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2017/04/17

Les devoirs du journaliste et ceux du citoyen

 
Un journaliste professionnel est, dans la loi française, un employé. Il ne peut pas être auto-entrepreneur. Il peut obtenir une carte d'identité professionnelle de journaliste pour cette activité. 
"Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain.
Ce droit du public de connaître les faits et les opinions procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes.
La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics."

Ces devoirs sont soulignés par la Charte de Déontologie de Munich en 1971 signée par  tous les syndicats de journalistes de 6 pays européens. 
Elle reprend la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français dont la première version date de 1918, et la dernière de 2011.

Cette charte s'applique à tous les journalistes, professionnels ou pas.

"Le droit du public à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste, rappelé dans la Déclaration des droits de l’homme et la Constitution française, guide le journaliste dans l’exercice de sa mission. Cette responsabilité vis-à-vis du citoyen prime sur toute autre.
Ces principes et les règles éthiques ci-après engagent chaque journaliste, quelles que soient sa fonction, sa responsabilité au sein de la chaîne éditoriale et la forme de presse dans laquelle il exerce.[...]
Le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité ; il ne peut se confondre avec la communication."

C’est dans ces conditions qu’un journaliste digne de ce nom :
• Prend la responsabilité de toutes ses productions professionnelles, mêmes anonymes ;
• Respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence ;
• Tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents (1), la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles ;
(1) sur ce point la charte de Munich précise: "ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents".
[...]
• Dispose d’un droit de suite, qui est aussi un devoir, sur les informations qu’il diffuse et fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révélerait inexacte ;
[...]
• Défend la liberté d’expression, d’opinion, de l’information, du commentaire et de la critique ;
[...]
• Ne touche pas d’argent dans un service public, une institution ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ;
• N’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée ;
• Refuse et combat, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication ;
[...]
• Ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge.

Pourtant, les dérives des journalistes et des médias sont nombreuses et ininterrompues. L'état de la présente campagne présidentielle en est la logique continuité, où il s'agit avant tout d'ignorer le cœur du débat et de transformer en spectacle médiatique une élection à l'américaine.

Créé en 2008, Conscience Sociale est un producteur culturel autonome, suivant la définition et pour les raisons que donnait Pierre Bourdieu en 1996. Nous l'écrivions il y a quelques années déjà : 

Sur les obstacles qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, Chomsky, Bourdieu, Orwell, de Sélys et Collon, Scott ou Joly, et d'autres encore, ont d'ailleurs précédé tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore. En particulier, le principe de la fabrication du consentement une fois imposé, le fait qu'à cet égard les sentiments des foules dépendent de l’influence délétère de bien peu, poussant à la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, démontre mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.
Un des bons préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en Occident n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un citoyen peut rester libre. Le problème n'intéresse plus les gouvernements. Il concerne la société civile et d’abord l'individu.
Le citoyen a le devoir de s'informer, et d'informer. Plus exactement, dans nos sociétés au consentement fabriqué, il a le devoir de bien s'informer, et de bien informer. 
Le citoyen ne doit pas rester un simple réceptacle, ou une simple courroie mécanique de transmission d'un like, il doit exacerber son rôle de relai actif de l'information. Chaque prise de parole est un acte politique en même temps qu'un acte de journalisme.

L'idée d'Assemblée Constituante poussée par plusieurs candidats est une répétition de l'Histoire. A force de repousser la vérité depuis si longtemps, celle-ci nous convoquera pour des Etats Généraux, quel que soit le nom du prochain Président(e). 
Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s’occupe de vous tout de même.
(Comte de MONTALEMBERT, 1810-1870)

2014/09/02

The Ukrainian War and the spirit of the peoples

[Cet article a d'abord été diffusé en français.]

It is still difficult today to discuss the lack of freedom within the Western mainstream media without being accused of extravagance or without being convinced to be Putin’s nephew. 

Yet, among other things, this freedom is just one of simple freedom`s multiple faces, and our determination to defend it will only be understood if there is the will to admit that, actually, there is no other way to really win this war in which the NATO rulers want to rush Europe.

