre les régions habitées de sa surface.
À chaque instant, l’histoire de l’instant suivant dépend de cette inégalité donnée.
Examinons maintenant non pas cette classification théorique, mais la classification qui existait hier encore dans la réalité. Nous apercevons un fait bien remarquable et qui nous est extrêmement familier :
La petite région européenne figure en tête de la classification, depuis des siècles. Malgré sa faible étendue, — et quoique la richesse du sol n’y soit pas extraordinaire, — elle domine le tableau. Par quel miracle ? — Certainement le miracle doit résider dans la qualité de sa population. Cette qualité doit compenser le nombre moindre des hommes, le nombre moindre des milles carrés, le nombre moindre des tonnes de minerai, qui sont assignés à l’Europe. Mettez dans l’un des plateaux d’une balance l’empire des Indes ; dans l’autre, le Royaume-Uni. Regardez : le plateau chargé du poids le plus petit penche!
Voilà une rupture d’équilibre bien extraordinaire. Mais ses conséquences sont plus extraordinaires encore: elles vont nous faire prévoir un changement progressif en sens inverse.
Nous avons suggéré tout à l’heure que la qualité de l’homme devait être le déterminant de la précellence de l’Europe. Je ne puis analyser en détail cette qualité ; mais je trouve par un examen sommaire que l’avidité active, la curiosité ardente et désintéressée, un heureux mélange de l’imagination et de la rigueur logique, un certain scepticisme non pessimiste, un mysticisme non résigné... sont les caractères plus spécifiquement agissants de la Psyché européenne.
*
[…]
Je prétendais que l’inégalité si longtemps observée au bénéfice de l’Europe devait par ses propres effets se changer progressivement en inégalité de sens contraire. C’est là ce que je désignais sous le nom ambitieux de théorème fondamental.
Comment établir cette proposition ? — Je prends le même exemple : celui de la géométrie des Grecs, et je prie le lecteur de considérer à travers les âges les effets de cette discipline. On la voit peu à peu, très lentement, mais très sûrement, prendre une telle autorité que toutes les recherches, toutes les expériences acquises tendent invinciblement à lui emprunter son allure rigoureuse, son économie scrupuleuse de « matière », sa généralité automatique, ses méthodes subtiles, et cette prudence infinie qui lui permet les plus folles hardiesses... La science moderne est née de cette éducation de grand style.
Mais une fois née, une fois éprouvée et récompensée par ses applications matérielles, notre science devenue moyen de puissance, moyen de domination concrète excitant de la richesse, appareil d’exploitation du capital planétaire, — cesse d’être une « fin en soi » et une activité artistique. Le savoir, qui était une valeur de consommation devient une valeur d’échange. L’utilité du savoir fait du savoir une denrée, qui est désirable non plus par quelques amateurs très distingués, mais par Tout le Monde.
Cette denrée, donc, se préparera sous des formes de plus en plus maniables ou comestibles ; elle se distribuera à une clientèle de plus en plus nombreuse ; elle deviendra chose du Commerce, chose enfin qui s’imite et se produit un peu partout.
Résultat : l’inégalité qui existait entre les régions du monde au point de vue des arts mécaniques, des sciences appliquées, des moyens scientifiques de la guerre ou de la paix, — inégalité sur laquelle se fondait la prédominance européenne, — tend à disparaître graduellement.
Donc, la classification des régions habitables du monde tend à devenir telle que la grandeur matérielle, brute, les éléments de statistique, les nombres, — population, superficie, matières premières, — déterminent enfin exclusivement ce classement des compartiments du globe.
Et donc, la balance qui penchait de notre coté, quoique nous paraissions plus légers, commence à nous faire doucement remonter, — comme si nous avions sottement fait passer dans l’autre plateau le mystérieux appoint qui était avec nous. Nous avons étourdiment rendu les forces proportionnelles aux masses !
*
Ce phénomène naissant peut, d’ailleurs, être rapproché de celui qui est observable dans le sein de chaque nation et qui consiste dans la diffusion de la culture, et dans l’accession à la culture de catégories de plus en plus grandes d’individus.
Essayer de prévoir les conséquences de cette diffusion, rechercher si elle doit ou non amener nécessairement une dégradation, ce serait aborder un problème délicieusement compliqué de physique intellectuelle.
Le charme de ce problème, pour l’esprit spéculatif, provient d’abord de sa ressemblance avec le fait physique de la diffusion, — et ensuite du changement brusque de cette ressemblance en différence profonde, dès que le penseur revient à son premier objet, qui est hommes et non molécules.
Une goutte de vin tombée dans l’eau la colore à peine et tend à disparaître, après une rose fumée. Voilà le fait physique. Mais supposez maintenant que, quelque temps après cet évanouissement et ce retour à la limpidité, nous voyions, çà et là, dans ce vase qui semblait redevenu eau pure, se former des gouttes de vin sombre et pur, — quel étonnement...
Ce phénomène de Cana n’est pas impossible dans la physique intellectuelle et sociale. On parle alors du génie et on l’oppose à la diffusion.
*
Tout à l’heure, nous considérions une curieuse balance qui se mouvait en sens inverse de la pesanteur. Nous regardons à présent un système liquide passer, comme spontanément, de l’homogène à l’hétérogène, du mélange intime à la séparation nette... Ce sont ces images paradoxales qui donnent la représentation la plus simple et la plus pratique du rôle dans le Monde de ce qu'on appelle, — depuis cinq ou dix mille ans, — Esprit.
*
Mais l’Esprit européen — ou du moins ce qu’il contient de plus précieux — est-il totalement diffusible ? Le phénomène de la mise en exploitation du globe, le phénomène de l’égalisation des techniques et le phénomène démocratique, qui font prévoir une deminutio capitis de l’Europe, doivent-ils être pris comme décisions absolues du destin ? Ou avons-nous quelque liberté contre cette menaçante conjuration des choses ?
C’est peut-être en cherchant cette liberté qu’on la crée. Mais pour une telle recherche, il faut abandonner pour un temps la considération des ensembles, et étudier dans l’individu pensant, la lutte de la vie personnelle avec la vie sociale.
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(1) Nous avons tronqué une partie mineure du texte où l’auteur prend pour exemple l’invention de la géométrie par les Grecs, ajoutant que « ni les Égyptiens, ni les Chinois, ni les Chaldéens, ni les Indiens n’y sont parvenus ». Nous partageons bien évidemment l’importance civilisationnelle du développement de la géométrie, mais nous savons depuis lors que la géométrie - et des approches très semblables au théorème de Pythagore que cite Valéry - a bel et bien été inventée indépendamment par les peuples Egyptien, Indien, Chinois, Babylonien.

