2014/06/06

Les banques dupées par Draghi et la BCE


De "la pluie d'annonces" que la BCE a fait tomber hier, nous retiendrons ceci:
  • tout d'abord que ces mesures sont sensées parer à la déflation et à la baisse de croissance dans la zone euro, notamment en faisant baisser l'euro par rapport au dollar
  • que les traders et analystes des grandes banques ou fonds (ce que l'on nomme un peu vite "les marchés") ont tous applaudis des deux mains;
  • que les effets seront longs à se faire sentir d'après Draghi : "Il est très vraisemblable que nous constaterons des effets immédiats sur le marché monétaire et des effets sur l'économie réelle attribuables à ce programme avec retard... cela prendra probablement trois à quatre trimestres."
  • que les projections des services de la BCE sont révisées pour 2014 avec les risques à la baisse : risques géopolitiques, pays émergents, demande intérieure insuffisante, réformes insuffisantes.
  • qu'à la fin de la journée un analyste à ce point convaincu a déclaré : "Après ce paquet d'annonces vraiment, si ça ne fonctionne pas, ça ne peut être que la faute des banques!"

La dernière section de cet article détaille les principales mesures. Il y en a d'autres, notamment concernant l'arrêt de la stérilisation -déjà lacunaire- lors des rachats de SMP (retrait de liquidités), qui vont gonfler la masse monétaire de 165 milliards d'€ environ; ainsi que les rachats de certaines dettes titrisées dites ABS (mais on ne sait pas encore lesquelles exactement: credit immobilier, credit aux entreprises grandes ou petites...). Dans tous les cas leur volume sera faible :
Before the global financial crisis erupted in 2007, Europe had a nascent market for ABS backed by small business loans. In 2006, for example, there were 34 issues worth a total €46 bn, with Spain accounting for 15 of them, according to data from the Fitch rating agency. [1]

Revenons au début: la déflation.

Comment l'observe t'on? Certainement pas par une inflation entre 0 et +1%, comme actuellement. Au mieux, c'est de la desinflation, au pire de la desinformation.
Elle s'observe par l'évolution longue de la structure des taux d'intérêts, ramenés à 10 ans. Or ceux-ci continuent de baisser, baisser, depuis plusieurs années en Occident malgré les QE, LTRO et politiques monétaires non conventionnelles, ce que ne comprend aucun analyste ou économiste hors ceux de l'école de Menger :

10 Year Eurozone AAA government bond yield since 2004 (source)

... idem pour les USA depuis 1980 :
US government bond 10Y since 1912, implied yield

... et pour UK :
UK government bond 10Y since 1980, implied yield

Et cela se mesure aussi clairement sur la vélocité de la monnaie, calculée ici avec le rapport PIB/M2 pour les US et la zone euro :

Velocity of M2 money stock (calculated using GDP/M2): U.S. (lhs) and Euro Area (rhs); data series since 1959 and 1994; updated quarterly

L'explication est pourtant simple: des baisses de taux directeurs appellent des taux encore plus bas. Les entreprises et les ménages l'anticipent et retardent un peu leurs investissements, dans l'attente de taux plus bas, c'est à dire un crédit moins cher. Comme les médecins de Molière, les banquiers centraux n'ont pas compris qu'un malade pouvait mourir de saignées répétées (c'est à dire les baisses de taux directeurs), parce que c'est le seul traitement à leur disposition dans leur valise. Parce qu'ils n'ont pas étudié ou compris Menger et Fekete. Et les retards d'investissement (un problème de demande et de confiance, voir la dernière section) signifient une transmission cassée ou opposée de l'impulsion souhaitée par la politique monétaire (sauf si ce que l'on souhaite en réalité c'est la déflation!). 

Les politiques monétaires des banques centrales depuis un siècle (hormis la période gaullienne) sont devenues une partie essentielle du problème, au lieu d'être une partie essentielle de la solution comme tous les médias et économistes le diffusent.

En l'absence de guerre militaire et de destruction physique du capital, la seule issue possible d'un système monétaire centralisé et entièrement fiduciaire est la déflation.

L'euro est-il trop cher actuellement? Clairement non, pas encore.

La position relative de l'euro par rapport aux autres devises ne doit se mesurer que sur une longue période pour avoir le moindre sens. Voila ce qu'il en est pour la position vis à vis du dollar :

US Dollar / Euro exchange rate since 1999, updated daily (source: BCE)

Bref entre 1.2 et 1.4 on est dans un territoire absolument normal, qui n'a pas exigé des mesures non conventionnelles auparavant, et qui n'en exigent donc pas maintenant. Au mieux on peut dire que c'est le dollar qui s'affaiblit et qu'on veut éviter de franchir bientôt le seuil de 1,4 USD/€
Et pour la position de l'euro vis à vis des autres devises... :

Euro area-17 countries vis-a-vis the EER-20 group of trading partners (AU, CA, DK, HK, JP, NO, SG, KR, SE, CH, GB, US, BG, CZ, LV, LT, HU, PL, RO and CN) ; Data serie since 06/1993; updated daily

... c'est pareil. Il n'y a pas le feu au lac sur ce sujet, pas plus ni moins qu'en 2006.

Les banques dupées

En résumé:
  • concernant la déflation les mesures prises sont neutres ou négatives,
  • concernant le ratio euro / dollar, l'effet le plus grand est du côté de la faiblesse du dollar et des US et non pas de la force de l'euro. Cette faiblesse entraîne un flux des assets vers la liquidité maximum et le risque minimum donc la devise dont les stocks gonflent (maintenant que les obligations court terme sont à zéro virgule zéro pour très longtemps et qu'il n'y a quasiment plus d'or disponible),
  • les "marchés" sont pris à leur propre jeu d'influence médiatique parce qu'ils ne maîtrisent pas les fondamentaux économiques de la situation ; ayant fortement pressé Draghi dans cette direction, puis l'ayant désormais glorifié d'être passé aux actes, ils ne pourront plus mener campagne contre la BCE quand les faits montreront que la situation économique en zone euro stagne (au mieux),
  • les banques seront donc la cible privilégiée de fortes attaques dans les mois à venir, "parce qu'elles renaclent à faire leur travail de soutien de l'économie réelle"
  • la BCE a acheté du temps pour préparer de nouvelles régulations nécessaires pour encaisser le choc principal encore à venir, 
  • les acteurs financiers occidentaux ont perdu de l'influence stratégique auprès de la BCE,
  • non, la BCE ne rachètera jamais aveuglément d'assets des banques européennes (QE) qui ne feraient qu'acheter de nouveaux bons du Trésor US avec ces nouvelles liquidités. Les "marchés" ne forceront pas la main à la BCE pour soutenir la Fed.

Détail sur les mesures annoncées par Mario Draghi [2]

Elles sont globalement au nombre de trois. 

1/ Le principal taux d’intérêt directeur passe de 0,25 % à 0,15 %. En gros, nous allons pouvoir emprunter un poil moins cher de l’argent que nous ne voulons pas emprunter puisque nous ne sommes pas sûrs de pouvoir le rembourser en particulier pour ceux qui n’ont pas de visibilité sur leur emploi. Cela ne changera donc pas grand-chose. Je n’emprunte pas parce que les taux viennent de baisser de 0,10 %, j’emprunte parce que j’en ai besoin ou parce que je vais réaliser un investissement rentable. 
Retenez donc que le taux directeur est celui qui fixe en gros le prix d’emprunt de l’argent.
2/ Le taux de dépôt de la BCE, lui, est devenu carrément négatif et c’est une grande première historique pour la BCE. Il y a bien eu quelques expériences de ce genre il y a quelques années en particulier dans des pays nordiques, mais cela n’a pas réellement fonctionné. Disons que sur ce sujet nous n’avons pas de recul suffisant pour être affirmatifs dans nos appréciations. Néanmoins, mon point de vue est que là encore, cela ne va pas fonctionner.

Avant de vous expliquer pourquoi, expliquons ce qu’est le taux de dépôt. Lorsqu’une banque commerciale comme la Société Générale ou la BNP dispose d’un excédent de trésorerie, elle peut prêter ces fonds par exemple à d’autres banques qui, elles, seraient en manque ponctuel de liquidités. Le problème c’est que depuis 2007 plus personne n’a confiance en personne, donc les banques en excédent déposent leur argent directement à la BCE qui, jusqu’à présent, rémunérait ses fonds (bien que de moins en moins).

Désormais, une banque qui placera son argent à la BCE aura moins à la sortie de son placement qu’à son entrée. En clair, les banques vont devoir payer pour placer leur épargne à la BCE !