Regarding the
barriers put today to the freedom of thought, Chomsky(1), Bourdieu(2), Orwell(3), de Sélys and Collon(3b), Scott(4) or Joly(5) and many others previously have also spoken about it long before we said it and will say it again. Particularly, the principle of consent manufacturing, once it has been imposed, leads to the fact that in this respect the feelings of the masses depend on the deleterious influence of the few, pushing everyone toward rushing things, misunderstanding, suspicion or fear. All this demonstrates better than anything else the degree of recklessness we have reached.

One of the good precepts of a philosophy worthy of this name is to never spread useless wailing while facing inevitable situations. Nowadays, the problem in the West is no longer how to preserve the freedom of the press. It is to seek ways of keeping citizens free in front of the suppression of such freedom. The issue is no longer the governments’ concern. It involves the civil society and, first of all, the individuals.

Yet, what would please us most of all here would be to define the conditions and means by which, on the edge or within the war and its easements, freedom can not only be preserved, but also shown. These means are four in number: lucidity, refusal, irony and stubbornness.

Lucidity is the engine of our own freedom
Lucidity supposes resistance ahead of hatred workouts and fate worship. In the world in which we live now, and with all the experience we have, it is certain that everything can be avoided. The war itself, which is a human phenomenon, can be at all times avoided or stopped by human means. Just knowing the history of the previous years regarding European politics is enough proof that wars, of any kind, have obvious causes. This clear view of things excludes blind hatred and chaotic despair. A free citizen, in 2014, does not despair and fights for what he believes to be true as if his action could influence the course of events. If he is a writer, whatever the medium, he would definitely not publish anything that could produce hatred or cause despair. All this is in his power.

Surrender sovereignty, or else refuse to give up
Still, a citizen can also be a state representative. The American and British governments  tried ten years ago to discredit the ideals of the United Nations and to dishonour all the guardians of our collective conscience with lies, deceit and injustice(6) by drawing them into the war in Iraq, only to be prevented in extremis by the will and courageous voice of a French minister(7). These same governments are now trying again to pull the strings in order to rush us into the war in Ukraine, and soon also against Russia, using the same infamous, shameless methods(8). However, they want to use NATO to bypass the Security Council of the UN, having learned from their 2003 failure. The NATO Summit in Wales on 4 and 5 September, bringing together 28 allied member states, has no other purpose than to replace in the public eyes a resolution of the Security Council on the next intervention in Ukraine, which will be preceded by the arrival of the American troops in Eastern EU bases(9), and also in Italy, Holland and Germany. That's nothing other than a reoccupation of Europe by the United States Army. The European states have actually not left their colonial status during the past 70 years, except during brief respites like the Gaullist period. In this respect, the TTIP and the recent fines applied to the European banks are only ways to restore the direct taxation of Europeans after the indirect taxation manifested through purchases of American Treasury bonds by all states.

Which man will find the courage to walk in the footsteps of Dominique de Villepin at the next summit and to refuse loudly that his country follow the fatal path where the United States and Britain want to lead the alliance? Who, without giving into haste, misunderstanding, suspicion or fear, will remember the words of Democritus, “a man's character makes his fate”? In the framework of this summit, the heavy responsibility and immense honour they have, should induce them to give priority to the disarmament of the opponents in Ukraine, with a peace that would not be in an Orwellian language, but instead in collaboration with the Eurasian Union.

Should we serve the lies or the freedom ?
Facing the rising tide of stupidity, it is also necessary to oppose some refusals. All the constraints of the world will never allow for some truthful minds to accept to be dishonest. Nevertheless, if only one knows the mechanism of information, it is easy to check the authenticity of any news. That is where a free journalist and a citizen must give full attention, because even if he can’t say what he thinks, he is allowed to not say what he does not think or what he believes is false. This is how a free newspaper is measured, by what it says and by what it doesn’t say. This freedom defined by the negative is, by far, the most important of all, if we know how to keep it, because it will therefore pave the way to true freedom. Accordingly, an independent newspaper shows the sources of its information, helps the public to evaluate them, repudiates the ballyhoo, removes invective comments, and overcomes the standardization of information through comments. In short, it serves the truth as humanly as possible. This measure, as relative as it is, allows him at least to deny something that no force in the world could push him accept: to serve lies.

