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2014/06/05

Sortir de la nuit (l'Esprit Européen - partie 3)

Une fois de plus, la nuit grecque dévoile au-dessus de nous les constellations que regardaient le veilleur d'Argos quand il attendait le signal de la chute de Troie, Sophocle quand il allait écrire Antigone - et Périclès, lorsque les chantiers du Parthénon s'étaient tus... Mais pour la première fois, voici, surgi de cette nuit millénaire, le symbole de l'Occident. Bientôt, tout ceci ne sera plus qu'un spectacle quotidien ; alors que cette nuit, elle, ne se renouvellera jamais. Devant ton génie arraché à la nuit de la terre, salue, peuple d'Athènes, la voix inoubliée qui depuis qu'elle s'est élevée ici, hante la mémoire des hommes : « Même si toutes choses sont vouées au déclin, puissiez-vous dire de nous, siècles futurs, que nous avons construit la cité la plus célèbre et la plus heureuse... »

Cet appel de Périclès eût été inintelligible à l'Orient ivre d'éternité, qui menaçait la Grèce. Et même à Sparte, nul n'avait, jusqu'alors, parlé à l'avenir. [...]

Le génie de la Grèce a reparu plusieurs fois sur le monde, mais ce n'était pas toujours le même. Il fut d'autant plus éclatant, à la Renaissance, que celle-ci ne connaissait guère l'Asie ; il est d'autant plus éclatant, et d'autant plus troublant aujourd'hui, que nous la connaissons. Bientôt, des spectacles comme celui-ci animeront les monuments de l'Égypte et de l'Inde, rendront voix aux fantômes de tous les lieux hantés. Mais l'Acropole est le seul lieu du monde hanté à la fois par l'esprit et par le courage.

En face de l'ancien Orient, nous savons aujourd'hui que la Grèce a créé un type d'homme qui n'avait jamais existé. La gloire de Périclès - de l'homme qu'il fut et du mythe qui s'attache à son nom - c'est d'être à la fois le plus grand serviteur de la cité, un philosophe et un artiste ; Eschyle et Sophocle ne nous atteindraient pas de la même façon si nous ne nous souvenions qu'ils furent des combattants. Pour le monde, la Grèce est encore l'Athéna pensive appuyée sur sa lance. Et jamais, avant elle, l'art n'avait uni la lance et la pensée.

On ne saurait trop le proclamer : ce que recouvre pour nous le mot si confus de culture - l'ensemble des créations de l'art et de l'esprit -, c'est à la Grèce que revient la gloire d'en avoir fait un moyen majeur de formation de l'homme. C'est par la première civilisation sans livre sacré, que le mot intelligence a voulu dire interrogation. L'interrogation dont allait naître la conquête du cosmos par la pensée, du destin par la tragédie, du divin par l'art et par l'homme. Tout à l'heure, la Grèce antique va vous dire :

« J'ai cherché la vérité, et j'ai trouvé la justice et la liberté. J'ai inventé l'indépendance de l'art et de l'esprit. J'ai dressé pour la première fois, en face de ses dieux, l'homme prosterné partout depuis quatre millénaires. Et du même coup, je l'ai dressé en face du despote. »

C'est un langage simple, mais nous l'entendons encore comme un langage immortel.

Il a été oublié pendant des siècles, et menacé chaque fois qu'on l'a retrouvé. Peut-être n'a-t-il jamais été plus nécessaire. Le problème politique majeur de notre temps, c'est de concilier la justice sociale et la liberté ; le problème culturel majeur, de rendre accessibles les plus grandes oeuvres au plus grand nombre d'hommes. Et la civilisation moderne, comme celle de la Grèce antique, est une civilisation de l'interrogation ; mais elle n'a pas encore trouvé le type d'homme exemplaire, fût-il éphémère ou idéal, sans lequel aucune civilisation ne prend tout à fait forme.

Les colosses tâtonnants qui dominent le nôtre semblent à peine soupçonner que l'objet principal d'une grande civilisation n'est pas seulement la puis­sance, mais aussi une conscience claire de ce qu'elle attend de l'homme, l'âme invincible par laquelle Athènes pourtant soumise obsédait Alexandre dans les déserts d'Asie : « Que de peines, Athéniens, pour mériter votre louange ! » L'homme moderne appartient à tous ceux qui vont tenter de le créer ensemble; l'esprit ne connaît pas de nations mineures, il ne connaît que des nations fraternelles. La Grèce, comme la France, n'est jamais plus grande que lorsqu'elle l'est pour tous les hommes, et une Grèce secrète repose au coeur de tous les hommes d'Occident. Vieilles nations de l'esprit, il ne s'agit pas de nous réfugier dans notre passé, mais d'inventer l'avenir qu'il exige de nous. Au seuil de l'ère atomique, une fois de plus, l'homme a besoin d'être formé par l'esprit. Et toute la jeunesse occidentale a besoin de se souvenir que lorsqu'il le fut pour la première fois, l'homme mit au service de l'esprit les lances qui arrêtèrent Xerxès. Aux délégués qui me demandaient ce que pourrait être la devise de la jeunesse française, j'ai répondu « Culture et courage ». Puisse-t-elle devenir notre devise commune - car je la tiens de vous.

Et en cette heure où la Grèce se sait à la recherche de son destin et de sa vérité, c'est à vous, plus qu'à moi, qu'il appartient de la donner au monde.

Car la culture ne s'hérite pas, elle se conquiert. Encore se conquiert-elle de bien des façons, dont chacune ressemble à ceux qui l'ont conçue. C'est aux peuples que va s'adresser désormais le langage de la Grèce ; cette semaine, l'image de l'Acropole sera contemplée par plus de spectateurs qu'elle ne le fut pendant deux mille ans. Ces millions d'hommes n'entendront pas ce langage comme l'entendaient les prélats de Rome ou les seigneurs de Versailles ; et peut-être ne l'entendront-ils pleinement que si le peuple grec y reconnaît sa plus profonde permanence - si les grandes cités mortes retentissent de la voix de la nation vivante.

Je parle de la nation grecque vivante, du peuple auquel l'Acropole s'adresse avant de s'adresser à tous les autres, mais qui dédie à son avenir toutes les incarnations de son génie qui rayonnèrent tour à tour sur l'Occident : le monde prométhéen de Delphes et le monde olympien d'Athènes, le monde chrétien de Byzance - enfin, pendant tant d'années de fanatisme, le seul fanatisme de la liberté.

Mais le peuple « qui aime la vie jusque dans la souffrance », c'est à la fois celui qui chantait à Sainte-Sophie et celui qui s'exaltait au pied de cette colline en entendant le cri d'Oedipe, qui allait traverser les siècles. Le peuple de la liberté, c'est celui pour lequel la résistance est une tradition séculaire, celui dont l'histoire moderne est celle d'une inépuisable guerre de l'Indépendance - le seul peuple qui célèbre une fête du « Non ». Ce Non d'hier fut celui de Missolonghi, celui de Solomos. Chez nous, celui du général de Gaulle, et le nôtre. Le monde n'a pas oublié qu'il avait été d'abord celui d'Antigone et celui de Prométhée. Lorsque le dernier tué de la Résistance grecque s'est collé au sol sur lequel il allait passer sa première nuit de mort, il est tombé sur la terre où était né le plus noble et le plus ancien des défis humains, sous les étoiles qui nous regardent cette nuit, après avoir veillé les morts de Salamine.