L’idée c’est de forcer les banques en excédent à prêter et à financer l’économie… enfin officiellement !
Pourquoi cela ne va sans doute pas marcher ?
Les raisons sont multiples. Tout d’abord, le problème de fond est la confiance. Certaines banques préféreront perdre très légèrement plutôt que d’aller prendre des risques inutiles.

La réalité c’est que certaines banques vont préférer prêter à des États surendettés et en situation de solvabilité très dégradée pour la raison simple que la BCE devrait intervenir en cas de pépin grave (en tout cas c’est le pari), donc plutôt que de financer l’économie réelle, moi banquier, je préfère prêter mes sous à l’Espagne à 3 % !  
Évidemment, 3 % cela rapporte plus que de payer 0,10 % ! Le calcul est donc vite fait pour nos rapaces de banquiers.

Enfin, certes les banques se montrent réticentes à financer l’économie réelle, en revanche ce n’est qu’une partie de ce problème. Il y a l’offre de crédit (côté banque) mais il y a aussi une demande de crédit (côté client). Or la demande de crédit est orientée dramatiquement à la baisse depuis plus de deux ans. La raison est simple. Les particuliers, qui ont peur pour leur emploi, ne veulent pas emprunter. Logique. Les entreprises, qui n’ont pas de visibilité, ne veulent pas investir… donc elles n’empruntent pas. Logique aussi.

Enfin, et c’est le dernier élément, les banques garderont tout simplement leur argent sur leur propre compte et préféreront plutôt ne rien faire que d’en perdre !

3/ Comme nous l’apprend la dépêche AFP, « selon les analystes, il pourrait annoncer entre autres un nouveau crédit à long terme (LTRO) aux banques, soumis cette fois à la condition qu’elles prêtent à leur tour contrairement à deux LTRO à trois ans lancés précédemment par la BCE ». C’est le fameux « crédit easing » européen que j’avais déjà évoqué à plusieurs reprises et qui se précise. 

Cependant, Mario Draghi garde des « cartouches » et des munitions pour plus tard et continue sa politique qui, essentiellement, vise simplement à gagner du temps. Pour quoi faire ? Nul ne le sait. Disons que nous gagnons du temps ou plus précisément nous achetons du temps non pas tant pour ce que cela nous permettra de faire que pour ce que cela nous évitera de vivre.

Nous n’en sommes plus, et depuis longtemps, à vouloir améliorer la situation puisque nous n’avons rien fait depuis 7 ans pour changer véritablement les modes de fonctionnement de notre système. Nous en sommes juste à vouloir éviter les conséquences désastreuses d’un effondrement et les autorités tentent désespérément d’organiser une lente descente plutôt qu’une chute violente.

Je laisse donc le mot de la fin à Carsten Bzreski, économiste de la banque ING repris par l’AFP, qui a déclaré à propos des annonces de Mario Draghi que :
« Mais cela aidera-t-il à faire repartir l’économie ? Probablement pas mais la BCE a montré sa détermination et sa capacité à agir ! »
Ce qui peut être traduit par un lapidaire « ce que fait la BCE ne servira à rien mais tout le monde fait semblant de croire que ce que l’on fait sera efficace ! »  Si la situation n’était pas aussi dramatique, ce serait drôle.

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[1] Financial Times, 05/2013

[2] Cette section (avec quelques modifications que j'ai apportées) est sous licence ‘presslib’, c’est-à-dire libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Le Contrarien Matin est un quotidien de décryptage sans concession de l’actualité économique édité par la société AuCOFFRE.com. Section écrite par Charles SANNAT, directeur des études économiques. Merci de visiter notre site. Vous pouvez vous abonner gratuitement www.lecontrarien.com.

2014/06/05

Esprit, Survivance et Fraternité (l'Esprit Européen, partie 4)

L'ensemble de nos travaux serait vain si nous ne prenions pas d'abord conscience du fait décisif qui les domine : jamais l'humanité, même lors de la chute de Rome, n'a subi, en une seule génération une si profonde métamorphose. Dans le domaine de l'esprit comme dans tant d'autres, nous sommes en face d'une nouvelle civilisation. Non seulement nouvelle en face de celle du XIXe siècle, mais encore en face de toutes celles qui l'ont précédée. C'étaient les grandes civilisations agraires, et les conseillers des pharaons ou d'Alexandre étaient presque les mêmes que ceux de Napoléon. Mais si Napoléon eût pu assez facilement parler avec Ramsès des moyens de gouvernement il aurait grand mal à en parler avec le président Johnson, Staline, le Général de Gaulle ou Mao Tsé Toung.

Dans ce domaine de l'esprit, la première caractéristique de notre époque, c'est évidemment la diffusion des œuvres. Mais de façon plus complexe qu'il ne semble. Parce que les disques, les photos d’œuvres d'art, les traductions, le cinéma, la télévision, apportent la présence concrète de la première culture mondiale. L'humanité prend à la fois conscience des invincibles frontières qui la morcelaient, de l'impossible dialogue, par exemple, entre la civilisation aztèque et celle de la Chine ancienne - et des sentiments profonds qui nous unissent. Dans l'une des versions d'Anna Karénine, un metteur en scène américain, qui faisait jouer par une actrice suédoise, Garbo, le personnage illustre conçu par un romancier russe, a fait pleurer les foules de tous les continents. Chaplin a fait rire la terre entière. 

Prenons garde que ce n'est pas d'une juxtaposition des connaissances que nous sommes les premiers héritiers. Les statues africaines ou celles des hautes époques, qui entrent à côté des statues grecques dans nos musées et dans nos albums, ne sont pas des statues grecques de plus. Il ne s'agit pas de rivalité. La statue africaine n'est pas meilleure ou moins bonne : elle est autre. Elle met en question notre notion même de l'art, comme l'entrée en scène presque simultanée de toutes les cultures met en cause notre civilisation. La métamorphose apporte sa propre création. Qu'auraient eu à se dire Saint Paul et Platon ? Des injures ? Pour que leur dialogue devînt possible, il fallait que naquît Montaigne. 

Nous sommes chargés de l'héritage du monde, mais il prendra la forme que nous lui donnerons. 

C'est ici qu'entrent en jeu les grandes cultures nationales. Car, en même temps que notre siècle découvre la culture mondiale, il découvre, à sa grande surprise, le renforcement des nations. Par les grandes voix alternées de Marx et de Victor Hugo, le XIXe siècle avait proclamé la venue de l'Internationale politique. Peu après, Nietzsche annonçait : "Le XXe siècle sera celui des guerres nationales..." Partout les nations naissent ou renaissent. C'est Nietzsche qui a gagné. Mais prenons garde que les nations, dans notre siècle, ne sont plus ce qu'elles furent jadis. Le fait national est l'un des plus importants de notre temps, mais il n'est plus la base du nationalisme, il est, avant tout, un problème. [...]

Notre propre problème n'est donc nullement dans l'opposition des cultures nationales, mais dans l'esprit particulier qu'une culture nationale peut donner à la culture mondiale. Nous sommes de culture française, et entendons le rester parce que nous avons découvert la force de l'enracinement, la faiblesse de l'abstraction en ces matières. [...] 

Ce qui tient d'abord à la fonction nouvelle de la culture. Toutes les civilisations qui ont précédé la nôtre ont été des cultures religieuses, à l'exception de quelques siècles d'Occident. Pour les masses, les valeurs essentielles, le caractère exemplaire de l'homme étaient données par la foi. Pour la chrétienté entière, le type exemplaire de l'homme médiéval était le chevalier. Pour le Moyen Age, le lieu de la culture ce n'était pas la bibliothèque, c'était l'Eglise. 

La Renaissance a changé tout cela, parce que, pour un nombre d'hommes assez restreint, elle a inventé une antiquité exemplaire. Pour la Toscane de Laurent le Magnifique, l'antique n'est pas, comme pour nous, une civilisation parmi d'autres, l'objet d'une interrogation : l'antiquité, c'est Plutarque; le monde de Périclès, d'Alexandre et de César, où Néron glisse comme une ombre. Surtout, le monde des penseurs qui nous ont transmis une des plus nobles images de l'homme. C'est en ce temps que le mot culture a pris le sens que nous lui donnons encore. La Renaissance ne fut nullement anti-chrétienne. Son objet, ce fut d'unir Socrate et Bernard de Clairvaux, le sage et le saint, le héros et le chevalier. Ce qu'elle attendait du passé qu'elle ressuscitait, au temps où la chrétienté perdait sa puissance de cathédrale, c'était la défense de ses propres valeurs. 