This is what we expect from all contributors and columnists at the end of the next NATO summit.

Stubbornly cherish the truth
This is where things get ironical. As a principle we can say that any mind which has the taste and the means to enforce the constraint is not subject to irony. One can hardly imagine Kerry, Netanyahu, Fabius, Ashton, Yatsenyuk, taking just some examples among others, using the Socratic irony. Irony remains therefore an unprecedented weapon against the powerful. It complements the refusal by allowing not the fallacy rejection, but the truth presentation. A free journalist, in 2014, does not imagine his oppressors to be too intelligent. He is pessimistic regarding human beings. A truth stated dogmatically is censored nine times out of ten in mainstream news outlets. The same truth said pleasantly is censured only five times out of ten. This explains why French newspapers such as Le Canard Enchaîné can regularly publish the brave articles we all know. So, a free journalist in 2014 is necessarily ironic, although many times still unwillingly. Yet, truth and freedom, demanding mistresses as they are, have few lovers.

As a matter of fact, this attitude of mind that we have briefly defined is not efficiently sustained without a minimum of obstinacy. Many obstacles are placed in the path of the freedom of expression. The most severe are not the ones discouraging the people’s mind, as threats, suspensions, and lawsuits generally produce the opposite effect than the one initially intended. Yet, we must admit that there are discouraging obstacles: the constancy of ignorance, organized cowardice, aggressive stupidity, ostracism, and so on and so forth. Those are major obstacles that people must overcome. In this respect stubbornness is a cardinal virtue. By a curious but obvious paradox, it supports objectivity and tolerance.

Independent minds influence history
Here is a set of rules meant to protect freedom from becoming servitude. And after that? one will ask. After that? Let's take it easy, though. If only every Western country’s citizens were willing to maintain in their own sphere whatever they believe to be true and just. If only they wanted to contribute individually to the maintenance of freedom, resist the abandonment and make their will known, then and only then the war would be won, in the deepest sense of the word.

Yes, it is often unwillingly that a free spirit of this century shows its irony. Is there anything funny in this world on fire? Yet, the virtue of man is to face all that denies him. Nobody wants to start all over again today the twice bad experiences of 1914 and 1939. We should therefore try a different method, that of justice and transparency, under the auspices of the United Nations, since NATO can’t take on the UN’s responsibilities, in order to lead to inspections and peaceful disarmament. Yet, justice is only expressed in open hearts and still clairvoyant minds. Train these hearts and minds, wake them up, for it is the modest and ambitious task that belongs to the independent human beings. This is something we should keep in mind without looking further. History will or will not reflect these efforts. But they will have been made.

Even though, despite all our efforts, a new war ultimately occurs, Europe once again being destroyed within the most terrible years of its long history, we must work today for its future reconstruction. It will start by instilling the spirit and courage, and honour. Then future generations will remember our voices, will find our spirit and will walk in our footsteps long after NATO will have been swallowed by history. Countries that will cultivate these values do not cease to raise up history and mankind.

Dr. Bruno Paul, after the Manifesto by Albert Camus.

Translation by Georgeta Moldovan.

_________________
(1) ‘Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media', Edward Herman and Noam Chomsky, 1988.
(2) ‘Sur la télévision’, Pierre Bourdieu, 1996.
(3) '1984', E.A. Blair, a.k.a George Orwell, 1949.
(3b) 'Attention Médias ! Mediamensonges du Golfe. Manuel Antimanipulation’, Michel Collon, 1992
(4) ‘The deep politics and the deep state’, Conscience-Sociale.org, 03/2014.
(6) a) « Colin Powell’s speech in front of the UN Security Council », 05 February 2003 ; 
b) Ever since 2004, the US inspections led during the war say that Iraq had abandoned its nuclear, chemical and biological programme after 1991 (Iraq Survey Group Final Report, GlobalSecurity.org, 2004) ; 
c) ‘Colin Powell : comment la CIA m'a trompé’, Nouvel Observateur, 03/2013.

