2011/06/27

Les jeunes Européens : une génération en quête d’un destin collectif entre héroïsme et accablement [Partie 1]

 Les jeunes Européens supportent en première ligne des conséquences de la crise systématique globale.[1] Suivant l’exemple du Printemps Arabe, ils manifestent spontanément en masse avec des revendications similaires, au moment où l’avenir promis leur apparaît insupportable.[2] L’analyse des forces de changement au sein de cette génération particulière nous conduit à les placer comme pivot dans l’anticipation d’ici 2030 des profondes évolutions sociales à l'échelle européenne[3]. Si cette mutation est certaine, la dérive extrémiste reste possible à la place de la refondation sociale. C’est un destin collectif que cette génération va se forger, et dont une des clés réside dans la rapidité du partage du pouvoir avec la génération des baby-boomers.

La première partie de notre sujet, objet de cet article, s’intéresse à l'approche historique focalisée sur la notion de garantie des droits. Nous proposerons en complément la semaine prochaine une conception générationnelle de l'anticipation sociale.

L’anticipation est un investissement d’avenir

Hier confié par désintérêt ou négligence aux lobbies et pouvoirs transnationaux, puis ces trois dernières années aux économistes en mal de nouvelle crédibilité, les peuples reprennent directement en mains leur avenir. Ils sont maintenant convaincus que c’est d’eux seuls que peut venir une refondation d’un système qui est chaque jour moins soutenable. C’est bien la leçon sociale historique apportée par les révolutions de jasmin.

Le constat s’impose : la fin du statu quo impliquée par la crise systémique globale nous pousse à investiguer collectivement notre avenir et les initiatives se multiplient, signe d’un immense besoin. Parmi les méthodes d’investigation, l’anticipation politique est certainement celle qui connaît le plus de résultats probants dans le contexte actuel[4]. C’est également le prisme sous-jacent utilisé dans la construction du récent et remarquable ouvrage " 2033 Atlas des futurs du monde "[5], mais qui n'aborde pas le volet social. Nous constatons la grande difficulté de son traitement, alors qu’il est bien le point focal de tous nos efforts pour appréhender notre avenir[6]. Cette difficulté conduit le plus souvent à un traitement sous forme de fiction romanesque, ce qui diminue son impact sur les décisions[7].

Le champ social regroupe d’une part les rapports encadrés par le Droit ou l’usage ; et d’autre part par les rapports informels, regroupés sous les termes de mœurs, de culture, de conventions. Notre approche sur le premier volet est historique, et générationnelle sur le second[8].

Le cadre historique du Droit pour l’anticipation sociale

L’histoire de la construction des droits depuis 333 ans fonde le cadre commun européen et son désir d’universalisme depuis l’époque de la colonisation[9]. On peut souligner de cette histoire plusieurs grands traits :
  • La construction du droit international de l’individu sur la base du modèle social européen ; or la notion du rapport de l’individu avec la société n’est pas une constante universelle. La culture sociale dans certains pays asiatiques depuis des siècles ou des millénaires obéit à d’autres principes fondateurs. Ceci rend très complexe et très lente l’assimilation réelle des Droits de l’Homme dans ces sociétés.
  • La construction du droit des peuples à la suite des droits de l’individu, ne doit pas nécessairement laisser penser qu’ils présenteraient donc en eux la même faille originelle que mentionnée ci-dessus.
  • L’Etat-providence assure la garantie des droits au travers des services publics ; A partir de 1945 il est très concrètement mis en action dans le célèbre programme socio-économique du Conseil National de la Résistance[10] rédigé en 1944 par des représentants d’une jeune génération[11], au moment même où la France vivait les heures les plus sombres de son histoire. C’est bien son établissement et la démolition progressive des réalisations de ce programme[12] qui sont au cœur de l’actualité sociale et politique en Europe jusqu’à aujourd’hui, et en particulier en France.[13]
  • Ces droits sont majoritairement portés au niveau des institutions internationales. Or " la garantie des droits interroge la nature et la légitimité des pouvoirs " [14].


Garantir les droits

La dislocation géopolitique mondiale qui est en cours affaiblit les instances onusiennes. Elles sont le plus souvent impuissantes à garantir les droits, au bénéfice de la loi du plus fort et des justices à deux vitesses. L’inégalité de l’accès au droit s’aggrave.