Nous aussi. Mais de façon plus dramatique, parce que nos valeurs sont beaucoup plus menacées. 

Elles le sont d'abord parce que notre civilisation est une civilisation agnostique. Pour la première fois, le cosmos et l'homme sont irréductiblement dissociés. Nous connaissons mieux que tous nos prédécesseurs les lois de l'univers; mais à l'univers d'Einstein, l'homme n'est pas nécessaire, sauf pour le concevoir. Notre univers pourrait très bien se passer de l'homme. Nous le connaissons mieux qu'on ne l'a connu avant nous; mais quelle relation établissons-nous entre les lois de la matière et ce que nous révèle la psychanalyse ? 

Voici donc, pour la première fois, une civilisation que ses rêves frôlent ou possèdent et qui n'ordonne pas ses rêves. On a beaucoup dit que la machine excluait les rêves, ce que tout contredit. Car la civilisation des machines est aussi celle des machines à rêves, et jamais l'homme ne fût à ce point assiégé par ses songes, admirables ou défigurés. Mais jamais une pareille soumission à l'infantilisme n'aura proposé à tous les hommes de la terre un peuple de rêves qui ne signifient rien au-dessus de quinze ans. Les rêves n'ont pas d'âge ? Ils peuvent appartenir à une enfance qui est le pôle secret de la vie, ou à une enfance qui en reste le balbutiement. Pour la première fois, les rêves ont leurs usines, et pour la première fois, l'humanité oscille entre l'assouvissement de son pire infantilisme et La Tempête de Shakespeare. 

C'est pourquoi ce que tentent nos Maisons de la Culture, et ce que d'autres, dans d'autres pays, commencent à tenter après elles, a tant d'importance. Chaque civilisation a connu ses démons et ses anges. Mais ses démons n'étaient pas nécessairement milliardaires et producteurs de fictions. Quant aux anges, nous savons ceci. Tôt ou tard, l'usine de rêve vit de ses moyens les plus efficaces qui sont le sexe et le sang. Et une seule voix est aussi puissante que celle des instincts fondamentaux : celle de la survivance, que l'on appelait jadis l'immortalité. 

Pourquoi ? Nous l'ignorons, mais nous le constatons. Devant Le Cid, devant Macbeth, devant Antigone, nous découvrons que ce qui s'oppose au plus agissant langage des instincts, ce sont les paroles qui ont triomphé des siècles. L'oeuvre la plus puissamment basse ne prévaut pas contre l'écho de ce que la petite princesse thébaine disait au pied de l'Acropole : "Je ne suis pas venue sur la terre pour partager la haine, mais pour partager l'amour". 

La culture, c'est ce qui permet à notre civilisation de lutter contre ces usines de rêves ce qui permet de fonder l'homme l'Homme lorsqu'il n'est plus fondé sur Dieu. Ainsi sa fonction dans notre civilisation apparaît-elle clairement. Et avec elle l'absurdité du problème qui se pose depuis cinquante ans, celui de la rivalité des cultures vivantes. Il est sans intérêt de chercher si nous devons préférer la culture française à l'anglaise, l'américaine, l'allemande ou la russe. Parce que nous pouvons connaître - nous devons connaître - d'autres cultures que la nôtre; mais nous ne les connaissons pas de la même façon. Le colonel Lawrence disait par expérience que tout homme qui appartenait réellement à deux cultures (dans son cas, l'anglaise et l'arabe) perdait son âme. Pour atteindre la culture mondiale - ce qui veut dire, aujourd'hui, pour opposer aux puissances obscures les puissances d'immortalité - chaque homme se fonde sur une culture, et c'est la sienne. Mais pas sur elle seule. 

Nous avons vu les grandes nations, l'une après l'autre, donner aux grandes religions une forme particulière : le catholicisme devenir anglican, ou le bouddhisme indien devenir japonais. Encore le christianisme est-il d'abord devenu romain et chacune des grandes civilisations occidentales est-elle devenue grecque à sa manière. Je crois que pour maintes nations la culture française est en train de jouer le rôle médiateur que joua jadis la culture grecque. 

Ici se présente l'une des plus saisissantes aventures de l'esprit que notre siècle ait connues, celle de l'entrée des cultures africaines dans la civilisation universelle. Avec sa sculpture, sa danse, sa musique, l'Afrique a pris conscience de ses propres valeurs. On sait désormais que les Ancêtres ne sont pas des fétiches. Et il se trouve que ces valeurs fondamentales que le président Senghor proclame comme celles de la Négritude sont exprimées principalement par des Africains de culture française. Nous assistons à une puissante symbiose afro-latine. L'indépendance retrouvée, je la crois viable, pour les mêmes raisons qui rendirent viable la symbiose gallo-romaine. La Gaule s'est accordée à Rome en un temps où Rome était devenue universaliste. Or, si la culture française n'est pas la première culture du monde, où un temps où il n'y a plus de première culture du monde, elle est sans doute la plus universaliste. Il y a des peuples qui ne sont jamais plus grands que lorsqu'ils se replient sur eux-mêmes : l'Angleterre de Drake et de la bataille de Londres. Et il y en a d'autres qui ne sont grands que lorsqu'ils le sont pour tous les hommes. Sur toutes les routes de l'Orient, il y a des tombes de chevaliers français; sur toutes les routes de la Révolution, il y a des tombes de soldats français. Et sans doute est-ce à cause de la Révolution française que notre culture exprime mieux que d'autres les valeurs profanes qui ont succédé aux valeurs chrétiennes - ce qu'un Africain, et non un Européen, a nommé "l'appel de l'homme à l'homme, les grands besoins élémentaires de justice, de fraternité et d'amour". Peut-être est-ce en liaison avec les Etats-Unis que l'Afrique exprimera le plus puissamment, par la musique, son émotion et son malheur; mais c'est certainement à travers la culture française qu'elle exprime le plus puissamment sa liberté. 

Enfin, il existe un continent dont je ne parlerai que pour finir, puisqu'il n'est pas de langue française : c'est l'Amérique Latine. Il nous révèle de façon éclatante nos propres valeurs. Là nous voyons à quel point le lien entre la culture française et la Révolution française (qui se réclame tellement des écrivains !) a eu d'action sur le monde. Je me souviens de ma visite du petit musée de Puebla. Le conservateur, un instituteur mexicain, me parlait de son affection pour la France. Or, les murs étaient couverts de fresques qui représentaient les combats entre les troupes de Juarez et les zouaves de l'expédition du Mexique. Je marquai donc ma surprise : "Mais ça n'a aucune importance, dit-il, dans nos écoles, on apprend par coeur une dizaine de textes courts. Parmi eux, il y a la lettre de Victor Hugo à Juarez, écrite pendant les combats : Si vous êtes vainqueur, Monsieur le Président, vous trouverez chez moi l'hospitalité du citoyen; si vous êtes vaincu, vous y trouverez l'hospitalité du proscrit." Tous les petits indiens connaissent cette phrase. Pour eux, c'est la France. 

Je compris alors pourquoi, en Amérique latine, la révolution russe n'a pas effacé la nôtre; et pourquoi notre culture y est encore si vivante. Parce qu'une culture n'est pas seulement un ensemble de connaissances, mais aussi l'organisation d'une sensibilité, une transmission et une recréation des valeurs, un héritage particulier de la noblesse du monde. 

Et c'est, avant tout, une volonté. J'ai écrit jadis : la culture ne s'hérite pas, elle se conquiert. Ce qui doit nous unir, c'est l'objet de cette conquête. Nous avons vu, devant le monde africain, l'attitude américaine et l'attitude russo-marxiste. Nous ne voulons pas, à l'heure actuelle, d'un héritage américain ni russe. Pas davantage français. Mais nous voulons que la culture française retrouve en nous tous ce qui fit sa grandeur passée, la confiance en tous les hommes qu'elle a marquée par sa longue traînée d'espoir révolutionnaire, de tombeaux et de cathédrales. Il y a dix ans que j'ai proclamé, au nom de mon pays, devant l'Acropole illuminée : la culture ne connaît pas de nations mineures, elle ne connaît que des nations fraternelles. Tous ensemble, nous attendons de la France l'universalité, parce qu'elle seule s'en réclame. 

Messieurs, en ce temps où l'héritage universel se présente à nos mains périssables, il m'advient de penser à ce que sera peut-être notre culture française dans la mémoire des hommes, lorsque la France sera morte; lorsque, "au lieu où fut Florence, au lieu où fut Paris - S'inclineront les joncs murmurants et penchés"... Je pense qu'elle ne sera pas très différente de ce qu'elle est dans le coeur de l'instituteur de Puebla. Et qu'on trouvera quelque part une inscription semblable aux inscriptions antiques, qui dira seulement : En ce lieu naquit, un jour, la culture de la fraternité. 