Nous avons appris la même vérité dans le même sang versé pour la même cause, au temps où les Grecs et les Français libres combattaient côte à côte dans la bataille d'Égypte, au temps où les hommes de mes maquis fabriquaient avec leurs mouchoirs de petits drapeaux grecs en l'honneur de vos victoires, et où les villages de vos montagnes faisaient sonner leurs cloches pour la libération de Paris. Entre toutes les valeurs de l'esprit, les plus fécondes sont celles qui naissent de la communion et du courage.

Elle est écrite sur chacune des pierres de l'Acropole. « Étranger, va dire à Lacédémone que ceux qui sont tombés ici sont morts selon sa loi... ». Lumières de cette nuit, allez dire au monde que les Thermopyles appellent Salamine et finissent par l'Acropole - à condition qu'on ne les oublie pas ! Et puisse le monde ne pas oublier, au-dessous des Panathénées, le grave cortège des morts de jadis et d'hier qui monte dans la nuit sa garde solennelle, et élève vers nous son silencieux message, uni, pour la première fois, à la plus vieille incantation de l'Orient : « Et si cette nuit est une nuit du destin - bénédiction sur elle, jusqu'à l'apparition de l'aurore ! ».

(A. Malraux, 1901 - 1976 ; Hommage à la Grèce, 28 mai 1959)

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Liens vers les autres articles de cette série:
Partie 1
Partie 2
Partie 3 (cet article)
Partie 4
Partie 5
Partie 6

2014/05/12

Combler le vide politique : Elections, Europe, mémoire et esprit politique


Combler le vide politique 


Elections, Europe, mémoire et esprit politique 

En guise de réponse au détestable silence de la télévision de "service public" sur l'Europe, François Hollande nous gratifie d’un court article paru le 8 Mai : « l’Europe que je veux ». Il nous semble important de mettre en évidence certains points de fuite qui auront échappé à la totalité des commentateurs. 

Ce message sur les Elections Européennes de notre Président, repris mot pour mot par le Premier Ministre hier soir au JT de TF1, est volontairement trop tardif. C’est une évidence institutionnelle de l’escamotage du débat politique sur la France et en France, sur l’Europe et en Europe et par extension : sur l’Occident et en Occident

Notre Président y fait appel à notre mémoire et à notre volonté politique. Ce sont les deux marches que nous allons utiliser à notre tour, mais avec la bonne perspective historique. En effet, savoir pour qui et pour quoi voter le 25 mai pour les élections européennes est la question qui tue, comme les massacres en Ukraine en sont le terrible rappel. C’est pourquoi 60 % des Français (un record) se disent intéressés par ces élections. Mais si 59 % refusent toute sortie de l'euro, c’est la confusion qui règne dans les esprits, même chez les leaders de la société civile. C’est à l’éclaircissement de ces deux questions : pour quoi ? pour qui ? que nous voulons contribuer. Il s’agit de clairement mettre les mots sur notre plus grand mal actuel : le vide politique dans les pays européens, entrelacé à notre vide stratégique

De quoi le 8 mai est-il le souvenir? 

Si cette « victoire fut celle de la liberté », qu’en reste t’il aujourd’hui ? Comment expliquer que cette « liberté » puisse justifier dans la bouche de nos représentants les actes atroces commis en Ukraine, consentis sinon soutenus aujourd’hui tout en étant rejetés par les mêmes quand il s’agit de parler de la Shoah? 

Une seule explication est possible : cette liberté n’en est plus une. Depuis la fin de la parenthèse gaulliste, la France a subi l’érosion de son indépendance, et de ses voix les plus éclairées. Chaque européen doit se poser cette question vis-à-vis de l’histoire de son pays depuis la deuxième guerre mondiale. 

Le 8 mai 1945 n’a décidément pas « conjuré l'un des plus grands dangers qui aient jamais menacé l'humanité. » Si dans l’esprit de notre président, comme dans le nôtre, ce danger s’appelle fascisme, alors il faut rappeler les actes caractérisant la superpuissance états-unienne: la proximité [1] et le soutien depuis les années 1920 des mouvements nazis [2] ou groupes parafascistes [3] dans de très nombreux pays [4] et dernièrement en Ukraine [5]. 

Citons en particulier l’Opération PaperClip de récupération des Nazis allemands dans l’appareil militaro-industriel à la fin de la guerre mondiale, ainsi que les réseaux d’insurrection Gladio (Stay-behind) dans toute l’Europe [6] – la tuerie en 2011 d’Anders Behring Breivik près d’Oslo en Norvège [7], et le dernier coup d’Etat en Ukraine nous rappelant que ces réseaux dormants existent encore bel et bien de nos jours dans nos pays européens. 

Rappelons aussi que l’état profond des Etats-Unis, état policier, n’a pas d’alliés : ils n’a que des serviteurs qu’ils espionnent en masse jusqu’au plus haut niveau des Etats, sans que nos leaders politiques n’en frémissent. Belle liberté que nous avons gagnée en vérité ! 

Le mobile de l’Histoire 

Non, à la différence d’Hitler le fascisme et le néonazisme ne sont pas morts, pour une raison historique restée oubliée trop longtemps : dès le départ, le développement de ces idéologies réactionnaires a été soutenu financièrement par des grands banquiers et magnats de l’industrie [2], qui ont aussi usé de leur influence dans les médias pour créer un système de confrontation avec le courant politique marxiste lequel connaissait une expansion mondiale. Cette manœuvre politique sans précédent à cette échelle planétaire repose sur un principe d’escamotage analysé dès 1932. [8] En voici le résumé : 

Dans chaque pays, le nouveau système politique doit créer un équilibre par la confrontation entre les dialectiques marxistes et fascistes. Placées aux extrêmes de l’échiquier politique, la progression de cette confrontation vise à vider le centre politique, et à entretenir une illusion. 

Prenons une image : l’ensemble formé par deux lourdes barres en métal visées dans un petit morceau de bois en étant diamétralement opposées peut tenir en équilibre. L’équilibre des forces reste le même si le poids de chaque barre est concentré à son extrémité : c’est le centre qui est vidé. 

Allons plus loin encore : cet ensemble peut maintenant être mis en équilibre sur la pointe d’une aiguille, placée sous le centre du morceau de bois. Ainsi l’ensemble peut se même se mettre à tourner autour de l’aiguille. Ce mobile décrit précisément le système politique occidental depuis le XXème siècle: alors que toute la sphère politique est obnubilée par la confrontation avec l’autre extrême, personne ne se rend compte que tout tourne en fait autour de la petite aiguille, en dessous, là où se trouvent les artisans de cette politique profonde.
Ce sont eux qui peuvent par leur action facilement déterminer l’orientation de l’équilibre politique visible. Et le vrai débat politique, celui qui organiserait la confrontation dialectique avec ceux qui ont le vrai pouvoir, reste complètement escamoté, invisible de tous pendant des décennies. Comment les électeurs pourraient-ils maintenant s’étonner que le parti soi-disant dominant, qu’il soit de droite ou de gauche, ne change rien à la situation? Pour conclure: la seule dialectique politique efficace à notre époque ne doit pas être droite contre gauche, mais d’abord citoyens et société civile contre artisans de l’Etat profond. Parce qu'avant le choix d'une politique d'orientation, il faut regagner notre liberté.

