2014/01/05

Le point d'arrêt de la pensée unique de l'Occident


Quel est le point commun fondamental entre les prises de position sur les événements actuels aux USA de Noam Chomsky qui se revendique comme anarcho-syndicaliste, de la direction du Monde Diplomatique et des grands médias occidentaux en général (des représentants de tout le spectre politique politiquement correct) et de tous ceux qui se déclarent en faveur de l'appareil sécuritaire d'oppression américain que l'on peut aisément qualifier comme étant typique d'une idéologie extrême (-droite en l’occurrence)?

Je pense qu'il s'agit d'une attitude sociale qui se développe vis-à-vis de l'indépendance de la pensée, ou de la liberté de l'esprit. Ces dernières trouvent leur opposé sous le terme de pensée unique c'est à dire d'une subordination de la pensée, d'un lien de soumission intellectuelle à une obédience quelconque, d'une oblitération de la capacité d'esprit critique, qui est bien imagée par l'expression: accepter de ne voir qu'avec les œillères que l'on se donne.

Cette altération de la psychologie de l'individu plongé dans un corps social traverse toutes les limites des idéologies politiques, et tend à uniformiser les comportements ou les réponses des acteurs. Dans les pays développés, les électeurs ont intuitivement conscience de ce problème de la représentativité politique dans nos démocraties. Le moment est venu de la réformer, nous indique The Economist.

Toutes les idéologies politiques actuelles se sont construites et développées contre le marxisme: soit en s'appuyant contre lui, soit en opposition étroite face à lui. Nécessairement, elles sont donc profondément imprégnées de la structuration de la réalité sociale marxiste qui les a façonnées, y compris et surtout pour ses plus farouches opposants (le fascisme). La disparition de l'URSS n'a strictement rien changé de ce point de vue. Il est donc justifié de parler d'un terreau de pensée unique, commun à toutes.

Pour illustrer ceci, relisons ce que Berdiaeff, ce grand penseur russe qui a observé le développement du marxisme, du bolchevisme et du fascisme, a écrit au siècle dernier [1]. Il nous apprend que pour ces gens, la vérité et la justice sont déterminées par leur attitude à l'égard de la réalité sociale, et que c'est en cela que réside leur erreur commune.
[Nous étendons ci-dessous les propos de Berdiaeff qui concernaient les attitudes des marxistes et fascistes de son époque à l'ensemble des occurrences de la pensée unique, telles celles que j'ai cité au début. Choisissez la déclinaison qui vous parle le plus.]
"C'est devant ce problème que se trouvent les intellectuels de nos jours qui reconnaissent la vérité sociale de [la pensée unique]. On dénie à [un individu] le droit de dire ce qu'il croit être la vérité sur [la pensée unique], sous prétexte que la vérité ne peut se révéler à l'homme individuel, [...], la vérité étant le produit de la lutte révolutionnaire [de la pensée unique] et devant contribuer à la victoire de celle-ci.
La vérité, alors même qu'elle se rapporte aux faits les plus incontestables, devient un mensonge, si elle peut nuire à la victoire de [la pensée unique], tandis que le mensonge peut devenir un moment dialectique nécessaire de la lutte [de la pensée unique]
[...]
L'attitude à l'égard de la vérité a considérablement changé dans le monde contemporain. Marxistes et fascistes prétendent, les uns et les autres, que la vérité est un produit de collectivités et qu'elle ne se manifeste et ne se révèle qu'au cours de lutte collectives; que l'individu ne saurait connaître par lui-même la vérité et l'affirmer à l'encontre de la collectivité. J'ai assisté à la formation de cette manière de voir pendant les années de ma jeunesse..." 
Contre cette erreur primordiale dénoncée par Berdiaeff, il s'agit donc de défendre la vérité désintéressée, l'indépendance de l'intellect et le droit de jugement personnel qui sont les conditions nécessaires pour établir une vérité et une justice qui ne soient pas dévoyées. C'est le point d'arrêt de la pensée unique de l'Occident, celui qui marque le retour du balancier dans l'autre sens. Et nous constatons que c'est encore une fois en Russie que le fer de lance de cette philosophie, qui peut séduire des partisans de tous les partis politiques traditionnels, se dessine de nos jours.

[1] Nicolas Berdiaeff, De l'esclavage et de la liberté de l'homme, 1946

2013/12/16

Artwork: The One Bond


 Three Strings for the Eastern-kings under the tie,
 Seven for the Oil-lords in their halls of stone,
 Nine for Mortal Banks doomed to die,
 One for the Doll's Mark in the dark thrown
 In the Land of Morgan where the Shallows lie.
 One Bond to rule them all, One Bond to find them,
 One String to bring them all and in the darkness bind them
 In the Land of Morgan where the Shallows lie.