(A. Malraux, 1901 - 1976 ; discours, 28 septembre 1968)

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Liens vers  les autres parties du thème l'Esprit Européen:
Partie 1
Partie 2
Partie 3
Partie 4 (cet article)
Partie 5
Partie 6

Sortir de la nuit (l'Esprit Européen - partie 3)

Une fois de plus, la nuit grecque dévoile au-dessus de nous les constellations que regardaient le veilleur d'Argos quand il attendait le signal de la chute de Troie, Sophocle quand il allait écrire Antigone - et Périclès, lorsque les chantiers du Parthénon s'étaient tus... Mais pour la première fois, voici, surgi de cette nuit millénaire, le symbole de l'Occident. Bientôt, tout ceci ne sera plus qu'un spectacle quotidien ; alors que cette nuit, elle, ne se renouvellera jamais. Devant ton génie arraché à la nuit de la terre, salue, peuple d'Athènes, la voix inoubliée qui depuis qu'elle s'est élevée ici, hante la mémoire des hommes : « Même si toutes choses sont vouées au déclin, puissiez-vous dire de nous, siècles futurs, que nous avons construit la cité la plus célèbre et la plus heureuse... »

Cet appel de Périclès eût été inintelligible à l'Orient ivre d'éternité, qui menaçait la Grèce. Et même à Sparte, nul n'avait, jusqu'alors, parlé à l'avenir. [...]

Le génie de la Grèce a reparu plusieurs fois sur le monde, mais ce n'était pas toujours le même. Il fut d'autant plus éclatant, à la Renaissance, que celle-ci ne connaissait guère l'Asie ; il est d'autant plus éclatant, et d'autant plus troublant aujourd'hui, que nous la connaissons. Bientôt, des spectacles comme celui-ci animeront les monuments de l'Égypte et de l'Inde, rendront voix aux fantômes de tous les lieux hantés. Mais l'Acropole est le seul lieu du monde hanté à la fois par l'esprit et par le courage.

En face de l'ancien Orient, nous savons aujourd'hui que la Grèce a créé un type d'homme qui n'avait jamais existé. La gloire de Périclès - de l'homme qu'il fut et du mythe qui s'attache à son nom - c'est d'être à la fois le plus grand serviteur de la cité, un philosophe et un artiste ; Eschyle et Sophocle ne nous atteindraient pas de la même façon si nous ne nous souvenions qu'ils furent des combattants. Pour le monde, la Grèce est encore l'Athéna pensive appuyée sur sa lance. Et jamais, avant elle, l'art n'avait uni la lance et la pensée.

On ne saurait trop le proclamer : ce que recouvre pour nous le mot si confus de culture - l'ensemble des créations de l'art et de l'esprit -, c'est à la Grèce que revient la gloire d'en avoir fait un moyen majeur de formation de l'homme. C'est par la première civilisation sans livre sacré, que le mot intelligence a voulu dire interrogation. L'interrogation dont allait naître la conquête du cosmos par la pensée, du destin par la tragédie, du divin par l'art et par l'homme. Tout à l'heure, la Grèce antique va vous dire :

« J'ai cherché la vérité, et j'ai trouvé la justice et la liberté. J'ai inventé l'indépendance de l'art et de l'esprit. J'ai dressé pour la première fois, en face de ses dieux, l'homme prosterné partout depuis quatre millénaires. Et du même coup, je l'ai dressé en face du despote. »

C'est un langage simple, mais nous l'entendons encore comme un langage immortel.

Il a été oublié pendant des siècles, et menacé chaque fois qu'on l'a retrouvé. Peut-être n'a-t-il jamais été plus nécessaire. Le problème politique majeur de notre temps, c'est de concilier la justice sociale et la liberté ; le problème culturel majeur, de rendre accessibles les plus grandes oeuvres au plus grand nombre d'hommes. Et la civilisation moderne, comme celle de la Grèce antique, est une civilisation de l'interrogation ; mais elle n'a pas encore trouvé le type d'homme exemplaire, fût-il éphémère ou idéal, sans lequel aucune civilisation ne prend tout à fait forme.

Les colosses tâtonnants qui dominent le nôtre semblent à peine soupçonner que l'objet principal d'une grande civilisation n'est pas seulement la puis­sance, mais aussi une conscience claire de ce qu'elle attend de l'homme, l'âme invincible par laquelle Athènes pourtant soumise obsédait Alexandre dans les déserts d'Asie : « Que de peines, Athéniens, pour mériter votre louange ! » L'homme moderne appartient à tous ceux qui vont tenter de le créer ensemble; l'esprit ne connaît pas de nations mineures, il ne connaît que des nations fraternelles. La Grèce, comme la France, n'est jamais plus grande que lorsqu'elle l'est pour tous les hommes, et une Grèce secrète repose au coeur de tous les hommes d'Occident. Vieilles nations de l'esprit, il ne s'agit pas de nous réfugier dans notre passé, mais d'inventer l'avenir qu'il exige de nous. Au seuil de l'ère atomique, une fois de plus, l'homme a besoin d'être formé par l'esprit. Et toute la jeunesse occidentale a besoin de se souvenir que lorsqu'il le fut pour la première fois, l'homme mit au service de l'esprit les lances qui arrêtèrent Xerxès. Aux délégués qui me demandaient ce que pourrait être la devise de la jeunesse française, j'ai répondu « Culture et courage ». Puisse-t-elle devenir notre devise commune - car je la tiens de vous.

Et en cette heure où la Grèce se sait à la recherche de son destin et de sa vérité, c'est à vous, plus qu'à moi, qu'il appartient de la donner au monde.

Car la culture ne s'hérite pas, elle se conquiert. Encore se conquiert-elle de bien des façons, dont chacune ressemble à ceux qui l'ont conçue. C'est aux peuples que va s'adresser désormais le langage de la Grèce ; cette semaine, l'image de l'Acropole sera contemplée par plus de spectateurs qu'elle ne le fut pendant deux mille ans. Ces millions d'hommes n'entendront pas ce langage comme l'entendaient les prélats de Rome ou les seigneurs de Versailles ; et peut-être ne l'entendront-ils pleinement que si le peuple grec y reconnaît sa plus profonde permanence - si les grandes cités mortes retentissent de la voix de la nation vivante.

Je parle de la nation grecque vivante, du peuple auquel l'Acropole s'adresse avant de s'adresser à tous les autres, mais qui dédie à son avenir toutes les incarnations de son génie qui rayonnèrent tour à tour sur l'Occident : le monde prométhéen de Delphes et le monde olympien d'Athènes, le monde chrétien de Byzance - enfin, pendant tant d'années de fanatisme, le seul fanatisme de la liberté.

Mais le peuple « qui aime la vie jusque dans la souffrance », c'est à la fois celui qui chantait à Sainte-Sophie et celui qui s'exaltait au pied de cette colline en entendant le cri d'Oedipe, qui allait traverser les siècles. Le peuple de la liberté, c'est celui pour lequel la résistance est une tradition séculaire, celui dont l'histoire moderne est celle d'une inépuisable guerre de l'Indépendance - le seul peuple qui célèbre une fête du « Non ». Ce Non d'hier fut celui de Missolonghi, celui de Solomos. Chez nous, celui du général de Gaulle, et le nôtre. Le monde n'a pas oublié qu'il avait été d'abord celui d'Antigone et celui de Prométhée. Lorsque le dernier tué de la Résistance grecque s'est collé au sol sur lequel il allait passer sa première nuit de mort, il est tombé sur la terre où était né le plus noble et le plus ancien des défis humains, sous les étoiles qui nous regardent cette nuit, après avoir veillé les morts de Salamine.

Nous avons appris la même vérité dans le même sang versé pour la même cause, au temps où les Grecs et les Français libres combattaient côte à côte dans la bataille d'Égypte, au temps où les hommes de mes maquis fabriquaient avec leurs mouchoirs de petits drapeaux grecs en l'honneur de vos victoires, et où les villages de vos montagnes faisaient sonner leurs cloches pour la libération de Paris. Entre toutes les valeurs de l'esprit, les plus fécondes sont celles qui naissent de la communion et du courage.