Décider ou être poussé dans le dos ? 

Dans ce système d’influence invisible, on comprend mieux pourquoi les chaines de télévision ont voté Front national pour l’Election européenne, et pourquoi le gouvernement est si timide dans cette campagne où « il s'agit, ni plus ni moins, de décider du sort de notre continent, de son rôle dans le monde, du modèle de société que nous voulons promouvoir. » Notre analyse nous fait dire que beaucoup d’influence a été utilisée pour que le Front National obtienne le plus haut score possible dans cette élection. Celle-ci n’aura pas d’effet direct sur les lois nationales puisque les prérogatives du Parlement Européen sont très faibles et ses députés frileux comme nous l’avons déjà dit. Il s’agit d’utiliser le séisme médiatique causé en France pour instiller la peur et faire passer ensuite des lois et traités atlantistes, comme le TTIP: si l’Europe pouvait être bientôt assimilée à un Parlement d’extrême-droite, il serait facile de faire accepter aux citoyens qu’on ne peut que «choisir» de se rapprocher d’un bienveillant et protecteur « grand frère américain ». 

Dans les démocraties occidentales, la liberté des citoyens c’est surtout de se faire duper, et celle des partis d’être instrumentalisé par des procédés dont l’origine leur échappe dans les profondeurs de l’histoire. 

Les conditions de la volonté souveraine

Dans ces conditions, on comprend que la première priorité que l’on doit attendre d’une élection n’est pas d’abord l’expression d’une volonté (fusse-t’elle celle du Président) mais bien celle des conditions pour pouvoir exprimer cette volonté. 

Ces conditions sont pour nous les suivantes, puisque la volonté authentique ne peut pas naître sans indépendance dans les actes et dans les pensées : 
  • La France doit retrouver l’indépendance de sa politique étrangère. Elle doit donc commencer par sortir de l’OTAN. Aucun traité à trahir, juste une lettre à envoyer comme le fit le général de Gaulle; 
  • La France doit retrouver ses valeurs. Le chemin sera long mais il commence sur celui de Damas. La France doit présenter ses excuses pour ses erreurs stratégiques en Syrie, en Lybie, en Ukraine, en Afghanistan et vis-à-vis de l’Iran; 
  • La France doit retrouver l’indépendance de sa diplomatie. Elle doit donc condamner catégoriquement tous les actes d’espionnage des Etats-Unis, démonter l’installation de la NSA sur le câble sous-marin à Toulon ; 
  • Le gouvernement de la France doit retrouver la confiance de ses citoyens et protéger leurs libertés. Il doit donc dénoncer tous les « partages d’informations de masse » avec la NSA et le GCHQ, renoncer à l’article 20 de la LPM, déployer des nouvelles infrastructures plus résilientes (par exemple rejoindre l’internet des BRICS) ; il doit aussi assurer une revue entièrement transparente du TTIP avec la société civile. Par exemple en aucun cas des intérêts corporatistes ne peuvent prévaloir sur les Etats en cas de litige. Aucun standard européen ne peut être diminué. Aucun OGM introduit, etc ; il doit aussi retirer toute machine à voter (qui sont à juste titre interdites en Allemagne). 

Ceci vaut pour la France, mais aussi pour l’Europe si on y ajoute : 
  • le désaveu du Service pour l’Action Extérieure de la Commission Européenne, et demande expresse de le cantonner à exécuter seulement les décisions prises par le Conseil Européen, en restreignant fortement son autonomie ;
  • la demande du retrait de toutes les troupes militaires américaines stationnées en Europe et ses territoires d’Outre-Mer. 

Voilà sur quel esprit chaque parti devrait se prononcer explicitement avant les élections. Sans l’établissement de ce socle préalable qui dépasse tous les clivages traditionnels droite-gauche, tout débat sur la construction européenne et le « Progrès » reste une vaine illusion. 
Cela permettrait aux électeurs d’effectuer un premier tri et de faciliter grandement le choix du « pour qui ». 
Et pour ceux qui après réflexion préfèrent l'abstention, ils choisissent donc de sortir du système politique actuel. Ils devraient aller au bout de leur logique et acheter avec leur euros des pièces d'or, ou adhérer à un système de monnaie locale (SEL). 

Vers une stratégie Euro-BRICS 

Sur le « pour quoi », ensuite: cet esprit d’indépendance permettra à la France, à l’Euroland, et à l’Europe de décider dans quelle stratégie s’engager. 
Notre préférence va logiquement à soutenir le développement des relations Euro-BRICS, parce que c’est la voix la plus porteuse dans la crise du système monétaire international, actuellement dans sa phase terminale. Le débat sur sortir ou non de l’euro n’a pas de sens si on ne répond pas d’abord à cette question brûlante. Nos préconisations sont donc : 
  • Affirmation du rôle positif pour l’Europe des récentes annonces de l’établissement du clearing en Yuan à Londres et à Francfort;
  • Affirmation de la volonté de tout mettre en œuvre pour que la France intègre dès que possible le nouveau système monétaire et financier en construction, en commençant par le souhait de faire entrer la France comme membre de la nouvelle Banque Mondiale de Développement initiée par les pays BRICS ;
  • Affirmation du rôle moteur qu’entend jouer la France parmi les pays de la zone euro avec ce programme, dans la seule ambition de créer de nouvelles synergies et un mouvement positif en levant les blocages existants ;
  • Affirmation de la volonté de la France de jouer désormais un rôle leader dans la définition et l'instauration rapide des nouvelles régulations bancaires, contre l'évasion fiscale, et notamment aussi concernant une union bancaire européenne la plus efficace possible ;
  • Développement d’une nouvelle stratégie visant à redynamiser les relations de la France avec les pays BRICS ; annonce d’une tournée diplomatique des leaders européens dans chaque capitale des pays BRICS. 

A partir de là, il s’agira pour chacun de se mettre humblement à la tâche de combler nos vides. 


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[1] Robert Parry, 'Secrecy & Privilege: Rise of the Bush Dynasty from Watergate to Iraq', The Media Consortium, 2004. 

[2] a) The Guardian, 09/2004 ; b) Antony C. Sutton, 'Wall Street and the Rise of Hitler', G S G & Associates Pub, 1976 ; voir aussi cette interview du Pr. Sutton.

[3] Peter Dale Scott, ‘Transnationalised Repression; Parafascism and the U.S.’, Lobster magazine, Issue 12, 1986. 

[4] Salon.com, 03/2014 ; Pour un aperçu des crimes de guerre commis depuis 1945, voir Jeremy Kuzmarov, 'Bomb After Bomb: US Air Power and Crimes of War From World War II to the Present', The Asia-Pacific Journal, Vol 10, Issue 47, No. 3, November 19, 2012. 

[5] Global Research, 03/2014. 

[6] Flux RSS des archives du département ISN à l'Institut Fédéral Suisse de Technologie à Zurich sur les réseaux Gladio ; Interview du Dr Ganser (12/2005) ; Documentaire de la BBC (06/1992). 

[7] Global Research, 08/2011. 

[8] J’ajouterai la référence dans un mois. Le lecteur qui la retrouvera dans l’intervalle gagne mon estime ! 


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Mise à jour:
2014/5/14: ajout de la référence 2 b)

2014/04/01

Rentrer à Matignon, ou rentrer dans l’Histoire

Rentrer à Matignon, ou rentrer dans l’Histoire.
Lettre ouverte à Monsieur Valls.