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Liens vers les autres parties du thème l'Esprit Européen :
Partie 1 (cet article)

2014/01/12

Cover up that MINT, which I can’t endure to look on

 The BRICS are a very concrete and current example that the economy is actually only a facet or a mask artificially stuck on politics. The rhetoric that carries each of them is however built on the opposite. Let’s summarize the approaches and see how and why the acronym MINT (Mexico Indonesia Nigeria Turkey) is trying to emerge today, together with BRICS bashing.
An economist looks in the rear mirror (that is to say in the past) at quantifiable results from “economic actors” therefore reduced to a brief quantification, then sets up what he deems to be a representative image of some salient aspects and uses elements of a doxai so that he can draw his conclusions on the assessment of the moment. If he dares then to talk about the future, it is in order to point out the economic policies which should according to him be deployed as a consequence of this assessment, and of the principles arising from his doxai.
[...]
You can read the full article on Euro-BRICS web site.

2014/01/11

Le retour de l’or, MINTenant

Les pays BRICS sont une illustration très concrète et actuelle que l’économie n’est en réalité qu’une facette ou un masque artificiellement apposé sur la politique. Les discours qui les portent sont pourtant construits à l’opposé. Résumons les approches et voyons comment et pourquoi l'acronyme des pays MINT (Mexique – Indonésie – Nigéria – Turquie) tente d’émerger aujourd’hui, en opposition aux BRICS.

Un économiste regarde dans le rétroviseur (c’est-à-dire dans le passé) les résultats quantifiables « d’acteurs économiques » ainsi réduits à une quantification sommaire, établit ce qu’il juge être une image chiffrée représentative de quelques aspects saillants, et utilise des éléments d’une doxa pour produire ses conclusions sur le bilan de l’instant. Si il ose ensuite parler du futur, c’est pour mettre en avant des politiques économiques qu’il faudrait selon lui déployer en conséquence de ce bilan, et des principes issus de sa doxa.
[...]