(9) published a few hours after our article’s first release : 'Europe de l'Est: l'Otan veut déployer cinq nouvelles bases', RiaNovosti, 31/08/2014.


2014/08/31

La guerre d'Ukraine et l'esprit des peuples

[This article is also available in english].

Il est encore difficile aujourd'hui d'évoquer l’absence de liberté des grands médias occidentaux sans être taxé d'extravagance, de se voir convaincre d'être le neveu de Poutine.

Pourtant cette liberté parmi d'autres n'est qu'un des visages de la liberté tout court et l'on comprendra notre obstination à la défendre si l'on veut bien admettre qu'il n'y a point d'autre façon de gagner réellement la guerre dans laquelle ceux qui dirigent l’OTAN veulent précipiter l’Europe.

Sur les obstacles qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, Chomsky[1], Bourdieu[2], Orwell[3], de Sélys et Collon[3b], Scott[4] ou Joly[5], et d'autres encore, ont d'ailleurs précédé tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore. En particulier, le principe de la fabrication du consentement une fois imposé, le fait qu'à cet égard les sentiments des foules dépendent de l’influence délétère de bien peu, poussant à la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, démontre mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.

Un des bons préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en Occident n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un citoyen peut rester libre. Le problème n'intéresse plus les gouvernements. Il concerne la société civile et d’abord l'individu.

Et justement ce qu'il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, à l’orée ou au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l'ironie et l'obstination. 

La lucidité est le moteur de notre propre liberté

La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l'histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu'elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un citoyen libre, en 2014, ne désespère pas et lutte pour ce qu'il croit vrai comme si son action pouvait influer sur le cours des événements. S’il est auteur, quel que soit le média, il ne publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela est en son pouvoir.

Abandonner sa souveraineté, ou bien ne pas renoncer

Mais le citoyen peut aussi être un représentant de l’Etat. Les gouvernements américains et anglais ont tenté il y a 10 ans de décrédibiliser l’idéal des Nations Unies, de déshonorer tous les gardiens de notre conscience collective par le mensonge, la tromperie et l’injustice[6] en les entraînant dans la guerre en Irak, pour en être empêché in-extremis par la volonté et la voix courageuse d’un Ministre de la France[7]. Ces mêmes gouvernements tentent aujourd’hui de tirer à nouveau les ficelles pour nous précipiter dans la guerre en Ukraine, bientôt contre la Russie, en employant sans vergogne les mêmes méthodes infâmes[8]. Ils veulent cependant utiliser l’OTAN pour court-circuiter le Conseil de Sécurité de l’ONU, ayant appris de leur échec de 2003. Le sommet de l’OTAN au pays de Galles les 4 et 5 Septembre réunissant les 28 Etats membres de l’alliance n’a pas d’autre vocation que de remplacer dans l'opinion publique une résolution du Conseil de Sécurité sur l’intervention prochaine en Ukraine, qui sera précédée par des arrivées de troupes américaines dans les bases de l’Est de l’UE[9], mais aussi en Italie, en Hollande ou en Allemagne. C’est bien une réoccupation de l’Europe par l’armée américaine, les Etats européens n’ayant en réalité quittés leur statut de colonie lors des 70 années écoulées que lors de brèves parenthèses comme celle du Gaullisme. Le TTIP et les amendes récentes sur les banques européennes ne sont à cet égard que des moyens de rétablir l’imposition directe des européens, après l’imposition indirecte qui se manifeste au travers des achats de bons du Trésor américain par tous les Etats.

Quel homme trouvera le courage de marcher dans les pas de Dominique de Villepin lors du prochain sommet, et refusera par sa voix que son pays suive le chemin fatal où les Etats-Unis et la Grande-Bretagne veulent mener l’alliance ? Qui, ne cédant pas à la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, se rappellera les mots de Démocrite : le caractère d’un homme fait son destin ? Au sein de ce sommet, la lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les leurs doivent les conduire à donner la priorité au désarmement des adversaires en Ukraine, dans une paix qui ne serait pas un langage orwellien, en collaboration avec l’Union Eurasiatique.