Elle est écrite sur chacune des pierres de l'Acropole. « Étranger, va dire à Lacédémone que ceux qui sont tombés ici sont morts selon sa loi... ». Lumières de cette nuit, allez dire au monde que les Thermopyles appellent Salamine et finissent par l'Acropole - à condition qu'on ne les oublie pas ! Et puisse le monde ne pas oublier, au-dessous des Panathénées, le grave cortège des morts de jadis et d'hier qui monte dans la nuit sa garde solennelle, et élève vers nous son silencieux message, uni, pour la première fois, à la plus vieille incantation de l'Orient : « Et si cette nuit est une nuit du destin - bénédiction sur elle, jusqu'à l'apparition de l'aurore ! ».

(A. Malraux, 1901 - 1976 ; Hommage à la Grèce, 28 mai 1959)

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Liens vers les autres articles de cette série:
Partie 1
Partie 2
Partie 3 (cet article)
Partie 4
Partie 5
Partie 6

2014/05/12

Combler le vide politique : Elections, Europe, mémoire et esprit politique


Combler le vide politique 


Elections, Europe, mémoire et esprit politique 

En guise de réponse au détestable silence de la télévision de "service public" sur l'Europe, François Hollande nous gratifie d’un court article paru le 8 Mai : « l’Europe que je veux ». Il nous semble important de mettre en évidence certains points de fuite qui auront échappé à la totalité des commentateurs. 

Ce message sur les Elections Européennes de notre Président, repris mot pour mot par le Premier Ministre hier soir au JT de TF1, est volontairement trop tardif. C’est une évidence institutionnelle de l’escamotage du débat politique sur la France et en France, sur l’Europe et en Europe et par extension : sur l’Occident et en Occident

Notre Président y fait appel à notre mémoire et à notre volonté politique. Ce sont les deux marches que nous allons utiliser à notre tour, mais avec la bonne perspective historique. En effet, savoir pour qui et pour quoi voter le 25 mai pour les élections européennes est la question qui tue, comme les massacres en Ukraine en sont le terrible rappel. C’est pourquoi 60 % des Français (un record) se disent intéressés par ces élections. Mais si 59 % refusent toute sortie de l'euro, c’est la confusion qui règne dans les esprits, même chez les leaders de la société civile. C’est à l’éclaircissement de ces deux questions : pour quoi ? pour qui ? que nous voulons contribuer. Il s’agit de clairement mettre les mots sur notre plus grand mal actuel : le vide politique dans les pays européens, entrelacé à notre vide stratégique

De quoi le 8 mai est-il le souvenir? 

Si cette « victoire fut celle de la liberté », qu’en reste t’il aujourd’hui ? Comment expliquer que cette « liberté » puisse justifier dans la bouche de nos représentants les actes atroces commis en Ukraine, consentis sinon soutenus aujourd’hui tout en étant rejetés par les mêmes quand il s’agit de parler de la Shoah? 

Une seule explication est possible : cette liberté n’en est plus une. Depuis la fin de la parenthèse gaulliste, la France a subi l’érosion de son indépendance, et de ses voix les plus éclairées. Chaque européen doit se poser cette question vis-à-vis de l’histoire de son pays depuis la deuxième guerre mondiale. 

Le 8 mai 1945 n’a décidément pas « conjuré l'un des plus grands dangers qui aient jamais menacé l'humanité. » Si dans l’esprit de notre président, comme dans le nôtre, ce danger s’appelle fascisme, alors il faut rappeler les actes caractérisant la superpuissance états-unienne: la proximité [1] et le soutien depuis les années 1920 des mouvements nazis [2] ou groupes parafascistes [3] dans de très nombreux pays [4] et dernièrement en Ukraine [5]. 

Citons en particulier l’Opération PaperClip de récupération des Nazis allemands dans l’appareil militaro-industriel à la fin de la guerre mondiale, ainsi que les réseaux d’insurrection Gladio (Stay-behind) dans toute l’Europe [6] – la tuerie en 2011 d’Anders Behring Breivik près d’Oslo en Norvège [7], et le dernier coup d’Etat en Ukraine nous rappelant que ces réseaux dormants existent encore bel et bien de nos jours dans nos pays européens. 

Rappelons aussi que l’état profond des Etats-Unis, état policier, n’a pas d’alliés : ils n’a que des serviteurs qu’ils espionnent en masse jusqu’au plus haut niveau des Etats, sans que nos leaders politiques n’en frémissent. Belle liberté que nous avons gagnée en vérité ! 

Le mobile de l’Histoire 

Non, à la différence d’Hitler le fascisme et le néonazisme ne sont pas morts, pour une raison historique restée oubliée trop longtemps : dès le départ, le développement de ces idéologies réactionnaires a été soutenu financièrement par des grands banquiers et magnats de l’industrie [2], qui ont aussi usé de leur influence dans les médias pour créer un système de confrontation avec le courant politique marxiste lequel connaissait une expansion mondiale. Cette manœuvre politique sans précédent à cette échelle planétaire repose sur un principe d’escamotage analysé dès 1932. [8] En voici le résumé : 

Dans chaque pays, le nouveau système politique doit créer un équilibre par la confrontation entre les dialectiques marxistes et fascistes. Placées aux extrêmes de l’échiquier politique, la progression de cette confrontation vise à vider le centre politique, et à entretenir une illusion. 

Prenons une image : l’ensemble formé par deux lourdes barres en métal visées dans un petit morceau de bois en étant diamétralement opposées peut tenir en équilibre. L’équilibre des forces reste le même si le poids de chaque barre est concentré à son extrémité : c’est le centre qui est vidé. 

Allons plus loin encore : cet ensemble peut maintenant être mis en équilibre sur la pointe d’une aiguille, placée sous le centre du morceau de bois. Ainsi l’ensemble peut se même se mettre à tourner autour de l’aiguille. Ce mobile décrit précisément le système politique occidental depuis le XXème siècle: alors que toute la sphère politique est obnubilée par la confrontation avec l’autre extrême, personne ne se rend compte que tout tourne en fait autour de la petite aiguille, en dessous, là où se trouvent les artisans de cette politique profonde.
Ce sont eux qui peuvent par leur action facilement déterminer l’orientation de l’équilibre politique visible. Et le vrai débat politique, celui qui organiserait la confrontation dialectique avec ceux qui ont le vrai pouvoir, reste complètement escamoté, invisible de tous pendant des décennies. Comment les électeurs pourraient-ils maintenant s’étonner que le parti soi-disant dominant, qu’il soit de droite ou de gauche, ne change rien à la situation? Pour conclure: la seule dialectique politique efficace à notre époque ne doit pas être droite contre gauche, mais d’abord citoyens et société civile contre artisans de l’Etat profond. Parce qu'avant le choix d'une politique d'orientation, il faut regagner notre liberté.

Décider ou être poussé dans le dos ? 

Dans ce système d’influence invisible, on comprend mieux pourquoi les chaines de télévision ont voté Front national pour l’Election européenne, et pourquoi le gouvernement est si timide dans cette campagne où « il s'agit, ni plus ni moins, de décider du sort de notre continent, de son rôle dans le monde, du modèle de société que nous voulons promouvoir. » Notre analyse nous fait dire que beaucoup d’influence a été utilisée pour que le Front National obtienne le plus haut score possible dans cette élection. Celle-ci n’aura pas d’effet direct sur les lois nationales puisque les prérogatives du Parlement Européen sont très faibles et ses députés frileux comme nous l’avons déjà dit. Il s’agit d’utiliser le séisme médiatique causé en France pour instiller la peur et faire passer ensuite des lois et traités atlantistes, comme le TTIP: si l’Europe pouvait être bientôt assimilée à un Parlement d’extrême-droite, il serait facile de faire accepter aux citoyens qu’on ne peut que «choisir» de se rapprocher d’un bienveillant et protecteur « grand frère américain ». 

Dans les démocraties occidentales, la liberté des citoyens c’est surtout de se faire duper, et celle des partis d’être instrumentalisé par des procédés dont l’origine leur échappe dans les profondeurs de l’histoire. 

Les conditions de la volonté souveraine

Dans ces conditions, on comprend que la première priorité que l’on doit attendre d’une élection n’est pas d’abord l’expression d’une volonté (fusse-t’elle celle du Président) mais bien celle des conditions pour pouvoir exprimer cette volonté. 

