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Il est encore
difficile aujourd'hui d'évoquer l’absence de liberté des grands médias occidentaux
sans être taxé d'extravagance, de se voir convaincre d'être le neveu de Poutine.
Pourtant cette
liberté parmi d'autres n'est qu'un des visages de la liberté tout court et l'on
comprendra notre obstination à la défendre si l'on veut bien admettre qu'il n'y
a point d'autre façon de gagner réellement la guerre dans laquelle ceux qui dirigent l’OTAN veulent précipiter
l’Europe.
Sur les obstacles
qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, Chomsky[1],
Bourdieu[2],
Orwell[3], de Sélys et Collon[3b], Scott
[4]
ou Joly
[5], et d'autres encore, ont d'ailleurs précédé tout
ce
que nous avons pu dire et nous dirons encore. En particulier, le principe
de la fabrication du consentement une fois imposé, le fait qu'à cet égard les
sentiments des foules dépendent de l’influence délétère de bien peu, poussant à
la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, démontre
mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.
Un des bons
préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en
lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La
question en Occident n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les
libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression
de ces libertés, un citoyen peut rester libre. Le problème n'intéresse plus les
gouvernements. Il concerne la société civile et d’abord l'individu.
Et justement ce
qu'il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par
lesquels, à l’orée ou au sein même de la guerre et de ses servitudes, la
liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens
sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l'ironie et
l'obstination.
La lucidité est le moteur de notre propre liberté
La lucidité suppose
la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le
monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre
elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou
arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l'histoire des dernières
années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle
qu'elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la
haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un citoyen libre, en 2014, ne
désespère pas et lutte pour ce qu'il croit vrai comme si son action pouvait
influer sur le cours des événements. S’il est auteur, quel que soit le média, il ne
publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela
est en son pouvoir.
Abandonner sa souveraineté, ou bien ne pas renoncer
Mais le citoyen
peut aussi être un représentant de l’Etat. Les gouvernements américains et
anglais ont tenté il y a 10 ans de décrédibiliser l’idéal des Nations Unies, de
déshonorer tous les gardiens de notre conscience collective par le mensonge, la
tromperie et l’injustice[6]
en les entraînant dans la guerre en Irak, pour en être empêché in-extremis par la volonté et la voix courageuse
d’un Ministre de la France[7].
Ces mêmes gouvernements tentent aujourd’hui de tirer à nouveau les ficelles pour nous
précipiter dans la guerre en Ukraine, bientôt contre la Russie, en employant sans
vergogne les mêmes méthodes infâmes[8].
Ils veulent cependant utiliser l’OTAN pour court-circuiter le Conseil de
Sécurité de l’ONU, ayant appris de leur échec de 2003. Le sommet de l’OTAN au
pays de Galles les 4 et 5 Septembre réunissant les 28 Etats membres de l’alliance
n’a pas d’autre vocation que de remplacer dans l'opinion publique une résolution du
Conseil de Sécurité sur l’intervention prochaine en Ukraine, qui sera précédée par
des arrivées de troupes américaines dans les bases de l’Est de l’UE[9], mais aussi
en Italie, en Hollande ou en Allemagne. C’est bien une réoccupation de l’Europe
par l’armée américaine, les Etats européens n’ayant en réalité quittés leur
statut de colonie lors des 70 années écoulées que lors de brèves parenthèses
comme celle du Gaullisme. Le
TTIP et les amendes récentes sur les banques
européennes ne sont à cet égard que des moyens de rétablir l’imposition directe
des européens, après l’imposition indirecte qui se manifeste au travers des
achats de bons du Trésor américain par tous les Etats.
Quel homme trouvera
le courage de marcher dans les pas de Dominique de Villepin lors du prochain
sommet, et refusera par sa voix que son pays suive le chemin fatal où les
Etats-Unis et la Grande-Bretagne veulent mener l’alliance ? Qui, ne cédant pas à la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, se
rappellera les mots de Démocrite : le caractère d’un homme fait son destin ? Au
sein de ce sommet, la lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les leurs
doivent les conduire à donner la priorité au désarmement des adversaires en
Ukraine, dans une paix qui ne serait pas un langage orwellien, en collaboration
avec l’Union Eurasiatique.