Servir le mensonge, ou bien la liberté

En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre accepte d'être malhonnête. Or, et pour peu qu'on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s'assurer de l'authenticité d'une nouvelle. C'est à cela qu'un journaliste libre et un citoyen doit donner toute son attention. Car, même s'il ne peut dire tout ce qu'il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu'il ne pense pas ou qu'il croit faux. Et c'est ainsi qu'un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l'on sait la maintenir. Car elle prépare l'avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l'uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu'elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu'aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge.

C’est ce que nous attendons de tous les commentateurs à l’issue du prochain sommet de l’OTAN.

Chérir la vérité avec obstination

Nous en venons ainsi à l'ironie. On peut poser en principe qu'un esprit qui a le goût et les moyens d'imposer la contrainte est imperméable à l'ironie. On ne voit pas Kerry, Netanyahou, Fabius, Ashton, Iatseniouk, pour ne prendre que des exemples parmi d'autres, utiliser l'ironie socratique. Il reste donc que l'ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu'elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 2014, ne se fait pas trop d'illusions sur l'intelligence de ceux qui l'oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l'homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix dans les grandes rédactions. La même vérité dite plaisamment ne l'est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l'intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme Le Canard Enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l'on sait. Un journaliste libre, en 2014, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu'elles ont peu d'amants.

Cette attitude d'esprit brièvement définie, il est évident qu'elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d'obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d'expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement l'effet contraire à celui qu'on se propose. Mais il faut convenir qu'il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l'inintelligence agressive, l’ostracisme, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L'obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l'objectivité et de la tolérance.

Les esprits indépendants forment l'histoire

Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu'au sein de la servitude. Et après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque citoyen des pays occidentaux voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu'il croit vrai et juste, s'il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l'abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait déjà gagnée, au sens profond du mot.

Oui, c'est souvent à son corps défendant qu'un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut recommencer aujourd’hui la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc essayer une méthode qui serait la justice et la transparence, sous l’égide des Nations Unies puisque l’OTAN ne peut agir à sa place, pour conduire aux inspections, et au désarmement dans la paix. Mais la justice ne s'exprime que dans des cœurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits.

Même si finalement malgré tous nos efforts une nouvelle guerre a lieu, l’Europe étant une nouvelle fois détruite dans les années les plus terribles de sa longue histoire, il faut œuvrer dès aujourd’hui à sa future reconstruction. Cela commencera par insuffler l’esprit et le courage, et l’honneur. Les générations prochaines se souviendront alors de nos voix, retrouveront notre esprit et marcheront dans nos pas, bien après que l’OTAN aura été engloutie par l’histoire. Les peuples qui cultiveront ces valeurs ne cesseront pas de se tenir debout face à l'histoire et devant l’humanité.

Dr. Bruno Paul, d'après le manifeste d'Albert Camus.




[1] ‘La fabrication du consentement: de la propagande médiatique en démocratie’, Edward Herman et Noam Chomsky, 1988
[2] ‘Sur la télévision’, Pierre Bourdieu, 1996
[3] '1984', E.A. Blair, dit George Orwell, 1949
[3b] 'Attention Médias ! Mediamensonges du Golfe. Manuel antimanipulation', Michel Collon, 1992
[4] La politique profonde et l’Etat profond’, Conscience-Sociale.org, 03/2014
[6] a) « Discours de Colin Powell devant le Conseil de Sécurité de l'ONU », 05 février 2003 ; b) Dès 2004, les inspections américaines menées pendant la guerre s'accordent pour dire que l'Irak avait abandonné son programme nucléaire, chimique et biologique après 1991 (Iraq Survey Group Final Report, GlobalSecurity.org, 2004) ; c) « Colin Powell : comment la CIA m'a trompé », Nouvel Observateur, 03/2013
[8]Russia Invades Ukraine”, Strategic NATO Public Relations Stunt. Where are the Russian Tanks?, Global Research, 08/2014
[9] publié quelques heures après la parution de notre article: 'Europe de l'Est: l'Otan veut déployer cinq nouvelles bases', RiaNovosti, 31/08/2014