Ces conditions sont pour nous les suivantes, puisque la volonté authentique ne peut pas naître sans indépendance dans les actes et dans les pensées : 
  • La France doit retrouver l’indépendance de sa politique étrangère. Elle doit donc commencer par sortir de l’OTAN. Aucun traité à trahir, juste une lettre à envoyer comme le fit le général de Gaulle; 
  • La France doit retrouver ses valeurs. Le chemin sera long mais il commence sur celui de Damas. La France doit présenter ses excuses pour ses erreurs stratégiques en Syrie, en Lybie, en Ukraine, en Afghanistan et vis-à-vis de l’Iran; 
  • La France doit retrouver l’indépendance de sa diplomatie. Elle doit donc condamner catégoriquement tous les actes d’espionnage des Etats-Unis, démonter l’installation de la NSA sur le câble sous-marin à Toulon ; 
  • Le gouvernement de la France doit retrouver la confiance de ses citoyens et protéger leurs libertés. Il doit donc dénoncer tous les « partages d’informations de masse » avec la NSA et le GCHQ, renoncer à l’article 20 de la LPM, déployer des nouvelles infrastructures plus résilientes (par exemple rejoindre l’internet des BRICS) ; il doit aussi assurer une revue entièrement transparente du TTIP avec la société civile. Par exemple en aucun cas des intérêts corporatistes ne peuvent prévaloir sur les Etats en cas de litige. Aucun standard européen ne peut être diminué. Aucun OGM introduit, etc ; il doit aussi retirer toute machine à voter (qui sont à juste titre interdites en Allemagne). 

Ceci vaut pour la France, mais aussi pour l’Europe si on y ajoute : 
  • le désaveu du Service pour l’Action Extérieure de la Commission Européenne, et demande expresse de le cantonner à exécuter seulement les décisions prises par le Conseil Européen, en restreignant fortement son autonomie ;
  • la demande du retrait de toutes les troupes militaires américaines stationnées en Europe et ses territoires d’Outre-Mer. 

Voilà sur quel esprit chaque parti devrait se prononcer explicitement avant les élections. Sans l’établissement de ce socle préalable qui dépasse tous les clivages traditionnels droite-gauche, tout débat sur la construction européenne et le « Progrès » reste une vaine illusion. 
Cela permettrait aux électeurs d’effectuer un premier tri et de faciliter grandement le choix du « pour qui ». 
Et pour ceux qui après réflexion préfèrent l'abstention, ils choisissent donc de sortir du système politique actuel. Ils devraient aller au bout de leur logique et acheter avec leur euros des pièces d'or, ou adhérer à un système de monnaie locale (SEL). 

Vers une stratégie Euro-BRICS 

Sur le « pour quoi », ensuite: cet esprit d’indépendance permettra à la France, à l’Euroland, et à l’Europe de décider dans quelle stratégie s’engager. 
Notre préférence va logiquement à soutenir le développement des relations Euro-BRICS, parce que c’est la voix la plus porteuse dans la crise du système monétaire international, actuellement dans sa phase terminale. Le débat sur sortir ou non de l’euro n’a pas de sens si on ne répond pas d’abord à cette question brûlante. Nos préconisations sont donc : 
  • Affirmation du rôle positif pour l’Europe des récentes annonces de l’établissement du clearing en Yuan à Londres et à Francfort;
  • Affirmation de la volonté de tout mettre en œuvre pour que la France intègre dès que possible le nouveau système monétaire et financier en construction, en commençant par le souhait de faire entrer la France comme membre de la nouvelle Banque Mondiale de Développement initiée par les pays BRICS ;
  • Affirmation du rôle moteur qu’entend jouer la France parmi les pays de la zone euro avec ce programme, dans la seule ambition de créer de nouvelles synergies et un mouvement positif en levant les blocages existants ;
  • Affirmation de la volonté de la France de jouer désormais un rôle leader dans la définition et l'instauration rapide des nouvelles régulations bancaires, contre l'évasion fiscale, et notamment aussi concernant une union bancaire européenne la plus efficace possible ;
  • Développement d’une nouvelle stratégie visant à redynamiser les relations de la France avec les pays BRICS ; annonce d’une tournée diplomatique des leaders européens dans chaque capitale des pays BRICS. 

A partir de là, il s’agira pour chacun de se mettre humblement à la tâche de combler nos vides. 


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[1] Robert Parry, 'Secrecy & Privilege: Rise of the Bush Dynasty from Watergate to Iraq', The Media Consortium, 2004. 

[2] a) The Guardian, 09/2004 ; b) Antony C. Sutton, 'Wall Street and the Rise of Hitler', G S G & Associates Pub, 1976 ; voir aussi cette interview du Pr. Sutton.

[3] Peter Dale Scott, ‘Transnationalised Repression; Parafascism and the U.S.’, Lobster magazine, Issue 12, 1986. 

[4] Salon.com, 03/2014 ; Pour un aperçu des crimes de guerre commis depuis 1945, voir Jeremy Kuzmarov, 'Bomb After Bomb: US Air Power and Crimes of War From World War II to the Present', The Asia-Pacific Journal, Vol 10, Issue 47, No. 3, November 19, 2012. 

[5] Global Research, 03/2014. 

[6] Flux RSS des archives du département ISN à l'Institut Fédéral Suisse de Technologie à Zurich sur les réseaux Gladio ; Interview du Dr Ganser (12/2005) ; Documentaire de la BBC (06/1992). 

[7] Global Research, 08/2011. 

[8] J’ajouterai la référence dans un mois. Le lecteur qui la retrouvera dans l’intervalle gagne mon estime ! 


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Mise à jour:
2014/5/14: ajout de la référence 2 b)

2014/05/03

Deep Politics and the Deep State

[This is the english translation of the original article - Ceci est la traduction de l'article original paru en français]

The "deep politics" concept has been coined by Pr. Peter Dale Scott. The first occurrence in a published work appeared year 1993.[1] In this book Scott coined the terms "deep political system" and his study as "deep political analysis" too. 

The goal of this article is to synthesize the proposed definitions and those for associated concepts. The approach of deep politics is fundamental and essential for a better understanding of power legitimacy in the current political affairs. This announces the openness of a new and large field in political sciences, with an impact similar to the release of The Prince by Niccolò Machiavelli.

With the rise since the second world war of socio-technical systems remained hidden from Parliament's control (like systems for mass surveillance of citizens) deep politics are in our view a comprehensive approach to how power acts -- from the design of the stakes up to the decision-making process -- that becomes much more relevant. Note however, that events caused by deep politics (deep events) have been identified since the Roman Republic. Thus its relevance is not limited to a certain American country in the XXI-st century. It is symbiotic of power, and valid at all times and in all places, to different degrees and different scales.

It is of paramount importance to civil society in each country to put a word defining this danger, which if it not managed can lead to the death of democracy.[2] If there is a word available to link a concept, then we can discuss this concept and study it as a tangible question, instead of an evanescent risk or a vague scare felt during a moonless night.[3] U.S. civil society has mastered this approach and has published more than 32.000 pages of studies since 1995 [4] in order to clarify in a comprehensive, consistent and public way all the details surrounding the death of JFK, that the American public state has refused to do for 50 years.

Some academic literature on State Crimes against Democracy (SCAD), that is to say, ultimately against citizens, exists but is still few in number.[5] This can be explained by the exceptional societal difficulty to publish on this subject since the 40s and by the fact that this literature comes in a second time to consolidate the theoretical contributions of numerous books and essays written by civil society (including scholars), retrospectively documenting SCAD in a historiographical way.[6]

In November 1996 [7] appeared in interviews and political studies the term "deep state", first within Turkey.[8] Démirel, former President of Turkey, has said: [9] 
“There is one deep state and one other state, […]. The state that should be real is the spare one, the one that should be spare is the real one.”
Prime Minister Erdoğan also said: [10] 
“Every state has its own deep state; it is like a virus; it reappears when conditions are suitable. We continue fighting these structures. We cannot of course argue that we have completely eliminated and destroyed it because as a politician, I do not believe that any state in the world has been able to do this completely.”
It is very significant to note that a related concept (the dual state) was proposed by Fraenkel in 1941 to characterize Nazi Germany.[11] He thought that the Nazi regime consisted in fact of two distinct states: a "normative" one and a "prerogative" one. In the first one administrative and judiciary bureaucracy acts according to rules; in the second one the Party, especially the Gestapo, act without any ultimate legal constraint. The prerogative state, of course, has in practice full power and can arbitrarily replace the normative state's actions in whole or part.