Je vous recommande de lire la suite de cet article sur le site Euro-BRICS.

2014/01/06

Who could protect JPMorgan bankers and owners?

The endgame is unfolding, as all the persons interested in the gold market now know.
The return of gold as the central asset in the coming new international monetary system is certain.
We have already proposed a method in order to anticipate the next big move.

The current powers are massively accumulating gold, benefiting or causing gold price suppression. We can observe very different strategies among them:
  • BRICS countries, and China in particular, are adding gold into their official monetary reserves but also are officially and strongly encouraging their people to buy and own gold (and see here: even if a simple gold-backed yuan is not the solution to successfully reform the international monetary system, this report is a point in favor of the strongest interest in gold from BRICS governments)
  • The U.S. and U.K. countries (central banks, bullion banks) are publicly discouraging the people to own or buy gold and Bernanke couldn't even remember the reason why the Fed managed gold reserves; but since 2008 and much more since last year JPMorgan has built a strong position in the gold market (as a bullion bank), and is accumulating it at high volume
  • Euroland countries are in a middle position: not publicly advocating gold, not discouraging it; but ECB and european central banks are buying it again, and/or stopped gold leasing (and see here)
You might ask what will happen after the next big move: the new monetary power will be shared between the main gold owners, according to their stocks or geopolitical alliance, and BIS status will be redefined; yes, but then?

I'm wondering what could happen then in the U.S., a state where this next big move will inevitably signal a new era to the society currently in such a difficult and politically dangerous position. Wall Street's Banks' gold will attract the american people's attention, desire and violence.

The best solution for the US people would be to open the Mint and to rebuild a new gold system based on the New Austrian School of Economics' detailed recommendations. But don't hold your breath: this would mean for the US bankers to share power with the people, and they are not individuals of this kind. They will not give this gift unless a new state is proclaimed because they are scared of losing their favoured position. Remember: gold means liberty.

The remaining solution would then be to augment the fascist trends, i.e. to make even closer JPMorgan (and the TBTF banks) and the police state, in deploying a permanent and official protection by the state for these bankers and/or by allowing them to create their own militia.

But we could also think further: JPMorgan could officially merge with the state, to emerge from the deep state and to become a visible part of the new state. Mainly, it could replace or merge with the US Treasury, whose (remaining) gold is currently managed by the Fed. 
The protection of the previous private bankers, then civil servants of the state, and of the newly joint gold reserve would be obviously required, but more easily claimed as a 'usual' protection by the state against the ruled ones.

2014/01/05

Le point d'arrêt de la pensée unique de l'Occident


Quel est le point commun fondamental entre les prises de position sur les événements actuels aux USA de Noam Chomsky qui se revendique comme anarcho-syndicaliste, de la direction du Monde Diplomatique et des grands médias occidentaux en général (des représentants de tout le spectre politique politiquement correct) et de tous ceux qui se déclarent en faveur de l'appareil sécuritaire d'oppression américain que l'on peut aisément qualifier comme étant typique d'une idéologie extrême (-droite en l’occurrence)?

Je pense qu'il s'agit d'une attitude sociale qui se développe vis-à-vis de l'indépendance de la pensée, ou de la liberté de l'esprit. Ces dernières trouvent leur opposé sous le terme de pensée unique c'est à dire d'une subordination de la pensée, d'un lien de soumission intellectuelle à une obédience quelconque, d'une oblitération de la capacité d'esprit critique, qui est bien imagée par l'expression: accepter de ne voir qu'avec les œillères que l'on se donne.

Cette altération de la psychologie de l'individu plongé dans un corps social traverse toutes les limites des idéologies politiques, et tend à uniformiser les comportements ou les réponses des acteurs. Dans les pays développés, les électeurs ont intuitivement conscience de ce problème de la représentativité politique dans nos démocraties. Le moment est venu de la réformer, nous indique The Economist.