Servir le mensonge, ou bien la liberté
En face de la
marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelques
refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre
accepte d'être malhonnête. Or, et pour peu qu'on connaisse le mécanisme des informations,
il est facile de s'assurer de l'authenticité d'une nouvelle. C'est à cela qu'un
journaliste libre et un citoyen doit donner toute son attention. Car, même s'il
ne peut dire tout ce qu'il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu'il
ne pense pas ou qu'il croit faux. Et c'est ainsi qu'un journal libre se mesure
autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. Cette liberté toute négative
est, de loin, la plus importante de toutes, si l'on sait la maintenir. Car elle
prépare l'avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant
donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le
bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires
l'uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure
humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu'elle soit, lui permet du
moins de refuser ce qu'aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter :
servir le mensonge.
C’est ce que nous
attendons de tous les commentateurs à l’issue du prochain sommet de l’OTAN.
Chérir la vérité avec obstination
Nous en venons
ainsi à l'ironie. On peut poser en principe qu'un esprit qui a le goût et les
moyens d'imposer la contrainte est imperméable à l'ironie. On ne voit pas Kerry,
Netanyahou, Fabius, Ashton, Iatseniouk, pour ne prendre que des exemples parmi d'autres,
utiliser l'ironie socratique. Il reste donc que l'ironie demeure une arme sans
précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu'elle
permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est
vrai. Un journaliste libre, en 2014, ne se fait pas trop d'illusions sur
l'intelligence de ceux qui l'oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde
l'homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur
dix dans les grandes rédactions. La même vérité dite plaisamment ne l'est que
cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités
de l'intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français
comme Le Canard Enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles
que l'on sait. Un journaliste libre, en 2014, est donc nécessairement ironique,
encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté
sont des maîtresses exigeantes puisqu'elles ont peu d'amants.
Cette attitude
d'esprit brièvement définie, il est évident qu'elle ne saurait se soutenir
efficacement sans un minimum d'obstination. Bien des obstacles sont mis à la
liberté d'expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un
esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent
généralement l'effet contraire à celui qu'on se propose. Mais il faut convenir
qu'il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la
veulerie organisée, l'inintelligence agressive, l’ostracisme, et nous en
passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L'obstination est ici
vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au
service de l'objectivité et de la tolérance.
Les esprits indépendants forment l'histoire
Voici donc un
ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu'au sein de la servitude. Et
après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque citoyen
des pays occidentaux voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu'il croit
vrai et juste, s'il voulait aider pour sa faible part au maintien de la
liberté, résister à l'abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors
seulement cette guerre serait déjà gagnée, au sens profond du mot.
Oui, c'est
souvent à son corps défendant qu'un esprit libre de ce siècle fait sentir son
ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de
l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut
recommencer aujourd’hui la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc
essayer une méthode qui serait la justice et la transparence, sous l’égide des
Nations Unies puisque l’OTAN ne peut agir à sa place, pour conduire aux inspections,
et au désarmement dans la paix. Mais la justice ne s'exprime que dans des cœurs
déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à
la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y
tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces
efforts. Mais ils auront été faits.
Même si finalement malgré tous nos efforts une nouvelle guerre a lieu, l’Europe étant une nouvelle fois détruite dans les années
les plus terribles de sa longue histoire, il faut œuvrer dès aujourd’hui à sa future
reconstruction. Cela commencera par insuffler l’esprit et le courage, et l’honneur.
Les générations prochaines se souviendront alors de nos voix, retrouveront notre
esprit et marcheront dans nos pas, bien après que l’OTAN aura été engloutie par
l’histoire. Les peuples qui cultiveront ces valeurs ne cesseront pas de se tenir
debout face à l'histoire et devant l’humanité.
[1] ‘La fabrication du consentement: de
la propagande médiatique en démocratie’, Edward Herman et Noam Chomsky, 1988
[2] ‘Sur la télévision’, Pierre
Bourdieu, 1996
[3]
'1984', E.A. Blair, dit George Orwell, 1949
[3b] 'Attention Médias ! Mediamensonges du Golfe. Manuel antimanipulation',
Michel Collon, 1992