  — inspired by J.R.R Tolkien, The Lord of the Rings, Epigraph


Artwork licensed under Creative Commons BY-SA 3.0  


2013/11/20

Questions Internationales: les Etats-Unis, JFK, et la CIA

A.I. Solzhenitsyn
 Le bimensuel Questions Internationales publie ce mois (N°64, nov-déc 2013) un large dossier de 80 pages sur les "Etats-Unis: vers une hégémonie discrète". L'équipe éditoriale brosse au fil des articles un portrait des plus rassurants pour la situation de ce pays. Il restera le seul dominant nous dit-on ("hégémonie") et il choisit de lui-même de se montrer plus "discret". Pas fuyant, ni en déroute, ni même en retraite. Ni absent, ni ralenti, ni malade, ni convalescent, ni bien Sur impuissant. C'est un "repli apparent", "une politique extérieure furtive", et même "une modestie internationale affichée... qui nourrit une stratégie à long terme d'une hégémonie durable" selon Serge Sur (rédacteur en chef).

Page 8 on peut cependant noter un passage intéressant à propos du Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) et des relais de l'influence des USA en Europe: 
"C'est ainsi que le projet, dont la négociation est ouverte, de zone de libre-échange entre l'Union européenne et les Etats-Unis, tend à absorber l'Union dans une sorte d'Otanie économique qui compléterait la vassalisation sécuritaire, monétaire, financière de l'Europe occidentale. Règles, normes, standards américains seraient, par la force des choses, plus que jamais la loi commune au lieu de la compétition actuelle avec une Union qui sait conserver son autonomie. 
Pour cela, les Etats-Unis disposent, dans l'Union même, de relais actifs, publics ou privés. François Mauriac polémiste évoquait, à propos de certains hommes politiques européens, des "poulets nourris aux hormones américaines". Ils ont beaucoup de descendants dans tous les milieux."
Nous aurons l'occasion de revenir sur ce dossier USA de manière plus détaillée, comme nous l'avons déjà fait (en février, en mars). Il est plus urgent pour aujourd'hui de passer à un problème plus grave dans cette publication.

Questions Internationales est publié par La Documentation Française, imprimé par la Direction de l'Information Légale et Administrative, et bénéficie de la participation de Sciences Po Paris. Son rédacteur en chef, au CV académique, est actuellement juge ad hoc à la Cour internationale de justice de La Haye. Fort bien.

Pourquoi dès lors accepter la publication p110-114, à l'occasion du 50ème anniversaire de la mort de JFK, d'un article de Charles Cogan, ancien chef de la CIA à Paris, et qui commence par ce résumé:
"L'assassinat de John F. Kennedy fut commis par un tueur isolé, Lee Harvey Oswald dont l'acte s'explique en partie par son admiration pour Fidel Castro et son animosité envers le gouvernement et le président des Etats-Unis. Deux éléments suggèrent que Fidel Castro aurait pu être le commanditaire de l'assassinat : le caractère outrancier du personnage et le fait qu'il était au courant des complots ourdis contre lui par les frères Kennedy. A ce jour, aucune information probante n'est toutefois apparue pour corroborer cette hypothèse et la question reste ouverte."
De l'avis même de son auteur, rien ne vient corroborer cette hypothèse castriste 50 ans après les faits. Par contre, d'autres pistes ont été depuis patiemment investiguées, et qui viennent à la fois totalement invalider le rôle de Castro comme commanditaire de l'assassinat, révéler le rôle déterminant et positif joué par Robert Kennedy (dont je me souviens) auprès de son frère, pour le soutenir contre son entourage de conseillers dans la résolution de la crise des missiles; qui viennent également totalement invalider la thèse officielle du tireur isolé, et qui mettent en lumière le rôle de l'état profond (qui recouvre les officines comme la CIA et le FBI) dans la gouvernance du pays. 

J'aurais attendu du comité scientifique et du comité de rédaction d'un tel journal publié par nos institutions de la République un respect plus marqué des valeurs de vérité historique. Au strict minimum, une mention comme "Selon la thèse officielle de la commission d'enquête Warren,..." au début du texte aurait par exemple permis au lecteur de comprendre le nécessaire recul à avoir. Un encart pour donner brièvement un autre point de vue n'aurait pas été de trop non plus.

Je me vois donc obligé de mentionner moi-même ces éléments, puisque cela n'a pas été fait, afin qu'on ne pense pas qu'au pays des Lumières un tel discours honteux qui fait obstacle à la raison et à la vérité passe sans qu'un citoyen ne remplisse son devoir. Nous ne sommes pas à Washington, Dieu merci.