Toutes les idéologies politiques actuelles se sont construites et développées contre le marxisme: soit en s'appuyant contre lui, soit en opposition étroite face à lui. Nécessairement, elles sont donc profondément imprégnées de la structuration de la réalité sociale marxiste qui les a façonnées, y compris et surtout pour ses plus farouches opposants (le fascisme). La disparition de l'URSS n'a strictement rien changé de ce point de vue. Il est donc justifié de parler d'un terreau de pensée unique, commun à toutes.

Pour illustrer ceci, relisons ce que Berdiaeff, ce grand penseur russe qui a observé le développement du marxisme, du bolchevisme et du fascisme, a écrit au siècle dernier [1]. Il nous apprend que pour ces gens, la vérité et la justice sont déterminées par leur attitude à l'égard de la réalité sociale, et que c'est en cela que réside leur erreur commune.
[Nous étendons ci-dessous les propos de Berdiaeff qui concernaient les attitudes des marxistes et fascistes de son époque à l'ensemble des occurrences de la pensée unique, telles celles que j'ai cité au début. Choisissez la déclinaison qui vous parle le plus.]
"C'est devant ce problème que se trouvent les intellectuels de nos jours qui reconnaissent la vérité sociale de [la pensée unique]. On dénie à [un individu] le droit de dire ce qu'il croit être la vérité sur [la pensée unique], sous prétexte que la vérité ne peut se révéler à l'homme individuel, [...], la vérité étant le produit de la lutte révolutionnaire [de la pensée unique] et devant contribuer à la victoire de celle-ci.
La vérité, alors même qu'elle se rapporte aux faits les plus incontestables, devient un mensonge, si elle peut nuire à la victoire de [la pensée unique], tandis que le mensonge peut devenir un moment dialectique nécessaire de la lutte [de la pensée unique]
[...]
L'attitude à l'égard de la vérité a considérablement changé dans le monde contemporain. Marxistes et fascistes prétendent, les uns et les autres, que la vérité est un produit de collectivités et qu'elle ne se manifeste et ne se révèle qu'au cours de lutte collectives; que l'individu ne saurait connaître par lui-même la vérité et l'affirmer à l'encontre de la collectivité. J'ai assisté à la formation de cette manière de voir pendant les années de ma jeunesse..." 
Contre cette erreur primordiale dénoncée par Berdiaeff, il s'agit donc de défendre la vérité désintéressée, l'indépendance de l'intellect et le droit de jugement personnel qui sont les conditions nécessaires pour établir une vérité et une justice qui ne soient pas dévoyées. C'est le point d'arrêt de la pensée unique de l'Occident, celui qui marque le retour du balancier dans l'autre sens. Et nous constatons que c'est encore une fois en Russie que le fer de lance de cette philosophie, qui peut séduire des partisans de tous les partis politiques traditionnels, se dessine de nos jours.

[1] Nicolas Berdiaeff, De l'esclavage et de la liberté de l'homme, 1946

2013/12/16

Artwork: The One Bond


 Three Strings for the Eastern-kings under the tie,
 Seven for the Oil-lords in their halls of stone,
 Nine for Mortal Banks doomed to die,
 One for the Doll's Mark in the dark thrown
 In the Land of Morgan where the Shallows lie.
 One Bond to rule them all, One Bond to find them,
 One String to bring them all and in the darkness bind them
 In the Land of Morgan where the Shallows lie.

  — inspired by J.R.R Tolkien, The Lord of the Rings, Epigraph


Artwork licensed under Creative Commons BY-SA 3.0  


2013/11/20

Questions Internationales: les Etats-Unis, JFK, et la CIA

A.I. Solzhenitsyn
 Le bimensuel Questions Internationales publie ce mois (N°64, nov-déc 2013) un large dossier de 80 pages sur les "Etats-Unis: vers une hégémonie discrète". L'équipe éditoriale brosse au fil des articles un portrait des plus rassurants pour la situation de ce pays. Il restera le seul dominant nous dit-on ("hégémonie") et il choisit de lui-même de se montrer plus "discret". Pas fuyant, ni en déroute, ni même en retraite. Ni absent, ni ralenti, ni malade, ni convalescent, ni bien Sur impuissant. C'est un "repli apparent", "une politique extérieure furtive", et même "une modestie internationale affichée... qui nourrit une stratégie à long terme d'une hégémonie durable" selon Serge Sur (rédacteur en chef).

