Tel aurait pu être le titre du dernier ouvrage à propos du tragique triple meurtre du mardi 5 Aout 1952, à Lurs.
Cette affaire exceptionnelle m’est suffisament proche (et je ne parle pas seulement en kilomètres) pour que je me sois intéressé aux 732 pages rédigées par Eric Guerrier. Bien m’en a pris, car son livre rétablit avec une grande rigueur un très grand nombre de faits vérifiables, sans aucun parti-pris préconçu.
J’ai tout particulièrement apprécié sa méthode consistant en définitive à séparer les faits et les protagonistes en 3 phases successives.
La première pour le meurtre des deux parents Drummond; la deuxième pour le meurtre d’Elizabeth Drummond, agée de 10 ans, évanouïe puis mortellement frappée de 2 terribles coups de crosse, de sang-froid. Et la troisième pour la phase publique, celle d’une étonnante enquête judiciaire, et de procès non moins déroutants.
A chaque phase, ce sont de nouvelles complicités, de nouvelles responsabilités, de nouvelles compromissions et de nouvelles culpabilités qui peuvent être sondées séparément, bien que tout l’édifice logique reste articulé et cohérent.
Du tragique fait divers à l’affaire d’Etat, Eric Guerrier nous livre de précieuses informations sur les ressorts qui animent une société toute entière. Il n’est pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre, et cette affaire est aussi une occasion historique de jauger une société à l’aune d’une victime innocente.
Quelles que soient vos convictions actuelles sur cette affaire, vous pouvez la soumettre à l’épreuve des faits patiemment reconstruits par Eric Guerrier, à la suite de la longue bibliographie qui existe déjà. Il réussit à aller beaucoup plus loin et beaucoup plus en profondeur sur tous les plans de cette “énigme” judiciaire que les ouvrages précédents sur toutes les thèses envisagées, dont il montre le possible intérêt mais aussi les limites ou les contradictions. J’ai ainsi pu retrouver avec encore plus de détails historiques la trace de la piste Bartkowski et la double vie de Jack Drummond dans le contexte politique de la guerre froide et de la IVème République, ou suivre l’hypothèse inquiétante du rôle de Roger “Zézé” Perrin ou de Gustave Dominici. Nous y retrouvons également beaucoup d’éléments relatés lors d’un “
Rendez-Vous avec X” sur France Inter le 22 mai 1999 pour la première diffusion.
Détail à l’attention de Eric Guerrier : la personne non nommée qui a remarqué la première la présence du pantalon de Gustave séchant derrière les volets de sa chambre le matin du 5, est le docteur Dragon d’Oraison.
Références du livre d’Eric Guerrier :
L’affaire Dominici – Expertise du triple crime de Lurs
Edition Cheminements, 2007
A la mémoire d’Elizabeth Drummond.
Existent encore aujourd’hui :
- la base de l’ancien pilône EDF du Km 32, lieu du rendez-vous fatal fixé à la famille Drummond;
- le mas de la Grand’Terre vu de la borne du km 32, de l'autre côté de la route. Le départ du chemin à gauche mène vers le petit pont.
Ont complètement disparu suite à l’élargissement de la RN et à la croissance de la végétation : le murier; le puisard; la majeure partie de la zone de stationnement, lieu des deux premiers crimes.
- photographié à partir de la route, le petit pont enjambant la voie de chemin de fer avant le virage, avec la Durance en arrière plan;
La croix commémorative de l’autre côté du pont, située à 15 m environ du lieu du meurtre d’Elizabeth, est encore régulièrement fleurie et décorée, comme en ce lendemain du mardi 5 Août 2008. Le lieu précis du meurtre d'Elizabeth n’existe plus depuis les travaux de l’autoroute sur le remblai du km 91 de l’A51.
Je suis passé devant la maison où vit aujourd’hui Yvette Barth (la femme de Gustave Dominici au moment des faits), à quelques petits km du lieu du drame. C’est l’une des 3 ou 4 dernières personnes vivantes qui pourraient raconter avant de disparaître la vérité sur les circonstances exactes entourant la mort d’Elizabeth : que s’est-il passé entre le moment des coups de feu et 4h du matin sur le lieu du crime et à Grand Terre; quelles personnes ont décidé qu'il fallait tuer une enfant de 10 ans blessée et évanouïe; qui lui a porté les coups fatals avec la crosse de la vieille carabine US M1.
Les mobiles de cette dernière mise à mort sont désormais bien connus, le cercle des responsabilités est très resserré, mais pour que le souvenir d’Elizabeth ne nous hante plus, les derniers éléments entourant ces questions devront enfin être portés à la connaissance de tous. Notre conscience sociale le réclame, car sa mort est un des signes indubitables qui prouve que quelque chose d’essentiel a été oublié par les protagonistes à un moment donné. C’est cette part d’humanité qu’intimement ou inconsciemment nous voulons retrouver.
L’espoir de ce genre de quête c’est qu’elle ne soit pas définitivement perdue, car nous resterions chacun des amputés.