Mon aînée est en 6ème. Elle n'a jamais lu
mes articles. Je ne lui en parlais pas parce que ce sont des sujets très difficiles à aborder avec des enfants. Il se trouve que sa leçon de géographie que je lui fais réviser cet après-midi commence exactement par ces mots :
Aujourd'hui plus de 50% de la population mondiale vit en ville. Le taux d'urbanisation continue d'augmenter.
S'ensuit un court dialogue :
- Est-ce que tu sais depuis quand le taux d'urbanisation augmente ?
- Depuis que l'homme construit des villes, en Mésopotamie.
- Tu sais combien il y a d'humains sur la planète ?
- 7 milliards... Dis, c'est grave ? Ça veut dire que tout va exploser ? Qu'on va tous mourir parce qu'il y a trop de personnes ? Tout le monde sait qu'il n'y a bientôt plus de pétrole.
- Non ça ne se passe pas comme ça. Ça n'explose pas. Mais si on ne change rien du tout à notre façon de vivre, il y a des crises très graves, des maladies et la population diminue brutalement, par paliers successifs pendant 200 ans environ.
- Alors on va tous mourir ?
- Chacun doit mourir un jour, mais on mourra de ce problème seulement si on ne fait rien, si on ne change rien. Parce qu'on sait ce qu'il faudrait faire, le problème c'est de le faire collectivement, de changer.
- Mais personne ne fait rien ! Sauf toi qui fait des économies d'énergie...
- Je ne suis pas tout seul... et ça n'est pas seulement une question de pétrole. Tu sais j'écris des articles pour expliquer cela, qui sont lus par 30000 personnes au moins. C'est comme la moitié de la ville.
- 30 000 comparés à 7 milliards... (un profond air triste passe sur son visage)
- Le monde ne change pas en un jour tu sais. Mais le monde change constamment... et tout changement commence au départ par une personne, une seule. L'important c'est de commencer, qu'il y en ait au moins une, et d'en parler aux autres. Et puis comme je te l'ai dit, je ne suis pas tout seul.
- Dis-moi, est-ce que tu sais pourquoi je travaille autant sur mes articles ? Pourquoi j'essaie de faire quelque chose ?
- Non ?
- Parce qu'il y a plusieurs années, quand j'ai compris ce qui se passait, j'ai pensé qu'un jour tu me poserais exactement la question que tu m'as posée. Et je me suis dit que je ne pourrai jamais te regarder en face comme maintenant et te dire que je savais ce qui se passait et que je n'ai rien fait... ou bien me défiler lâchement en disant qu'on ne pouvait rien faire, pour toi, tes futurs enfants et les autres gens de ton âge, avec la fausse excuse que soi-disant "c'est très compliqué, tu sais".
Et vous, qu'allez vous dire à votre enfant le jour où il vous posera la même question ?
L'année dernière j'ai croisé un monsieur de 65 ans environ, que je ne connaissais pas, avec qui j'ai parlé brièvement de cette crise écologique. Lui m'a répondu tranquillement et avec un sourire satisfait que c'est un problème qu'il faut laisser aux générations suivantes, qu'elles trouveraient bien une solution puisqu'elles l'avait toujours fait. Il ignorait bien sûr tout de ce qu'est une crise écologique, et ne voulait surtout pas savoir que la solution ne pouvait être qu'inter-générationnelle.
Hélas, il y a fort à parier que sa position soit très répandue parmi sa génération. Je me suis dit que je ne lutterai pas davantage pour préserver le montant de sa retraite. Son abandon flagrant des générations suivantes est une défaillance de sa propre responsabilité inter-générationnelle.
Il s'en faut de peu pour qu'elle soit considérée comme une trahison par les générations montantes.