Page 8 on peut cependant noter un passage intéressant à propos du Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) et des relais de l'influence des USA en Europe: 
"C'est ainsi que le projet, dont la négociation est ouverte, de zone de libre-échange entre l'Union européenne et les Etats-Unis, tend à absorber l'Union dans une sorte d'Otanie économique qui compléterait la vassalisation sécuritaire, monétaire, financière de l'Europe occidentale. Règles, normes, standards américains seraient, par la force des choses, plus que jamais la loi commune au lieu de la compétition actuelle avec une Union qui sait conserver son autonomie. 
Pour cela, les Etats-Unis disposent, dans l'Union même, de relais actifs, publics ou privés. François Mauriac polémiste évoquait, à propos de certains hommes politiques européens, des "poulets nourris aux hormones américaines". Ils ont beaucoup de descendants dans tous les milieux."
Nous aurons l'occasion de revenir sur ce dossier USA de manière plus détaillée, comme nous l'avons déjà fait (en février, en mars). Il est plus urgent pour aujourd'hui de passer à un problème plus grave dans cette publication.

Questions Internationales est publié par La Documentation Française, imprimé par la Direction de l'Information Légale et Administrative, et bénéficie de la participation de Sciences Po Paris. Son rédacteur en chef, au CV académique, est actuellement juge ad hoc à la Cour internationale de justice de La Haye. Fort bien.

Pourquoi dès lors accepter la publication p110-114, à l'occasion du 50ème anniversaire de la mort de JFK, d'un article de Charles Cogan, ancien chef de la CIA à Paris, et qui commence par ce résumé:
"L'assassinat de John F. Kennedy fut commis par un tueur isolé, Lee Harvey Oswald dont l'acte s'explique en partie par son admiration pour Fidel Castro et son animosité envers le gouvernement et le président des Etats-Unis. Deux éléments suggèrent que Fidel Castro aurait pu être le commanditaire de l'assassinat : le caractère outrancier du personnage et le fait qu'il était au courant des complots ourdis contre lui par les frères Kennedy. A ce jour, aucune information probante n'est toutefois apparue pour corroborer cette hypothèse et la question reste ouverte."
De l'avis même de son auteur, rien ne vient corroborer cette hypothèse castriste 50 ans après les faits. Par contre, d'autres pistes ont été depuis patiemment investiguées, et qui viennent à la fois totalement invalider le rôle de Castro comme commanditaire de l'assassinat, révéler le rôle déterminant et positif joué par Robert Kennedy (dont je me souviens) auprès de son frère, pour le soutenir contre son entourage de conseillers dans la résolution de la crise des missiles; qui viennent également totalement invalider la thèse officielle du tireur isolé, et qui mettent en lumière le rôle de l'état profond (qui recouvre les officines comme la CIA et le FBI) dans la gouvernance du pays. 

J'aurais attendu du comité scientifique et du comité de rédaction d'un tel journal publié par nos institutions de la République un respect plus marqué des valeurs de vérité historique. Au strict minimum, une mention comme "Selon la thèse officielle de la commission d'enquête Warren,..." au début du texte aurait par exemple permis au lecteur de comprendre le nécessaire recul à avoir. Un encart pour donner brièvement un autre point de vue n'aurait pas été de trop non plus.

Je me vois donc obligé de mentionner moi-même ces éléments, puisque cela n'a pas été fait, afin qu'on ne pense pas qu'au pays des Lumières un tel discours honteux qui fait obstacle à la raison et à la vérité passe sans qu'un citoyen ne remplisse son devoir. Nous ne sommes pas à Washington, Dieu merci.