It is relevant to mention General MacArthur’s Cleveland speech of September 6, 1951 in the course of which the Mt. Vernon Register-News reported that :
[...] he cited the State Department as an example of what he called a "steady drift toward totalitarian rule." He said the department is assuming the character of a "prime ministry." [11b] 
The Sarasota Herald Tribune gave others details :
General Douglas MacArthur said Thrusday night he has noted a "steady drift toward totalitarian rule" and suppression of individual liberties in the United States.
In a speech bristling with attacks on the Truman administration, he said that if the trend is not stopped, it could lead to a dictatorship.
"This drift has resulted in an increasingly dangerous paternalistic relationship between federal government and private citizens, with the mushrooming of agency after agency to control the individual," the general asserted.
The speech, in which he said the administration's leaders are not to be trusted,... 
[11c] 
The San Bernardino Sun reported :
His speech, latest in a series of major policy addresses, was devoted almost equally to domestic and foreign issues. It contained four central points :
1. That "our leaders" have lost the military victory gained in World war II, through a too rapid disarmament and diplomatic blunders, and that they can no longer be trusted now.
2. That the United Nations, as an organization, is "inherently weak," and is threatened with failure.
3. That the time may come when Japan may be "firmly established within the protective folds of our own cherished liberties, while we ourselves shall have lost them." 
STEADY DRIFT NOTED 
4. That since his return from the Orient, he has noted our "steady drift toward totalitarian rule with the suppression of those personal liberties which have formed the foundation stones to our political, economic and social advance to national greatness." MacArthur, amplifying the last point, went on to say: "If long countenanced by free men, it can but lead to those controls upon conviction and conscience which traditionally have formed stepping stones to dictatorial power." [11d]
The Rome News - Tribune reported :



In 1955 Morgenthau used the concept of dual state to characterize the United States.[12] O. Tunander summarized it: "There was on the one hand the regular democratic state hierarchy that acts according to the rule of law, and, on the other hand a more or less hidden security hierarchy, [...] that monitors and controls the former, or at least is able to "exert an effective veto over its decisions" to quote Morgenthau.
[...] In fact, this parallel security structure, [...] what some would call the "deep state", is the very apparatus that defines when and whether a "state of emergency" will emerge. This aspect of the state is what Carl Schmitt in his work Politische Theologie from 1922 qualifies as the "sovereign"." [12b,c]
We immediately note that the integration of the state of emergency is one of the key concepts on which the US deep state spent the last decades of the twentieth century.[13a] See below the distinction between Tunander and Scott about the exact meaning of the term 'deep state'.

It is in this context of deep state that we must also understand the famous farewell address of President Dwight Eisenhower January 17, 1961 as well as the one of President John F. Kennedy "The President and the Press" given for American Newspaper Publishers Association at the Waldorf-Astoria Hotel, New York City, April 27, 1961 ten days after the Bay of Pigs failed invasion by the CIA. But also in the perspective of F.D. Roosevelt April 29, 1938 speech "Message to Congress on Curbing Monopolies" who stated : [13e]

"Unhappy events abroad have retaught us two simple truths about the liberty of a democratic people.

The first truth is that the liberty of a democracy is not safe if the people tolerate the growth of private power to a point where it becomes stronger than their democratic state itself. That, in its essence, is Fascism—ownership of Government by an individual, by a group, or by any other controlling private power.

The second truth is that the liberty of a democracy is not safe if its business system does not provide employment and produce and distribute goods in such a way as to sustain an acceptable standard of living.

Both lessons hit home.

Among us today a concentration of private power without equal in history is growing."
December 23, 1913 the term "The Invisible Government" was used by Congressman Lindbergh in the Federal Reserve Act debate : "When the President signs this bill, the invisible government by the Monetary Power will be legalized.[13f] This term was used 1928 by Edward Bernays [13h] and again in the 60's. [13b] Pr. Antony C. Sutton also used it after 1972, but only with a focus on US foreign policy acted by the public state and the links with private firms (industries, banks, medias, think tanks). He did not explore the links with state agencies like CIA.

In 2014 in the context of the NSA scandal, Pr. Michael J. Glennon reused the "Double Government" theory, a term coined by Bagehot [13c], in his excellent sociological and constitutional study of the recent US administrations : 
"National security policy in the United States has remained largely constant from the Bush Administration to the Obama Administration. This continuity can be explained by the “double government” theory of 19th-century scholar of the English Constitution Walter Bagehot. As applied to the United States, Bagehot’s theory suggests that U.S. national security policy is defined by the network of executive officials who manage the departments and agencies responsible for protecting U.S. national security and who, responding to structural incentives embedded in the U.S. political system, operate largely removed from public view and from constitutional constraints."
Glennon also mentioned the term "deep structure" used by H. Heclo in 1999 but this one was limited to describing "those elements that remain the same when the administration changes." [13d]

Glennon did not study the illegal and covert actions by the deep state like Scott has done. But we can note these sentences, p. 99 :
"Inspectors general were set up within federal departments and agencies in 1978 as safeguards against waste, fraud, abuse, and illegality, but the positions have remained vacant for years in some of the government’s largest cabinet agencies, including the departments of Defense, State, Interior, and Homeland Security.[...]  
The CIA’s Office of Inspector General “has generally produced better results when addressing discrete, isolated problems,” but “when the largest problems surfaced, the statutory OIG did not add significant remedial value”; 
When it was Dana Priest who broke The Washington Post story about secret CIA prisons—prisons that OIG had not investigated before the story— it leads to the conclusion that intelligence insiders deem Ms. Priest (or Mr. Risen, or Mr. Lichtblau, or Mr. Pincus, or any other investigative reporter) a more effective agent of change than OIG. And not only did the whistleblower choose Ms. Priest either instead of, or in addition to, OIG, he or she did so despite the risk of being disciplined, discharged, or even arrested for disclosing secrets to a reporter.”

Daniel Inouye was chairing a special committee (Senate Select Committee on Secret Military Assistance to Iran and the Nicaraguan Opposition) from 1987 until 1989 in the Iran-Contra investigations of the 1980s. During the hearings, Inouye referred to the operations that had been revealed saying:
"[There exists] a shadowy Government with its own Air Force, its own Navy, its own fundraising mechanism, and the ability to pursue its own ideas of the national interest, free from all checks and balances, and free from the law itself." [13g]
We used the term deep state in 2012 into a chronological description of U.S. political events during the last century [14] in acknowledgment of Scott's work, who used it himself since 2007.[15]

Today the deep state is the term mostly used in mainstream media [16] but its explanation remains very simplistic and often confusing.

Definitions and meanings

Scott's works offer the most comprehensive contribution, and historically make reference.

About parapolitics [17] and the relations with deep politics[18]
"...the investigation of parapolitics, which I defined (with the CIA in mind) as a `system or practice of politics in which accountability is consciously diminished.'...I still see value in this definition and mode of analysis. But parapolitics as thus defined is itself too narrowly conscious and intentional... it describes at best only an intervening layer of the irrationality under our political culture's rational surface. Thus I now refer to parapolitics as only one manifestation of deep politics, all those political practices and arrangements, deliberate or not, which are usually repressed rather than acknowledged."
About the deep political system and its analysis :
“A deep political system or process is one which habitually resorts to decision-making and enforcement procedures outside as well as inside those publicly sanctioned by law and society. In popular terms, collusive secrecy and law-breaking are part of how the deep political system works. […]
Deep political analysis focuses on the usually ignored mechanics of accommodation. From the viewpoint of conventional political science, law enforcement and the underworld are opposed to each other, the former struggling to gain control of the latter. A deep political analysis notes that in practice these efforts at control lead to the use of criminal informants; and this practice, continued over a long period of time, turns informants into double agents with status within the police as well as the mob. The protection of informants and their crimes encourages favors, payoffs, and eventually systemic corruption […] where the controlling hand may be more with the mob than with the police department it has now corrupted.”[19]
It is important to understand that this mechanism has no limit of dissemination in the political system: in 1985 the CIA director and ex-FBI director testified in favor of Jacquie Press (a member of Reagan presidential team and also one of the leaders of the Teamsters mob) stating that his illegal activities had been authorized. [20]
“A deep political analysis enlarges traditional structuralist analysis to include indeterminacies analogous to those which are studied in chaos theory. A deep political system is one where the processes openly acknowledged are not always securely in control, precisely because of their accommodation to unsanctioned sources of violence, through arrangements not openly acknowledged and reviewed.”[21]
About the deep state and the relations with the public state :

According to Scott, the political organization in a country « correspond to two overlapping systems of statal institutions: the deep state and the public state. The second interacts with and is responsive to civil society, especially in a democracy; the first is immune to shifts in public opinion.

Thus the deep state is expanded by covert operations; the public state is reduced by them. Following the same distinction as Hans Morgenthau in his discussion of the dual state, Ola Tunander talks of a “democratic state” and a “security state.” His definitions focus more on the respective institutions of the dual state; mine, on their social grounding and relationship to the power of the "overworld"
» [that is to say the realm of wealthy or privileged society that, although not formally authorized or institutionalized, is the scene of successful influence of government by private power].