Monsieur le Premier Ministre,

Nous vous félicitons pour votre récente nomination à Matignon. 

Vous savez comme nous que la situation de la France, de l’Europe et du monde requiert une acuité toute nouvelle. 

Vous avez aujourd’hui l’opportunité de décider si vous voulez rentrer dans l’Histoire de France en devenant un homme d’Etat.

Pour cela, vos plus proches concitoyens vous conseillent de commencer par annoncer publiquement le programme suivant, qui vise à redonner enfin une vision positive, de l’élan et du courage au peuple français :
  • Affirmation de l’indépendance de la France, par la sortie unilatérale de l’OTAN par la France, qui sera effective 12 mois plus tard
  • Désaveu complet du régime de Kiev et reconnaissance du statut actuel de la Crimée
  • Désaveu de la politique étrangère et des programmes de surveillance massive des Etats-Unis, en rappelant l’ambassadeur de France à Washington
  • Désaveu du nouveau pacte transatlantique (TTIP) en l’état
  • Développement d’une nouvelle stratégie visant à redynamiser les relations de la France avec les pays BRICS ; annonce de l’intention de votre première tournée diplomatique dans chaque capitale des pays BRICS
  • Désaveu du Service pour l’Action Extérieure de la Commission Européenne, et demande expresse de le cantonner à exécuter seulement les décisions prises par le Conseil Européen, en restreignant fortement son autonomie
  • Présentation des excuses officielles pour le rôle tenu par la France dans le dernier conflit libyen
  • Affirmation du nouveau soutien de la France au Président Assad en Syrie
  • Soutenir les demandes de retrait de toutes les troupes militaires américaines en Europe
  • Affirmation de l’indépendance complète de votre politique par rapport aux décisions des agences de notation sur notre dette souveraine
  • Affirmation du rôle positif pour l’Europe des récentes annonces de l’établissement du clearing en Yuan à Londres et à Frankfort
  • Affirmation de la volonté du nouveau gouvernement de tout mettre en œuvre pour que la France intègre dès que possible le nouveau système monétaire et financier en construction, en commençant par votre souhait de faire entrer la France comme membre de la nouvelle Banque Mondiale de Développement initiée par les pays BRICS
  • Affirmation du rôle moteur qu’entend jouer la France parmi les pays de la zone euro avec ce programme, dans la seule ambition de créer de nouvelles synergies et un mouvement positif en levant les blocages existants
  • Réaffirmer l’absolue nécessité de l’indépendance totale de la Justice en France
  • Réaffirmer l’absolue nécessité du respect du droit international par tous les pays, et du rôle à tenir par la France en la matière
  • Affirmation de la volonté de la France de jouer désormais un rôle leader dans la définition et l'instauration rapide des nouvelles régulations bancaires, contre l'évasion fiscale, et notamment  aussi concernant une union bancaire européenne la plus efficace possible
  • Affirmation de votre support personnel pour la modification des traités Européens.


Avec un tel programme suivi par les actes en conséquence, toutes vos prochaines annonces sur les autres réformes de politique intérieure seront courageusement acceptées par vos concitoyens et les effets de cet élan politique se feront positivement sentir dès les élections européennes.

Vos concitoyens vous demandent de faire votre devoir et de les représenter dignement. Chaque changement de gouvernement est porteur d’espoir, mais éventuellement de nouvelles déceptions s'il ne prête pas attention aux réels enjeux historiques.

Si nous pouvons compter sur vous, vous pourrez compter sur nous.





2014/02/10

La conjecture de Valéry, de Paul à Paul

Dans sa lettre célèbre La Crise de L'Esprit, (1919) Paul Valéry est loin d’être le premier à parler de l’idée d’Europe.
Mais il est l'un des tous premiers (*) à notre connaissance à parler de l’Esprit européen d’une part, et d’autre part de la « physique intellectuelle et sociale » qui pourrait décrire l’évolution de cet Esprit. Il tire de cette intuition physique une étonnante prédiction pour l’époque, qui pourrait se généraliser sous la forme d’une conjecture (1):
« Je prétendais que l’inégalité si longtemps observée au bénéfice de l’Europe devait par ses propres effets se changer progressivement en inégalité de sens contraire. C’est là ce que je désignais sous le nom ambitieux de théorème fondamental. »
Ce décalage du centre de gravité, historiquement vers l’Ouest puis désormais vers l’Est s’observe bel et bien dans la part respective du PIB mondial.


Valéry veut poser par ce moyen la question encore plus fondamentale du devenir de l’Europe. Il la pose au sortir de la Grande Guerre, et il offre à la réflexion deux facettes :
La première sur la difficulté de créer la paix, et sur le développement d’une nouvelle philosophie européenne engendrée après Hegel et Marx fait l’objet de la première lettre.
La deuxième concerne le repositionnement de l’Europe vis-à-vis de la Grande Asie, face à l’inéluctable retour de balancier de ce que l’on appelle aujourd’hui en géopolitique la puissance, mais – insistons bien sur ce point – que Valéry argumente comme étant la résultante du développement de l’Esprit des peuples.
Valéry avait doublement raison : d’abord par la deuxième Guerre Mondiale et par les conflits « froids » ou régionaux jusqu’à nos jours qui ne sont que des conséquences de mauvaises conditions de paix et d’affrontement direct de mouvements issus d’idéologies post-Hégéliennes, post-Marxistes et post-Kantiennes (Heidegger, Trotsky, Weishaupt, Gentile…). Cette primauté de la lutte a conduit à un siècle de ralentissement intellectuel, accaparé par la dimension marchande et les effondrements humains. Mais il n’a pas réussi à inverser la progression éveillée de l’Esprit à l‘Est, tout au mieux à gagner quelques années.
La crise de l’Esprit européen est toujours une question d’actualité, et le repositionnement de l’Europe vis-à-vis de la Grande Asie se pose avec plus d’acuité que jamais.
 Nous avons choisi de marcher dans la piste esquissée par Valéry : il n’y a pas de destin irrévocable pour l’Europe. Cette liberté de l’Esprit nous permet d’affirmer qu’il n’y a pas de menace que le Peuple européen ne saurait maîtriser. Et c’est bien en cherchant cette liberté qu’on la crée.
Pour une telle recherche, nous avons consacré un thème - et non pas l’ensemble de notre recherche - à la considération des ensembles géopolitiques. Nous étudions par ailleurs l’individu pensant, c’est-à-dire l’Esprit et la Liberté au moyen du personnalisme avec Berdiaeff et Mounier, ainsi que la lutte de la vie personnelle avec la vie sociale, c’est-à-dire la conscience sociale. Nous avons utilisé dans certains travaux une méthode très innovante créée par le L.E.A.P., l’anticipation politique, pour tenter d’élaborer plus efficacement des relations entre le choix individuel, l’évolution de la société, le devenir des peuples. Eclairer le devenir, même d’une vacillante chandelle, vaut mieux que de maudire les ténèbres (2). Cette nouvelle liberté crée une nouvelle zone d’espace que peut parcourir notre intellect. Elle seule peut rendre possible une nouvelle destination, parce que le chemin sera différent.
Nous avons également marqué l’espace des sciences politiques en ajoutant un nouveau minuscule grain de sable au bord du monde - les principes de la Démocratie Agile - là où il n'y avait que l'impossible. Ce grain pourrait un jour devenir rocher ou montagne. C’est un point d’appui, qui a la particularité de s’adapter à la taille du levier que l’on utilisera. Ce levier pourrait servir de forceps permettant d’accoucher (3) d’une nouvelle Renaissance, ou mieux d'un nouveau Moyen-Âge si il est joint avec un renouveau métaphysique.
Il ne tient qu’aux peuples européens de l’utiliser, pour créer une nouvelle différence dans le phénomène démocratique, et prolonger le mouvement de l’Esprit européen. Je crois cet apport également diffusible au sein des autres peuples, bien qu’à des vitesses différentes. L’Europe ne possède qu’une respiration d’avance avec l’expérience initiée par le mouvement 5 étoiles ou d'autres initiatives.
Il ne tient aussi qu’aux Européens, et à leurs organisations commerciales et politiques, de surfer résolument la vague porteuse et d’engager des partenariats stratégiques avec les pays BRICS. Que certains le veuillent ou non, le rôle de la Russie dans cette ambition historique est indépassable. L’Histoire de l’Europe ne peut pas s’écrire sans elle. Elle pourrait s'épuiser en s’écrivant contre elle, pour des décideurs insensibles au vent de l’Histoire, et par des peuples Européens restés aveugles, sourds et muets. Cette crise de l’Esprit Européen se terminerait alors en une satellisation politique, au petit cap du bout du monde que mentionne Valéry.

Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre !
L’air immense ouvre et referme mon livre,

Paul Valéry, Le cimetière marin, 1920.

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(*) [26/01/2018] La version initiale de cet article disait "le premier". Nous corrigeons cet ordre en mentionnant un passage méconnu dans l'ouvrage d'Alexandre Saint-Yves, marquis d'Alveydre : La Mission de L'Inde en Europe - La Mission de l'Europe en Asie (rédigé en 1886, publication originale de manière posthume en 1910, pp. 107-116 et 167-170). Non seulement il fut le premier à décrire précisément la "physique intellectuelle et sociale" (pour reprendre l'expression que Valéry, ignorant l'oeuvre de Saint-Yves d'Alveydre, utilisera plus tard), mais il fut le premier à proposer une solution de rétablissement de l'Occident -la seule et vraie solution- qui sera reprise et développée par Guénon à partir de la publication d'Orient et Occident.
"Depuis un siècle, en Europe, le dégagement des sciences physiques a momentanément noyé dans un déluge de faits précieux mais de nomenclatures barbares, et les plus hautes facultés de l’esprit humain, et son sens synthétique ou religieux, et ses ressouvenirs les plus profonds.
Depuis ce temps aussi, le fil de communication entre l’Agarttha [NDE: comprendre ici l'Orient] et l’Occident est momentanément coupé, car encore une fois le nom de cette grande Université est : Fermée à l’Anarchie !
Européens, rouvrez les communications, croyez-moi, non d’une manière occulte, mais au grand jour. [...]
Si vous ne faites pas la Synarchie, je vois, à un siècle d’échéance, votre civilisation judéo-chrétienne pour toujours éclipsée, votre suprématie brutale pour toujours matée par une renaissance incroyable de l’Asie tout entière, ressuscitée, debout, croyante, savante, armée de pied en cap, et accomplissant sans vous, à votre encontre, les Promesses sociales des Abramides, de Moïse, de Jésus-Christ et de tous les Kabbalistes judéochrétiens.
Et de même que je vous signale le danger pour vous, je vous crie et je vous crierai le remède tant que Dieu m’en laissera la force.
Le remède n’est pas militaire, car à ce jeu vous finirez par instruire militairement, en les frappant, près d’un milliard d’Asiatiques qui vous feront tôt ou tard connaître leur poids.
Le remède n’est pas diplomatique : déjà presque toute l’Asie fait partie de votre Corps diplomatique et, saisie des engrenages de la machine de vos ruses et de vos jalousies mutuelles, elle vous y fera passer un jour, et vous y broyer entre elle et les deux Amériques.
Le remède que je vous propose, vos Livres Sacrés, vos Sciences sociales et l’Histoire universelle à la main, est purement intellectuel, juridique, organique.
C’est la Synarchie, c’est la loi historique de l’Humanité, que je vous ai irréfutablement démontrée dans mes Missions précédentes.
C’est là et non ailleurs qu’est votre sauvegarde, vis-à-vis de vous même et vis-à-vis de l’Asie.
C’est là qu’est votre entente possible avec elle, entente d’intelligences, de consciences et de volontés, à travers vos propres Corps enseignants, juridiques et économiques, c’est-à-dire à travers tous vos prêtres et tous vos maîtres, tous vos gouvernements et toutes vos forces productrices. [...]
Prenez la peine de relire tout ce que j’ai dit dans la Mission des Souverains et dans la Mission des Juifs du rôle politique que la Papauté a été forcée de jouer jusqu’à Pie IX, jusqu’au dernier Concile.
Ce rôle est désormais impossible, et l’évolution de la fonction papale vers un Souverain Pontificat d’Arbitrage purement intellectuel et purement social est certaine, quoique lente.
Vous avez vu jusqu’à présent des papes qui étaient les empereurs romains de leur Église, et cela a eu sa raison d’être temporaire, dans la longue gestation de la civilisation actuelle.
Mais il en est des organes sociaux comme des rouages d’une montre, et si ceux qui correspondent à l’aiguille des minutes marchent vite et d’une manière visible aux yeux, le progrès des autres, quoique insaisissable aux regards, n’en fait pas moins mouvoir l’aiguille de ces heures qui pour les collectivités sont des siècles.
Sans Autorité au-dessus de vous, empereurs et rois d’Europe, ou présidents de républiques, vous êtes voués à la destruction mutuelle de vos Peuples, de vos Pouvoirs et de vos Puissances, ainsi qu’au dualisme, au duel plutôt, des gouvernants et des gouvernés de vos États.
Cette loi fatale d’anarchie et de Mort, dont je vous ai dévoilé toutes les causes secrètes, ne peut pas plus être abrogée par vous que par les révolutionnaires qui tendent à usurper vos sceptres et vos trônes pour substituer des politiciens d’en bas à ceux d’en haut.
Tout Dualisme, quel qu’il soit, ne s’abroge jamais que par l’action du Trinitarisme.
C’est pourquoi il faut qu’au-dessus de vous se dresse une Autorité désarmée de tous moyens violents qui, appuyée sur tous les Corps enseignants de votre Continent, s’abstenant de tout arbitraire dogmatique, ne soit qu’un Arbitrage suprême de vos démêlés mutuels et de vos débats intestins.
Et si je vous conseille de prendre la Papauté comme point culminant et comme axe de cette magistrale évolution, c’est que, si vous ne le faites pas, au lieu d’un Souverain Pontificat européen et chrétien dont vous n’aurez pas voulu, vous en aurez un autre avant un siècle d’ici, mais asiatique et doublé d’une Maîtrise universitaire dont l’Esprit fera certainement la Synthèse intellectuelle et sociale que vous n’aurez été ni dignes de comprendre, ni capables d’accomplir. [...]
Vous n’en voudrez pas ? Vous ne ferez pas cette Synarchie judéochrétienne ? Soit, c’est votre affaire.
Mais pendant que vous vous enfoncerez plus avant dans toutes vos anarchies intellectuelles, politiques et sociales, l’Asie se reconstituera, n’en doutez pas ! dans sa Synarchie primitive, et c’est elle qui, vos deux Testaments à la main, exécutera sans vous, et contre vous au besoin, la Promesse sociale, universelle, qu’ils renferment.
Pourquoi contre vous au besoin ? Parce que si vous ne modifiez pas synarchiquement votre régime colonial, vos colonies asiatiques ou africaines vous échapperont forcément, et pendant que vous continuerez à vous enferrer militairement et économiquement en Europe même dans l’engrenage de l’Anarchie de votre Gouvernement général, la fédération des peuples asiatiques, les Arabes y compris, se resserrera en un seul Corps amphictyonique autour de l’Agarttha. [...]
Admettons que l’aveuglement des hommes d’État et des hommes d’Église, la haine mutuelle des sectes et des partis internationaux ou nationaux empêchent d’advenir ce Souverain Pontificat synarchique, cette reconstitution de toute l’Autorité enseignante, ce Conseil de Justice des États européens, ce Conseil œcuménique de toutes les nations judéochrétiennes.
Admettons que l’hébètement et l’impuissance actuels continuent, et qu’un pareil réveil de la Foi et de la Science, de l’intelligence et du bon sens total de notre Continent soit une impossibilité et une chimère.
Disons que l’Europe actuelle est le meilleur des mondes possibles, que toutes ses anarchies sont le triomphe suprême de la Science et de la Civilisation modernes, que l’abrogation synarchique que j’en indique, les
Textes sacrés et l’Histoire à la main, ne vaut même pas la peine qu’on y songe et qu’on s’en occupe.
Mais alors, faut-il voir face à face les perspectives qui restent ouvertes à l’avenir de l’Europe, si l’on supprime les précédentes ?
Fermons donc le Temple du Règne de Dieu, et continuons à rester au dehors la proie de toutes les fatalités déchaînées par toutes les anarchies.
Tiares, Mitres, Couronnes, Gouvernements, Nationalités, Universités après Églises, Chrétienté après Christianisme, tout continuera à être incessamment la pâture de la destruction, entre les anarchistes d’en haut et ceux d’en bas.
Évêques en tête, en habit noir ou en tenue militaire, l’Europe officielle, aux prises avec elle-même, continuera à mener gaiement, tambours battants, mèches aux canons, le deuil de notre État Social et de sa civilisation.
Mais, pendant ce temps, veuillez jeter un coup d’œil du côté de l’Asie, pour peu que vous ne soyez pas un politicien de hasard, n’ayant pour tout horizon que le bout de votre nez ou de l’intérêt particulier de votre personne ou d’un parti.
À cinquante ans d’échéance, vous verrez l’Asie renaître à l’Esprit de son antique synthèse celtique.
Vous la verrez s’abstenir sagement de toutes vos folies, se délivrer prudemment de vous par vous-même, reconstituer autour de son Souverain Pontife aux sept couronnes l’Alliance synarchique d’il y a cinq mille ans.
Et si persévérant quand même dans le système du Gouvernement général selon l’Ordre de Nemrod, vous continuez encore à vous démembrer mutuellement, vous qui aurez fermé vos oreilles aux doux appels de la Promesse chrétienne, vous serez forcés de les ouvrir aux clairons tonitruants du Jugement dernier.
Les armes à la main, l’Asie vous empêchera de venir la troubler dans son observance de la Loi du Règne de Dieu, et, Chine et Islam en avant, sous la conduite de vos propres instructeurs militaires, elle viendra vous
imposer de mettre votre signature au bas de la Promesse sociale des Abramides, de Moïse et de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que vous aurez repoussée.
Entre ces deux perspectives, je ne crois pas que l’Europe pensante puisse, tôt ou tard, hésiter.
En attendant, je fais des vœux pour qu’entre la Synarchie et l’Anarchie les politiciens essayent de trouver un moyen terme : ils ne trouveront que des atermoiements funestes.
Quant à moi, j’ai terminé mon œuvre et couronné par ce livre mes trois
Missions précédentes.
J’ai fait ce que je devais, advienne que pourra !"