Pour être concis, nous rappelons les références suivantes. Les liens qui ne sont pas en italique conduisent aux textes intégraux et à leurs références documentées qui corroborent les propos: 

"The JFK Assassination: New York Times Acknowledges CIA Deceptions" Peter Dale Scott, Global Research, October 2009
- The Assassinations of the 1960s as `Deep Events'Peter Dale Scott, History-Matters.com, October 2008
JFK and 9/11: Insights Gained from Studying BothPeter Dale Scott, Global Research, December 2006
- The CIA, the drug traffic, and Oswald in Mexico, Peter Dale Scott, History-Matters.com, December 2000
- The 3 Oswald deceptions: The operation, the cover-up and the conspiracy, Peter Dale Scott; This piece was originally published in:Deep Politics II
- The Kennedy-CIA divergence over Cuba, Peter Dale Scott, History-Matters.com; This piece was originally published in: Deep Politics II
- CIA files and the pre-assassination framing of Lee Harvey Oswald, Peter Dale Scott; This piece was originally published in: Deep Politics II 
Deep Politics II: Essays on Oswald, Mexico and Cuba. The New Revelations in U.S. Government Files, 1994-1995. Newly Revised Edition, 1996. JFKLancer Publications
- Deep Politics and the Death of JFK, Peter Dale Scott, 1993, University of California Press.

On pourra aussi s'intéresser aux travaux publiés de la commission parlementaire "Select Committee on Assassinations" de 1979 qui concluent notamment:
"The committee believes, on the basis of the evidence available to it, that the Cuban Government was not involved in the assassination of Kennedy."

Et je rappelle à Serge Sur que le maintien de cette parole est une condition nécessaire de justice. Je cite en anglais puisqu'il comprend fort bien cette langue:
"In keeping silent about evil, in burying it so deep within us that no sign of it appears on the surface, we are implanting it, and it will rise up a thousand fold in the future. When we neither punish nor reproach evildoers, we are not simply protecting their trivial old age, we are thereby ripping the foundations of justice from beneath new generations." 
(A.I. Solzhenitsyn, 1918 – 2008 ; The Gulag Archipelago, 1958-68)
J'ai résumé les causes socio-politiques qui ont conduit au drame du 22 Novembre 1963 dans la première partie de cet article publié en Mars. Parce que la justice n'a jamais pu s'exercer de manière satisfaisante, cette date marque celle de l'émancipation officieuse mais définitive de l'appareil sécuritaire américain vis-à-vis de l'Etat de droit. Ce n'est pas un acte de naissance de l'Etat profond, mais c'est un acte hautement visible et symbolique de son pouvoir, geste rendu logique à ses yeux parce qu'il n'avait pas pu contrôler cet opposant puissant.

La leçon que l'Histoire nous a donnée, retranscrite ici par Solzhenitsyn, nous explique la lente dérive du contexte socio-politique américain étouffé par cet Etat profond jusqu'au coup d'Etat permanent démarré en 2001. J'ai synthétisé l'accélération de cette dérive jusqu'à nos jours dans la deuxième partie de l'article, donnant ainsi un cadre cohérent pour appréhender les conséquences prochaines que j'exposent en conclusion, et en particulier l'inévitable contre-révolution du peuple américain qui conduira nécessairement à ré-exposer en pleine lumière l'intégralité des dessous de cette affaire.

Une société qui se pense libre ne peut en aucun cas faire l'économie de la justice, et réciproquement: une société qui fait l'économie de la justice ne peut se penser libre. C'est pourquoi le système judiciaire américain est autant miné de l'intérieur, et le premier ouvertement remis en cause. Sa défaillance a entraîné les sonneurs d'alarme toujours plus loin, en boule de neige jusqu'au tremblement de terre Snowden qui a écroulé les jeux d'alliance chancelants du gouvernement US.

L'Histoire retiendra que les individus au sein de l'Etat profond ont voulu jouer avec des forces sociales qui les dépassaient, et dont ils n'ont jamais compris la portée, comme tous les tyrans. Ils ont vécu dans l'illusion, ont donc voulu imposer l'illusion de masse à un niveau jamais atteint dans l'Histoire, et ils sont finalement rattrapés par la réalité. Tout le monde peut voir maintenant qu'un César multiforme a bel et bien franchi le Rubicon et que les institutions sont devenues des simulacres. Les masques et les décors de carton tombent. C'est l'effet de dévoilement de la crise.

Le long processus de dé-américanisation du monde passe nécessairement aussi par une dé-américanisation de l'Europe. Dans ce berceau historique de l'esprit démocratique, ce mouvement se traduit de manière plus aiguë par un dépassement des représentants de ce que Francis Dupuis-Déri a nommé l'agoraphobie politique, c'est à dire la peur ou la haine du peuple assemblé pour délibérer et se gouverner. Cette peur justifie dans l'esprit de ceux affectés qu'une élite auto-proclamée exerce son «pouvoir sur» le peuple, se situant donc dans un rapport dialectique de domination hiérarchique et de confiscation du pouvoir.