« Deep state and security state are not quite identical. By the deep state I mean agencies like CIA, with little or no significant public constituency outside of government. By the security state, I mean above all the military, an organization large enough to have a limited constituency and even in certain regions to constitute an element of local civil society. The two respond to different segments of the overworld and thus sometimes compete with each other. »

« Archival history is a chronological record of events, as reconstructed by archival historians from public records; as opposed to deep history, which is a chronology of events concerning which the public records are often either falsified or nonexistent. » [22]

About influence and geopolitical strategies, the main difference between a public state and a deep state is that the latter is not limited to agreed frontiers and to its embassies. It is present where lies and moves each of his pieces. Collusion with trans-national companies and organizations (NGOs, but also relay antennas within institutions) gives it momentum. P.D. Scott has called this the supranational deep state. [23] 

P.D. Scott summarized his fundamental ideas on deep politics in this video :


... and in this interview too:

 




[1] “Deep Politics and the Death of JFK”, Peter Dale Scott, Berkeley and Los Angeles: University of California Press, 1993. Scott explained (pp. vii) this book was written from two manuscripts released in 1971 and 79.
[2] Agile-Democracy.net (03/07/2014) ; Agile-Democracy.net (01/26/2014) ; Agile-Democracy.net (02/01/2014)
[3] I published this article 3/15/2014 in a period when the non elected leaders of European Commission force all EU citizens to take commitments in a fast track mode without following regular processes, that are opposed to what the EU people wish: integration of Ukraine into EU, signature of TTIP agreement with the US, and soon new laws restricting liberties because supposedly « the EU is not any more in security and must do everything possible to protect herself from Russia ». Think about it when you will count the NATO boots in your streets. (Update 5/3/2014: for instance read this published 4/24/2014).
[4] JFK / Deep Politics Quarterly (1995 – 2013).
[5] a) in “Government of the shadows: Parapolitics and Criminal Sovereignty”, Dr Eric Wilson, éditeur, 2009, London: Pluto Press (A copy of O. Tulander's article is here); b) Six articles published in American Behavioral Scientist, February 2010; 53 (6) ; See a copy of the article written by L. deHaven-Smith here to separate and distinguish between SCAD and what is called "conspiracy theory" ; c) in « The Dual State - Parapolitics, Carl Schmitt and the National Security Complex », Dr Eric Wilson, Ed., 2012, Ashgate Publishing Ltd.
[6] For instance, the two lists of books mentioned here.
[7] "The Rise and Decline of the Turkish “Deep State”: The Ergenekon Case", Serdar Kaya, Insight Turkey (Vol. 11, No. 4, Fall 2009, pp.99-113)
[8] a) See Wikipedia.org for the use of this term about Turkey ; b) The New Yorker (03/2012); c) See in the case of Egypt: OnReligion.co.uk (07/2013), GlobalPost (09/2013), GlobalPost (01/2015) ; DNAIndia (04/2014) about deep state in  India; Maine's NPR News Source (01/2015) about Argentina.
[9] Washington Report on Middle East Affairs (January/February 2006) ; NTV (11/2005)
[10] "What is deep state?", Markar Esayan, Today’s Zaman (12/2012)
[11] “The Dual State. A Contribution to the Theory of Dictatorship”, Ernst Fraenkel, translation from the German by E. A. Shils, in collaboration with Edith Lowenstein and Klaus Knorr, Oxford University Press, New York, 1941 ; Fraenkel lived in the U.S. starting 1939 and worked for Carnegie Endowment for International Peace and US government between 1942 and 1951, and closely with the Office of Strategic Services (OSS), a predecessor of the CIA -- as explained by Gerhard Göhler, Dirk Rüdiger Schumann: Vorwort zu diesem Band, in: Ernst Fraenkel. Gesammelte Schriften, Band 3, Neuaufbau der Demokratie in Deutschland und Korea, Baden-Baden 1999, Pp 9–49. The US government has then paid for his return back in Germany. This could explain why he described only positively the US political system in his 1960 book titled « Das amerikanische Regierungssystem ».
[11b] Mt. Vernon Register-News, 7 September 1951, p 2.
[11c] Sarasota Herald Tribune, 7 September 1951, p 1.
[11d] San Bernardino Sun, 7 September 1951, p 1.
[12] Hans J. Morgenthau, in Bulletin of Atomic Scientists, 1955 ; Reprinted in « Politics in the Twentieth Century, Vol. 1: The Decline of Democratic Politics », Hans J. Morgenthau, Univ. Chicago Press, 1962.
[12b] "Dual State: The Case of Sweden", Ola Tunander, in Eric Wilson, ed., "The Dual State: Parapolitics, Carl Schmitt and the National Security Complex", Ashgate, 2012, pp 171–192.
[12c] "Securitization, Dual State and US-European Geopolitical Divide or The Use of Terrorism to Construct World Order", Ola Tunander, Fifth Pan-European International Relations Conference, The Hague, 9-11 September 2004.
[13a] See the chapter about Continuity of Government (COG) in "The road to 9/11 - Wealth, Empire, and the Future of America", Peter Dale Scott, University of California Press, 2007.
[13b] "There are two governments in the United States today. One is visible. The other is invisible. The first is the government that citizens read about in their newspapers and children study about in their civics class. The second is the interlocking, hidden machinery that carries out the policies of the United States in the Cold War. The second invisible government gathers intelligence, conducts espionage and plans and executes secret operations all over the globe." (David Wise, Thomas B. Ross, 'The Invisible Government', Random House, 1964) ;  Quoted by J. Kuzmarov.
[13c] Walter Bagehot, The English Constitution, 1867.
[13d] Michael J. Glennon, "National Security and Double Government", Harvard National Security Journal, Vol. 5, 2014, Pp 1-114. A short review can be found here.
[13e] F.D. Roosevelt, "Message to Congress on Curbing Monopolies", April 29, 1938.
[13f] Speech before the House of Representatives by C.A. Lindbergh (1859-1924), December 22, 1913, Congressional Record, Vol. 51, p. 1446.
[13g] Speech before the Senate Select Committee on Secret Military Assistance to Iran and the Nicaraguan Opposition, 1987.
[13h] "The conscious and intelligent manipulation of the organized habits and opinions of the masses is an important element in democratic society. Those who manipulate this unseen mechanism of society constitute an invisible government which is the true ruling power of our country. We are governed, our minds are molded, our tastes formed, our ideas suggested, largely by men we have never heard of. This is a logical result of the way in which our democratic society is organized." (Edward Bernays, "Propaganda", 1928, Pp. 37).
[14] Conscience-sociale.org (09/2012).
[15] “Road to 9/11 - Wealth, Empire, and the Future of America”, Peter Dale Scott, University of California Press, 2007 ; Global Research (06/2008).
[16] The Guardian (07/2013) ; Financial Times (07/2013) ; Huffington Post (07/2013) ; WSJ (10/2013) ; New York Times (12/2013) ; Tom Hayden in the Huffington Post (07/2013) called it "state within a state" ; Note also Moyers & Company (02/2014) ; Charles Hugh Smith (02/2014) ; Huffington Post (03/2014).
[17] The term parapolitics (that has a different meaning than the deep state) was used by P.D. Scott in one of his first book published in 1972. In 1977 the term parafascism appeared.
[18] “Deep Politics and the Death of JFK”, Peter Dale Scott, Berkeley and Los Angeles: University of California Press. 1993, pp. 6-7.
[19] Ibid, pp xi-xii
[20] See the sources listed on Wikipedia about this lawsuit.
[21] Ibid, pp xiii
[22] “Road to 9/11 - Wealth, Empire, and the Future of America”, Peter Dale Scott, University of California Press, 2007, pp. 267-271.
[23] Peter Dale Scott, "The State, the Deep State, and the Wall Street Overworld", The Asia-Pacific Journal, Volume 12, Issue 10, No. 5, March 10, 2014.

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Updates:
05/03/2014 : added a new link in Ref 3
05/09/2014 : added MacArthur speech and references 11b, c, d ; precisions added in ref 11.
05/15/2014 : added a § about the 'invisible government'.
06/05/2014 : added Refs 13c, 13d and corresponding §
06/09/2014 : added Ref 13a and corresponding § ; added Ref 8b ; added new links in Ref 16 and Ref 8c
09/29/2014 : added Refs 12b, 12c
10/10/2014 : added Ref 13f
01/31/2015 : updated Ref 8c
03/03/2015 : added Ref 13g
05/11/2016 : added Ref 13h