(1) Cette proposition est une conjecture car elle reste non démontrée mathématiquement. Valéry ne l’ignorait pas et il veut ici sans doute renforcer la dimension essentielle de sa proposition. 

(2) Comme le disait Lao-Tseu il y a 2500 ans. 

(3) La crise, c'est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître. (A. Gramsci)

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Liens vers les autres parties du thème l'Esprit Européen :
Partie 1
Partie 2 (cet article)
Partie 3
Partie 4

La Crise de l’Esprit Européen

Le superbe texte de Paul Valéry (La crise de l’Esprit, 1919) présente un contenu très actuel malgré son âge. 
J'en partage ici quelques extraits de la deuxième lettre (1) publiée initialement dans Athenaeum sous le titre The Intellectual Crisis) - moins connue que la première (publiée initialement sous le titre The Spiritual Crisis)Je commente un passage de cette deuxième lettre dans cet autre article.

[…]
*
Une première pensée apparaît. L’idée de culture, d’intelligence, d’œuvres magistrales est pour nous dans une relation très ancienne, — tellement ancienne que nous remontons rarement jusqu’à elle, — avec l’idée d’Europe.
Les autres parties du monde ont eu des civilisations admirables, des poètes du premier ordre, des constructeurs et même des savants. Mais aucune partie du monde n’a possédé cette singulière propriété physique : le plus intense pouvoir émissif uni au plus intense pouvoir absorbant.
Tout est venu à l’Europe et tout en est venu. Ou presque tout.
*
Or, l’heure actuelle comporte cette question capitale : l’Europe va-t-elle garder sa prééminence dans tous les genres ?
L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire : un petit cap du continent asiatique ?
Ou bien l’Europe restera-t-elle ce qu’elle paraît, c’est-à-dire : la partie précieuse de l’univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d’un vaste corps ?
Qu’on me permette, pour faire saisir toute la rigueur de cette alternative, de développer ici une sorte de théorème fondamental.
Considérez un planisphère. Sur ce planisphère, l’ensemble des terres habitables. Cet ensemble se divise en régions et dans chacune de ces régions, une certaine densité de peuple, une certaine qualité des hommes. À chacune de ces régions correspond aussi une richesse naturelle, — un sol plus ou moins fécond, un sous-sol plus ou moins précieux, un territoire plus ou moins irrigué, plus ou moins facile à équiper pour les transports, etc.
Toutes ces caractéristiques permettent de classer à toute époque les régions dont nous parlons, de telle sorte qu’à toute époque, l’état de la terre vivante peut être défini par un système d’inégalités entre les régions habitées de sa surface.
À chaque instant, l’histoire de l’instant suivant dépend de cette inégalité donnée.
Examinons maintenant non pas cette classification théorique, mais la classification qui existait hier encore dans la réalité. Nous apercevons un fait bien remarquable et qui nous est extrêmement familier :
La petite région européenne figure en tête de la classification, depuis des siècles. Malgré sa faible étendue, — et quoique la richesse du sol n’y soit pas extraordinaire, — elle domine le tableau. Par quel miracle ? — Certainement le miracle doit résider dans la qualité de sa population. Cette qualité doit compenser le nombre moindre des hommes, le nombre moindre des milles carrés, le nombre moindre des tonnes de minerai, qui sont assignés à l’Europe. Mettez dans l’un des plateaux d’une balance l’empire des Indes ; dans l’autre, le Royaume-Uni. Regardez : le plateau chargé du poids le plus petit penche!
Voilà une rupture d’équilibre bien extraordinaire. Mais ses conséquences sont plus extraordinaires encore: elles vont nous faire prévoir un changement progressif en sens inverse.
Nous avons suggéré tout à l’heure que la qualité de l’homme devait être le déterminant de la précellence de l’Europe. Je ne puis analyser en détail cette qualité ; mais je trouve par un examen sommaire que l’avidité active, la curiosité ardente et désintéressée, un heureux mélange de l’imagination et de la rigueur logique, un certain scepticisme non pessimiste, un mysticisme non résigné... sont les caractères plus spécifiquement agissants de la Psyché européenne.
*
[…]
Je prétendais que l’inégalité si longtemps observée au bénéfice de l’Europe devait par ses propres effets se changer progressivement en inégalité de sens contraire. C’est là ce que je désignais sous le nom ambitieux de théorème fondamental.
Comment établir cette proposition ? — Je prends le même exemple : celui de la géométrie des Grecs, et je prie le lecteur de considérer à travers les âges les effets de cette discipline. On la voit peu à peu, très lentement, mais très sûrement, prendre une telle autorité que toutes les recherches, toutes les expériences acquises tendent invinciblement à lui emprunter son allure rigoureuse, son économie scrupuleuse de « matière », sa généralité automatique, ses méthodes subtiles, et cette prudence infinie qui lui permet les plus folles hardiesses... La science moderne est née de cette éducation de grand style.
Mais une fois née, une fois éprouvée et récompensée par ses applications matérielles, notre science devenue moyen de puissance, moyen de domination concrète excitant de la richesse, appareil d’exploitation du capital planétaire, — cesse d’être une « fin en soi » et une activité artistique. Le savoir, qui était une valeur de consommation devient une valeur d’échange. L’utilité du savoir fait du savoir une denrée, qui est désirable non plus par quelques amateurs très distingués, mais par Tout le Monde.