[Conclusion de l'article complétée en plusieurs ajouts entre le 20 et le 26/11]

2013/11/19

We are Polluted by the Pervasive IT Unsecurity - Washington NSA broke Internet’s security for everyone


 All Internet infrastructures, OS and devices are not only unsecured or targetable. Because security shortcomings have been voluntarily and wildly dispersed, the whole digital environment is now deeply polluted by efficient but still unpublished back-doors and weaknesses. 
The control of this global infrastructure, and of its private content, is potentially the winning price offered by a rogue state to any organisations able to find each hack. A new hidden race is ongoing. 

"In its haste to "weaponize" the Internet, the NSA has broken its mechanisms of security. And those breaks—including the backdoors that the NSA convinced or coerced software developers to put into the implementations of their encryption and other security products, are so severe that it is now just a matter of time before others with less-noble causes than fighting terrorism will be able to exploit the holes the NSA has created.
Schneier said that the vulnerabilities inserted into security products by the NSA through its BULLRUN program could easily be exploited by criminals and other nation-states as well once they are discovered. And the other attacks and surveillance methods used by the NSA " will be tomorrow's doctoral theses and next week's Science Fair projects."
But with Congress focused on the woes of the Affordable Care Act, it's not clear if anyone other than those already friendly to Schneier's message was listening." (1)

I am listening.
Any state able to catch this should officially ask the US government to force the NSA to collaborate back with IETF and vendors as soon as possible in order to patch, to publish and to document each and every backdoor or weakness added into implementations of algorithms (software and hardware based).
Any person able to catch this should ask himself why the US government is unable to force the NSA to do this.

This would be only the easiest part of the recovery trail. Think about Fukushima: in both cases we only know at this moment the beginning of the story. Environmental contaminations are very complex and they take considerable time to clean up.

Because Internet belongs to all of us the citizens, and does not belong to any organisation, it is very worrying that the US Government has allowed to seriously damage a common good (the first ever artificial common good, by the way): the infrastructure of our digital environment. This government first, but not only one, must then make every effort to repair it right now, as much as it can. If it fails in this task, it would be a failed state.

This is a major topic for Ars Industrialis... and for any people involved in the mastered value of Internet and digital environments for citizens.

Sources:
(1)


2013/11/17

About the de-americanized way of thinking

 Pr. Chomsky recently wrote (emphasis added):
"When the U.S. gained independence, it sought to join the international community of the day. That is why the Declaration of Independence opens by expressing concern for the "decent respect to the opinions of mankind."
A crucial element was evolution from a disorderly confederacy to a unified "treaty-worthy nation," in diplomatic historian Eliga H. Gould's phrase, that observed the conventions of the European order. By achieving this status, the new nation also gained the right to act as it wished internally.
It could thus proceed to rid itself of the indigenous population and to expand slavery, an institution so "odious" that it could not be tolerated in England, as the distinguished jurist William Murray, Earl of Mansfield, ruled in 1772. Evolving English law was a factor impelling the slave-owning society to escape its reach.
Becoming a treaty-worthy nation thus conferred multiple advantages: foreign recognition, and the freedom to act at home without interference. Hegemonic power offers the opportunity to become a rogue state, freely defying international law and norms, while facing increased resistance abroad and contributing to its own decline through self-inflicted wounds."
I would like then to add :
Becoming a rogue state, a treaty-unworthy nation thus conferred multiple disadvantages: blunt foreign recognition, erosion of influence and soft power, diplomacy side-lined in the rapidly evolving international system, and at the extreme point: the freedom for a failed state to act at home without interference is challenged. Hegemonic power seems to offer the opportunity to freely defy international law and norms. In fact, a rogue state is always recognized for what it is, and is facing ever increasing resistance both at home and abroad.
I wrote about this conception in The inevitable counter-revolution of the American people.

[Thanks to Ipernity.com for the article about W.T. Stead's book (The Americanization of the world; or, The trend of the twentieth century) published in 1902 and freely available.]