L’Etat-providence est la forme politique qui a concentré au maximum la garantie du droit, dans ses représentants et ses quelques hauts technocrates. Ce point de faiblesse (« single point of failure ») a donc logiquement subi les assauts du récent néolibéralisme. Il s’agit toujours de la même logique déjà présente dès 1977 quand les états pétroliers ont été retournés par les grandes puissances contre les pays en développement[15]. Ici ce sont les dirigeants politiques puis les PDG des sociétés transnationales qui sont retournés contre les citoyens les plus démunis, en échange de financement de campagne ou de généreux bonus. Les frontières toujours plus floues entre vie politique et grands acteurs économiques ont rapidement affaibli la garantie des droits, ainsi que l’égalité de l’accès à ces droits en particulier par l’érosion des services publics. En utilisant contre lui l’arme monétaire et les crises de la dette, l’Etat-providence est d’autant plus démuni qu’il est bientôt possible de le court-circuiter d’un bloc en lui imposant des mesures de dérégulation, telles les mesures du « consensus de Washington » dictées par le FMI, notamment pour la libre circulation des capitaux et l’ouverture des services publics à la concurrence, qui exacerbe la compétition internationale des acteurs privés toujours plus grands, toujours plus influents. Voilà la fracture sociale qui s’agrandit, accompagnant les dérives des démocraties vers l'oligarchie. Voilà les forces néolibérales du secteur privé, en accroissement géométrique, qui instaure sa propre logique transnationale au détriment de forces étatiques (régulation et politique sociale) cantonnées à l’intérieur de leurs frontières.

Auparavant, Marx au XIXe siècle avait proposé l’approche matérialiste de la garantie des droits par la lutte des classes dans l’Etat-nation. La dérive dictatoriale du modèle communiste et sa chute au XXe siècle semble avoir condamné l’approche.

En attendant la suite…

Dans ces conditions, comment envisager différemment de garantir les droits ? Quelles conséquences sur le champ social ? C’est précisément sur ce sujet que j’interviendrai lors de l’une des tables rondes du Congrès citoyen "Six réformes clés pour une gouvernance démocratique de l'Euroland" les 2 et 3 juillet prochain à Paris. Vous en retrouverez une synthèse dans la deuxième partie de l’article qui sera publiée les jours suivants.


[1] " Le taux de chômage des jeunes a augmenté de 6 points dans les pays de l'OCDE (2,5 fois plus que l'ensemble des actifs), effaçant l'amélioration des dix années précédentes " (Centre d’Analyse Stratégique, 05/2011). Voir aussi la Carte interactive.
[2] "Il y a un désir mimétique du printemps arabe chez les jeunes européens" (Libération, 05/2011) ; "A Madrid, les jeunes réinventent les principes libertaires" (Rue89.com, 05/2011). La "Jeunesse sans futur" scande "Sans maison, sans boulot, sans retraite, sans peur !"
[3] Cet article ne s’attache pas à détailler davantage le contexte géopolitique, géoéconomique, géostratégique et écologique d’ici 2030. Il ne considère que le périmètre européen vu sous l’angle social, par un regard d’européen en 2011.
[4] Nos précédents travaux ont appliqué cette méthode à l’économie écologique : Magazine d’Anticipation Politique n1, Automne 2010 ; MAP n2, Hiver 2011
[5] " 2033 Atlas des futurs du monde " Virginie Raison, 11/2010, Ed. Robert Laffont.
[6] Concernant la France, voir "Danse sur un volcan" Jérome Defaix (Magazine d’Anticipation Politique n1, Automne 2010).
[7] Dans le cas des USA, voir par exemple " 2030: The Real Story of What Happens to America " Albert Brooks 2011, St. Martin’s Press.
[8] Pour les USA voir "The emergence of Millennials as a political generation" Neil Howe, Reena Nadler, 02/2009.
[9] Droit à l’autonomie personnelle (Habeas Corpus 1679/Angleterre, Bill of Rights 1689/Angleterre) ; déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789-1792/France) ; abolition définitive de l’esclavage (1848/France) ; droit international des conflits armés (depuis 1856) ; conventions de l’organisation internationale du Travail (depuis 1930) ; déclaration universelle des droits de l’homme (1948/UN) ; convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (1950/UE) ; droit international de la mer (depuis 1958) ; déclaration de Singapour (1971/Commonwealth) qui termine la décolonisation pour les pays Européens ; déclaration universelle des droits des peuples (1976); pacte international des droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC 1976/UN) ; pacte international des droits civils et politiques (1976/UN); charte internationale du sport (1978/UN) ; déclaration sur le droit au développement (1986/UN) ; convention sur la lutte contre la corruption (1997/OCDE) ; dispositions sur la Protection de la vie privée à l'échelon international (1998, UE/OCDE) ; charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (2004/UE) ; protocole additionnel au PIDESC (2008/UN). On remarquera de plus les initiatives en cours de la société civile pour un Pacte des peuples sur les biens communs et les droits collectifs, pour une Charte des Droits de l’Homme et Principes pour Internet (IRP 2008), et la déclaration du droit à informer et être informé (Forum Social Mondial 2011). Voir aussi " Une stratégie altermondialiste ", Gustave Massiah 2011, Ed. La Découverte.
[10]  "Programme du Conseil National de la Résistance" (wikisource, 03/1944).
[11] Les rédacteurs ont 40 ans en moyenne
[12] " Les jours heureux – Le programme du CNR de mars 1944 : comment il a été écrit et mis en œuvre, et comment Sarkozy accélère sa démolition " collectif 2010, Ed. La Découverte.
[13] " Walter retour en résistance " Gilles Perret 2008, prod. La Vaka ; " Indignez-vous ! " Stephane Hessel 2010, Indigènes Ed.; " Concordance des temps " France Culture 02/2011; "De l’indignation à l’action" Mouvement Citoyens Résistants d’hier et d’aujourd’hui 03/2011 ; " Engagez-vous ! " Stephane Hessel 2011, Ed. de l’Aube.
[14] " Une stratégie altermondialiste ", Gustave Massiah 2011, Ed. La Découverte

2 commentaires:

  1. C'est n'importe quoi votre analyse appliquée à la France. Aux USA je dis pas, mais pas en France.

    Sur l'héritage du CNR qui serait démonté, c'est de la pure propagande. En 1960 la part de dépenses publiques dans le PIB était de 30%. Elle est de 56% aujourd'hui.