Cette denrée, donc, se préparera sous des formes de plus en plus maniables ou comestibles ; elle se distribuera à une clientèle de plus en plus nombreuse ; elle deviendra chose du Commerce, chose enfin qui s’imite et se produit un peu partout.
Résultat : l’inégalité qui existait entre les régions du monde au point de vue des arts mécaniques, des sciences appliquées, des moyens scientifiques de la guerre ou de la paix, — inégalité sur laquelle se fondait la prédominance européenne, — tend à disparaître graduellement.
Donc, la classification des régions habitables du monde tend à devenir telle que la grandeur matérielle, brute, les éléments de statistique, les nombres, — population, superficie, matières premières, — déterminent enfin exclusivement ce classement des compartiments du globe.
Et donc, la balance qui penchait de notre coté, quoique nous paraissions plus légers, commence à nous faire doucement remonter, — comme si nous avions sottement fait passer dans l’autre plateau le mystérieux appoint qui était avec nous. Nous avons étourdiment rendu les forces proportionnelles aux masses !
*
Ce phénomène naissant peut, d’ailleurs, être rapproché de celui qui est observable dans le sein de chaque nation et qui consiste dans la diffusion de la culture, et dans l’accession à la culture de catégories de plus en plus grandes d’individus.
Essayer de prévoir les conséquences de cette diffusion, rechercher si elle doit ou non amener nécessairement une dégradation, ce serait aborder un problème délicieusement compliqué de physique intellectuelle.
Le charme de ce problème, pour l’esprit spéculatif, provient d’abord de sa ressemblance avec le fait physique de la diffusion, — et ensuite du changement brusque de cette ressemblance en différence profonde, dès que le penseur revient à son premier objet, qui est hommes et non molécules.
Une goutte de vin tombée dans l’eau la colore à peine et tend à disparaître, après une rose fumée. Voilà le fait physique. Mais supposez maintenant que, quelque temps après cet évanouissement et ce retour à la limpidité, nous voyions, çà et là, dans ce vase qui semblait redevenu eau pure, se former des gouttes de vin sombre et pur, — quel étonnement...
Ce phénomène de Cana n’est pas impossible dans la physique intellectuelle et sociale. On parle alors du génie et on l’oppose à la diffusion.
*
Tout à l’heure, nous considérions une curieuse balance qui se mouvait en sens inverse de la pesanteur. Nous regardons à présent un système liquide passer, comme spontanément, de l’homogène à l’hétérogène, du mélange intime à la séparation nette... Ce sont ces images paradoxales qui donnent la représentation la plus simple et la plus pratique du rôle dans le Monde de ce qu'on appelle, — depuis cinq ou dix mille ans, — Esprit.
*
Mais l’Esprit européen — ou du moins ce qu’il contient de plus précieux — est-il totalement diffusible ? Le phénomène de la mise en exploitation du globe, le phénomène de l’égalisation des techniques et le phénomène démocratique, qui font prévoir une deminutio capitis de l’Europe, doivent-ils être pris comme décisions absolues du destin ? Ou avons-nous quelque liberté contre cette menaçante conjuration des choses ?
C’est peut-être en cherchant cette liberté qu’on la crée. Mais pour une telle recherche, il faut abandonner pour un temps la considération des ensembles, et étudier dans l’individu pensant, la lutte de la vie personnelle avec la vie sociale.
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(1) Nous avons tronqué une partie mineure du texte où l’auteur prend pour exemple l’invention de la géométrie par les Grecs, ajoutant que « ni les Égyptiens, ni les Chinois, ni les Chaldéens, ni les Indiens n’y sont parvenus ». Nous partageons bien évidemment l’importance civilisationnelle du développement de la géométrie, mais nous savons depuis lors que la géométrie - et des approches très semblables au théorème de Pythagore que cite Valéry - a bel et bien été inventée indépendamment par les peuples Egyptien, Indien, Chinois, Babylonien.

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Liens vers les autres parties du thème l'Esprit Européen :
Partie 1 (cet article)

2012/11/16

Marchés publics : Alerte sur les deals subprimes

La compétition néolibérale exacerbée par la crise en cours a donné lieu à de nouveaux comportements à hauts risques dans le domaine des modèles d'affaires. Je les nomme ici des "deals subprimes", ce qui résume bien leur ambition, leur développement, l'appât du gain qui les accompagne et pour finir leur liquidation douloureuse.

Je vois ces "deals" d'un nouveau genre se développer au quotidien en France depuis plus de 18 mois. Je l'illustrerai dans le domaine des grands contrats au "forfait" en informatique [Avertissement: mon employeur n'est pas du tout promoteur des pratiques décrites ci-dessous]. J'ai déjà en partie évoqué ce sujet lors de ma conférence à la Scrum Night II en mai dernier, où l'audience avait été surprise et intéressée.  Parce qu'elles touchent désormais les grands marchés passés par le secteur public, ces pratiques représentent un risque pour nous tous, et je me dois de vous les décrire.

Ces pratiques visent à gagner des affaires (des marchés au "forfait") en pratiquant une distorsion des règles de la concurrence. Elles existent depuis très longtemps, mais c'est leur nouvelle ampleur qui change la donne, et rend le niveau de risque inacceptable. 

