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2012/02/27

The Artist aux Oscars : Quand le peuple Américain aphone nous crie au secours

 Ces victoires historiques aux Oscars pour un film étranger (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure musique, meilleurs costumes) peuvent être interprétées de plusieurs manières :

Tout d’abord par la reconnaissance d’un travail artistique d’une grande qualité, pour chaque lauréat mais aussi pour l’ensemble de l’équipe (formidable Bérénice Bejo). La mise en abyme du film qui parle de films qui ne parlent pas, d’un acteur du cinéma muet qui s’isole dans son mutisme, du cauchemar d’un monde sonore où il serait le seul privé de voix, le choix à faire entre le monde du bruit et celui des grimaces, tout cela vous l’aviez remarqué.

Certaines personnes peuvent ensuite présenter ces Oscars comme étant le signe d’une suzeraineté affirmée de la culture Américaine sur le cinéma français, avec un film où le nombre de français est réduit au strict minimum, tourné à Hollywood, et qui ne parle que de l’Amérique blanche triomphante des années 20 pour pouvoir mieux ignorer de récompenser plus généreusement l’introspection nécessaire sur leur propre histoire récente avec « La Couleur des Sentiments ». Nous ne sommes pas de ceux-là.

Pour notre part, nous avons voulu voir le succès outre-Atlantique de The Artist comme l’expression d’un appel au secours de l’Amérique. Comment en effet ignorer l’allégorie que le scénario nous propose, le parallèle qui nous est offert :
  • Entre le peuple Américain et George Valentin, au faîte de sa gloire dans le « monde d’avant » et qui refuse jusqu’à ce qu’il soit trop tard de se rendre à l’évidence de l’émergence des nouvelles règles du « monde d’après la crise » dont il est pourtant un des premiers spectateurs? ;
  • Entre les médiatiques guerres de perdition des USA depuis 2001 et la dernière scène du dernier film d’une star en déclin qui se filme en train de s’enliser dans des sables mouvants, résigné à son sort? ;
  • Entre l’inconscient collectif américain de la crise de 2008 et le destin de George emporté dans la tourmente de celle de 1929? ;
  • Entre les pays BRICS et les figurants du « monde d’avant » symbolisés par l’Argentine Bénérice Bejo, et qui parviennent en haut de l’affiche? ;
  • Entre une Amérique assourdissante, cacophonique et que plus personne n’écoute dans le monde, et le cauchemar de George Valentin où de multiples femmes à l’image de Bérénice le dépasse en gloussant sur son état d'hébétude? ;
  • Entre la dégradation régulière de la société US et l’implacable descente aux enfers d’une star prise au piège d’une crise historique et de son fol orgueil, qui ne trouve aucune issue à son obsolescence, sinon dans la solitude et la fuite, et voit toutes ses possessions rachetées par sa jeune concurrente? 
Sic Transit Gloria Mundi. Mais ensuite ?

Pourtant, Bérénice aime George, et essaye constamment de l’aider du mieux qu’elle peut, sans s'imposer. Nous aimons le peuple Américain. Arriverons-nous à temps nous aussi, au moment où George sombre au milieu des ruines fumantes de sa vie ? Or ce n’est pas seulement une question de temps. C’est aussi pour George d’être capable  de reconnaître qu’il peut être aidé, et de l’exprimer, d’oser en parler, et d’agir en concert. La chance de Thomas Langmann c’est d’avoir su favoriser cette mixité culturelle au bon moment historique. La chance sourit aux audacieux, mais le fait que l’initiative vienne d’Européens n’est pas une surprise : c’est bien ce rôle de production d’idées et de réalisation de projets mixtes que nous pouvons mener mieux que quiconque. Ce qui a commencé dans le domaine des Arts et des Lettres, incluant les nouvelles relations internationales, doit s’étendre à tous les autres. Le peuple américain redemandera de cette nouvelle culture qui remplacera avantageusement l’idolâtrie des Chevaux de Guerre. Et nous devrons répondre nous aussi, comme les derniers mots de The Artist : « With pleasure ».

Aujourd’hui, l’Académie des Artistes américains, en décernant ces Oscars, nous adresse véritablement cet appel au secours, d’une voix qui n’est pas muette, mais aphone. C’est bien cette nouvelle posture politique, en rupture avec celle du gouvernement US, qui s’exprime également dans l’Oscar du meilleur film étranger décerné à un film Iranien : « La séparation ».