    La France ne crève pas de néo turbo libéralisme, elle crève d'une soviétisation rampante qui transfère tous les revenus des travailleurs vers les clientèles des partis de l'UMPS, en priorité les vieux.

    Moi je bosse dans une multinationale. Mon armée mexicaine doit surement prélever quelque chose comme 200€ par mois sur mon salaire. La belle affaire.

    A côté de ça, ma boîte me paye 4000€ pour un mois de boulot. J'en touche 2000. Là dessus, on m'enlève encore 150€ de TVA, 100€ sur les clopes, 50€ de taxe d'habitation, 100€ d'impôt sur le revenu.

    Des 4000€ de départ, il reste 1500...

    Et c'est pas les turbo néo libéraux qui prennent ce pognon...

    Quand le moindre employé d'EDF, retraité de 62 ans, sans enfants à charge, en pleine forme et qui pourrait encore bosser, touche 3000€ de rente (2000€ de retraite par répartition que c'est la "sôlidarité" et l'acquis "sôcial" + 300€ d'intérêts par mois sur ses 100 000€ d'assurance vie "investie" en rente d’État + 500€ sur son Scellier, entre loyer perçu et fuite de l'impôt), tout en étant proprio de sa résidence principale sur 1000m² d'empreinte au sol en proche banlieue, achetée à vil prix et payée en 10 ans, là on met le doigt sur les goinfres qui ruinent la France.

    Juste à se compter les doigts de pied, notre petit retraité d'EDF, a un niveau de vie de cadre sup, intégralement issu de rentes pures et dures (rente de la dette publique, rente de la répartition, rente du ponzi démographique, rente de la pénurie immobilière organisée, rente de la fuite de l'impôt)... On pourrait le croire à droâte, mais non. Pas nécessairement. Notre escroc a ceci de particulier qu'il a réussi à tellement distordre la réalité dans son cerveau rempli de merde keynésienne, qu'il est ancien CGT, qu'il a défilé derrière les drapeaux rouges, a le cœur à gôche, et qu'il trouve que Hessel, il a bien raison de s'indigner pour défendre la "sôlidarite" et l'acquis "sôcial" (ce truc où les jeunes pauvres donnent tout leur fric aux vieux riches)... Et c'est sans parler de ses deux fistons impotents qui attendent d'hériter sans droits de succession du million d'euros de patrimoine volé aux jeunes méritants...

    Imaginez le repas de famille où le jeune smicard en CDD qui bosse toute la semaine, voit son père, avec un parcours similaire, à la retraite, avec ses 1500€ de retraite par mois, proprio d'un pavillon à 500 000€ (payé 150 000 en 10 ans, inflation comprise), qu'il faudrait 1200€ de loyer pour l'habiter...

    Va falloir arrêter de désigner mémé Bettancourt comme cause de tous nos problèmes pour mieux faire diversion sur qui sont les vrais goinfres...

    En prime sur la soit disant destruction de LEUR "solidarité" :

    RépondreSupprimer
  2. Je ne ferai qu'une remarque : vous manquez de lucidité et de recul.
    Vos analyses en pâtissent, vous n'exploitez pas vos arguments de la bonne façon. Certes, ca vous fait une belle jambe me direz vous.
    Et la je réponds : quand on en vient à ne voir dans la guerre civile (puisque c'est bien ce que vous pronez ici et sur votre blog) la solution aux problèmes sociaux (et économiques puisqu'on y est), alors on a perdu toute lucidité et toute raison.
    Il ne s'agit pas non plus de payer ces retraites rubis sur l'ongle, bien évidemment, mais il s'agit bien de renégocier entre les générations un nouveau pacte social rééquilibré envers les jeunes générations. Et il ne s'agit pas d'un espoir absurde et loin de toute réalité, comme la deuxième partie de mon article va le montrer. Cette négociation se mènera sans doute sur fonds de troubles sociaux, manifestations, altercations, mais les retraités ne seront pas tous passés à la baïonnette comme vous l'appelez de vos voeux dans votre billet du 1er juillet (2 semaines trop tôt en somme).
    En aucun cas ce scénario ne serait une victoire, pour absolument personne. Au contraire, ce ne serait que la preuve du début d'une descente aux enfers pour l'ensemble des peuples.

    RépondreSupprimer