Ces distorsions qui vont permettre une surenchère à la baisse du devis, présentent deux types de dangers: 
  • d'une part avec un effet direct de compression sur le coût le plus significatif dans les projets informatiques (les salaires) par le recours à l'inshoring;
  • d'autre part, avec une promesse masquée dans le modèle d'affaires interne du fournisseur (P&L dans le jargon) qui dit qu'on vend sciemment à perte, avec l'anticipation mais qu'on réussira dans les années à venir à faire signer des avenants juteux au client pour permettre de rentabiliser l'affaire. Et cela sans inclure un niveau de risque financier équivalent, sous prétexte que bien sur le devis ne serait alors pas compétitif.
Tout d'abord qu'est-ce que l'inshoring ?
Apparu depuis 3 ans, mais fortement accéléré par la révolution en Tunisie, la nouvelle tendance dans les services informatiques n'est pas de recourir à des développeurs en offshore, ou bien ponctuellement de faire venir des personnes travailler temporairement en France avec un visa, mais bien d'aller chercher massivement ces personnes à l'étranger et de les faire travailler en France avec un CDI. Les pays concernés à ma connaissance sont d'abord la Tunisie, puis le Maroc, mais aussi le Québec. Mais tout pays hors de l'EU 27 et disposant d'un vivier de compétences est un candidat potentiel à l'exode.

Le processus, bien rodé, est le suivant. Il vise à aplanir complètement les difficultés de recrutement (rencontres multiples pour entretien) avec des candidats géographiquement éloignés  :
- une société intermédiaire, nouveau type de cabinet de recrutement, organise un salon de recrutement (location de salle, campagne de publicité sur les médias sociaux, les écoles locales etc). Il est facturé au nombre de personnes recrutées lors de cette journée ;
- la SSII française qui veut recruter établit ses critères de recrutement : junior ou senior, débutants ou en poste, technologies cibles, salaire cible... ainsi qu'un processus de recrutement ficelé (présentation de la société, tests etc). Tout le processus de recrutement est effectué par la SSII, et pas par le cabinet local ;
- la SSII envoie une équipe RH accompagnée d'opérationnels et de commerciaux pour pouvoir faire passer tous les entretiens dans la même journée. L'objectif est de repartir le soir avec un stock de CDI de loi française définitifs, et signés par des postulants qualifiés, au lieu de repartir avec des CV comme sur les salons habituels ;
- ces CDI permettent d'enclencher la procédure officielle de demande de permis de travail, pour faire venir ces personnes en France (par exemple) ;
- les salaires demandés lors de ces entretiens par les tunisiens, à compétences égales, permettent d'économiser 2 ans de progression salariale comparés aux salaires habituellement demandés à l'embauche sur Paris. Les frais de l'opération complète de recrutement sont défalqués du salaire des nouveaux embauchés ;
- le délai d'obtention des permis de travail permet de mettre à profit ces 4 à 6 mois pour trouver une mission ou un projet pour cette personne. De plus il est très facile pour la SSII de demander à la personne, si nécessaire, une modification du contrat de travail pour changer la date de rentrée en fonctions de quelques semaines... ou plus ;
- les compétences disponibles peuvent être de bons niveaux (2 ans d'expérience réelle sur des technologies java récentes, esprit curieux, parlant et écrivant un français impeccable).
- initialement les SSII qui avaient recours à ce dispositif étaient des petites structures sur Paris ; typiquement pour 50 personnes interviewés (ciblées comme étant uniquement des personnes en poste et expérimentées), la SSII repart avec 4 CDI pour prise de fonction quatre mois après.
Mais les SSII interessées par ce système sont rapidement devenues de plus en plus importantes, jusqu'au leaders du marché. Elles peuvent ainsi recruter 40 CDI de ce type d'un coup, juste après avoir gagné un gros deal... qu'elles ont remporté justement parce que leur prix était le plus bas des compétiteurs. Il y a là un effet pouvant amener à un basculement du marché, à une perte de positions commerciales auparavant solides, quelle que soit la qualité du service délivrée jusqu'ici.

Il est significatif aussi que désormais ces SSII n'ont pas recours à ce système sous prétexte qu'il n'y aurait plus personne à recruter sur place, mais parce que les salaires demandés sont trop élevés, et que cela permet de restaurer leur marge opérationnelle! Par effet domino, c'est en langage économique une dévaluation compétitive forcée des salaires qui se met en place à l'échelle de la zone économique touchée. 


Passons maintenant à l'autre volet : le défaut de gestion du risque financier par le fournisseur.
Si la pratique précédente s'effectuait en premier lieu au détriment des employés européens, celle-ci est au détriment de l'Administration, et au final des contribuables. Il s'agit ni plus ni moins que de prendre en otage les usagers des services publics sans que ceux-ci s'en rendent compte, au moins tant qu'on n'est pas rentré dans le contentieux. 
Le fournisseur ne se contente pas de systématiser la demande d'avenants, par une absence manifeste de collaboration et une lecture jusqu'au-boutiste des termes du contrat signé, par des personnes spécialement affectées à cette fin sur chaque projet significatif. Cela se pratiquait depuis longtemps dans des sociétés où la culture de services était basée sur une recherche de profits maximum par ce biais. Elles sont connues de tous dans ce marché.
Non, désormais c'est bien un modèle de dumping qui se pratique, sous couvert d'une anticipation de revenus dans les années futures du contrat, ou d'autres contrats en cascade, et sans provisions financières. Plus le contrat est important au yeux de l'Administration, sur un sujet sensible, au plus cette pratique séduit certains: en effet ils se disent que la négociation d'avenants (comprenez: en expliquant que sinon le fournisseur arrête le projet, y compris à son détriment juridiquement parlant) sera facilitée : les pilotes du projet du côté de l'Administration seraient éclaboussés eux aussi par une telle conclusion, si le contentieux devient public. Dans ce bras de fer, ils plient en silence et signent les avenants sans faire de bruits, au cours du projet... y compris en allant au bout du compte jusqu'à dépasser le prix des offres concurrentes initiales, écartées puisque moins compétitives mais ô combien plus honnêtes. 

Dans cette optique de distorsion des règles, les recours par les compétiteurs éconduits n'existent pas. Les audits comme ceux de la Cour des Comptes auront grande difficulté à prouver ces pratiques, où il est facile de commander de ci, de là, quelques Unités d'Oeuvre en plus. On ne parle pas en milliards sur ces marchés mais quand même en dizaines de millions d'€ pour les plus gros. 

Là où l'on atteint l'effet subprime, c'est dans l'emballement de la mécanique: dans le vent de la crise, le recours à ces distorsions peut devenir une pratique managériale systématique, par l'appât du gain à court terme. La pratique du risque se renforce, s'institutionnalise brusquement, avec toujours aussi peu de provisions ou de gestion prévisionnelle du staffing. En quelques mois, de nombreux deals peuvent être gagnés par un seul compétiteur, qui sera alors dans l'impossibilité de délivrer les services sur tous les marchés gagnés par manque de personnel, puisque le marché du travail (mobilité) est beaucoup moins fluide, surtout en temps de crise. Ainsi l'Administration, qui aura beaucoup de mal à refuser ces devis si peu chers suivant la règle de "mieux-disance", peut se retrouver rapidement prise au piège de l'appât du gain de fournisseurs malhonnêtes sur des marchés particulièrement importants pour nous tous, citoyens et usagers.