Pour être concis, nous rappelons les références suivantes. Les liens qui ne sont pas en italique conduisent aux textes intégraux et à leurs références documentées qui corroborent les propos: 

"The JFK Assassination: New York Times Acknowledges CIA Deceptions" Peter Dale Scott, Global Research, October 2009
- The Assassinations of the 1960s as `Deep Events'Peter Dale Scott, History-Matters.com, October 2008
JFK and 9/11: Insights Gained from Studying BothPeter Dale Scott, Global Research, December 2006
- The CIA, the drug traffic, and Oswald in Mexico, Peter Dale Scott, History-Matters.com, December 2000
- The 3 Oswald deceptions: The operation, the cover-up and the conspiracy, Peter Dale Scott; This piece was originally published in:Deep Politics II
- The Kennedy-CIA divergence over Cuba, Peter Dale Scott, History-Matters.com; This piece was originally published in: Deep Politics II
- CIA files and the pre-assassination framing of Lee Harvey Oswald, Peter Dale Scott; This piece was originally published in: Deep Politics II 
Deep Politics II: Essays on Oswald, Mexico and Cuba. The New Revelations in U.S. Government Files, 1994-1995. Newly Revised Edition, 1996. JFKLancer Publications
- Deep Politics and the Death of JFK, Peter Dale Scott, 1993, University of California Press.

On pourra aussi s'intéresser aux travaux publiés de la commission parlementaire "Select Committee on Assassinations" de 1979 qui concluent notamment:
"The committee believes, on the basis of the evidence available to it, that the Cuban Government was not involved in the assassination of Kennedy."

Et je rappelle à Serge Sur que le maintien de cette parole est une condition nécessaire de justice. Je cite en anglais puisqu'il comprend fort bien cette langue:
"In keeping silent about evil, in burying it so deep within us that no sign of it appears on the surface, we are implanting it, and it will rise up a thousand fold in the future. When we neither punish nor reproach evildoers, we are not simply protecting their trivial old age, we are thereby ripping the foundations of justice from beneath new generations." 
(A.I. Solzhenitsyn, 1918 – 2008 ; The Gulag Archipelago, 1958-68)
J'ai résumé les causes socio-politiques qui ont conduit au drame du 22 Novembre 1963 dans la première partie de cet article publié en Mars. Parce que la justice n'a jamais pu s'exercer de manière satisfaisante, cette date marque celle de l'émancipation officieuse mais définitive de l'appareil sécuritaire américain vis-à-vis de l'Etat de droit. Ce n'est pas un acte de naissance de l'Etat profond, mais c'est un acte hautement visible et symbolique de son pouvoir, geste rendu logique à ses yeux parce qu'il n'avait pas pu contrôler cet opposant puissant.

La leçon que l'Histoire nous a donnée, retranscrite ici par Solzhenitsyn, nous explique la lente dérive du contexte socio-politique américain étouffé par cet Etat profond jusqu'au coup d'Etat permanent démarré en 2001. J'ai synthétisé l'accélération de cette dérive jusqu'à nos jours dans la deuxième partie de l'article, donnant ainsi un cadre cohérent pour appréhender les conséquences prochaines que j'exposent en conclusion, et en particulier l'inévitable contre-révolution du peuple américain qui conduira nécessairement à ré-exposer en pleine lumière l'intégralité des dessous de cette affaire.

Une société qui se pense libre ne peut en aucun cas faire l'économie de la justice, et réciproquement: une société qui fait l'économie de la justice ne peut se penser libre. C'est pourquoi le système judiciaire américain est autant miné de l'intérieur, et le premier ouvertement remis en cause. Sa défaillance a entraîné les sonneurs d'alarme toujours plus loin, en boule de neige jusqu'au tremblement de terre Snowden qui a écroulé les jeux d'alliance chancelants du gouvernement US.

L'Histoire retiendra que les individus au sein de l'Etat profond ont voulu jouer avec des forces sociales qui les dépassaient, et dont ils n'ont jamais compris la portée, comme tous les tyrans. Ils ont vécu dans l'illusion, ont donc voulu imposer l'illusion de masse à un niveau jamais atteint dans l'Histoire, et ils sont finalement rattrapés par la réalité. Tout le monde peut voir maintenant qu'un César multiforme a bel et bien franchi le Rubicon et que les institutions sont devenues des simulacres. Les masques et les décors de carton tombent. C'est l'effet de dévoilement de la crise.

Le long processus de dé-américanisation du monde passe nécessairement aussi par une dé-américanisation de l'Europe. Dans ce berceau historique de l'esprit démocratique, ce mouvement se traduit de manière plus aiguë par un dépassement des représentants de ce que Francis Dupuis-Déri a nommé l'agoraphobie politique, c'est à dire la peur ou la haine du peuple assemblé pour délibérer et se gouverner. Cette peur justifie dans l'esprit de ceux affectés qu'une élite auto-proclamée exerce son «pouvoir sur» le peuple, se situant donc dans un rapport dialectique de domination hiérarchique et de confiscation du pouvoir.

[Conclusion de l'article complétée en plusieurs ajouts entre le 20 et le 26/11]