2013/05/11

Bernard Stiegler et l'anticipation politique

 

Bernard Stiegler (nda: il est décédé en 2020, 7 ans après la publication de cet article) est très certainement l'un des intellectuels les plus marquants dans le monde depuis les années 90. 
  • D'abord par son parcours et son entrée dans la philosophie particulièrement révélateurs de la naissance et du développement d'une pensée originale et fertile; 
  • Mais aussi et surtout parce que son oeuvre philosophique s'attaque à une question fondamentale mais jamais posée auparavant: comment préserver les systèmes sociaux de leur destruction par le système technique? Stiegler propose une approche  de la conception intégrée de l'homme et de la technique, qui impose donc l'indispensable création et développement de nouvelles disciplines de l'esprit, qu'il désigne comme des thérapeutiques (et pas seulement éthique) d'emploi de la pharmacopée constituée par l'ensemble des techniques (Stiegler utilise le terme de pharmacologie). Je vous recommande vivement de lire à ce sujet l'essai "Etats de choc - Bêtise et savoir au XXIème siècle", paru aux Editions Mille et Une Nuits, février 2012;
    • Mais encore par son approche collaborative et transdisciplinaire, et parce qu'il s'intéresse à la question de la transindividuation, qui est l'enjeu de toute la démarche, en associant logiquement le volet de la technique aux volets psycho-sociaux. Il forme donc une proposition féconde pour caractériser ce que j'appelle l'état de conscience sociale. 
    Lorsque les techniques ou technologies sont mises au service de la prolétarisation et de la désindividuation, elles provoquent des court-circuits dans la transindividuation, elles délient les individus psychiques des circuits longs d’individuation, elles le rabattent sur un plan de subsistance en les coupant des plans de consistance. L’hypomnèse devient alors toxique.
    • Et enfin parce que son action et sa réflexion s'inscrivent de plus en plus dans une dimension politique, et pas seulement dans la perspective purement académique de créer une nouvelle école de pensée. Outre l'ambition légitime de refonder l'Université, il faut souligner aussi sa dénonciation de la dynamique néo-conservative, comment en témoigne son tout dernier ouvrage sur la "Pharmacologie du Front National".
    On lira ainsi avec intérêt un récent entretien publié par Politico, et sur lequel contenu nous partageons la même analyse... jusqu'à sa réponse à la dernière question posée, concernant les élections de 2017.

    Ici, il nous semble pour notre part que la réflexion de Bernard Stiegler se fait prendre de vitesse, et qu'il tombe dans un piège, victime d'un manque de méthode: si sa pensée a su développer une bonne analyse des conditions de développement passées du Front National, il prend un raccourci soudain pour exprimer non plus une analyse mais une simple conviction personnelle sur la situation en 2017, avec une assurance certaine. Ces propos sont aussi présents dans "Pharmacologie du Front National", et font l'objet d'un débat animé par Médiapart le 5 Avril avec l'auteur.

    Il nous semble que Stiegler a ici ignoré les conditions de formation d'une bonne anticipation politique, et de la nouvelle discipline d'esprit qu'elle nécessite. Il tombe donc dans le piège de l'interprétation personnelle des sophistes dénoncée par Platon, et participe alors ponctuellement, même si c'est de bonne foi, à la constitution d'une rétention tertiaire qui rajoute à la confusion généralisée.

    Plus généralement, toute la construction de Stiegler sur le système psycho-socio-technique et ses pharmacologies nous semble pouvoir être appliquée à l'objet de l'anticipation, et à ses diverses techniques. La méthode d'anticipation politique nous semble alors être une thérapeutique adéquate, et notamment parce qu'elle prend en compte par construction les phénomènes liés à la transindividuation, qui deviennent dominants dans l'évaluation d'une dynamique politique.

    Rappelons pour conclure que la situation politique en France en 2017 sera nécessairement fortement influencée par la situation de la zone Euro, par l'actuelle montée en puissance de la représentativité constituée par le Parlement Européen, et que ces situations ne pourront par exemple ignorer les évolutions majeures qui s'annoncent de l'autre côté de l'Atlantique, ni les sous-jacents de "l'extrême-droitisation de la société" (selon l'expression de Stiegler) que j'aborde. Tous ces facteurs ne sont pas analysés par Stiegler (ni par Todd, mais ce n'est pas une surprise; on remarquera d'ailleurs que ce dernier lors du débat sur Mediapart "anticipe une crise systémique globale", qui est littéralement le concept formé dès 2006 par le L.E.A.P. et vérifié depuis avec un succès certain; mais Todd l'eurosceptique, ne partageant pas du tout le même avis sur l'euro qui devait disparaître selon lui en 2012 -et chaque année depuis 1999 si on reprend ses interviews- ne pouvait citer le L.E.A.P. comme origine de son inspiration).

    2013/05/09

    What should an organisation do, that sees intellectual credibility, public opinion and economic opportunity slipping away from it?

    Richard Murphy has just published a blog post on  Ernst & Young report on country-by-country corporate taxes reporting, and discussed about the problems the Big Four have with transparency.

    In the comments, "Pellinor" disagrees with Murphy but do not argument at all why companies like EY would deliver a more solid audit than if  it is delivered by much more transparent organizations like CA, TJN. The question remains, as Murphy said, "when it comes to assessing the truth and fairness of the resulting reports."

    At the end, it is always the same thing: transparency has the unique virtue to smartly solve the dilemma: who will keep the keepers? Who will watch the watchers?
    With a transparent system, there is no difference between people watched and watchers. Everybody can potentially watch everybody, with several levels of attention. Transparency means a more social way to control and drive the economy. Transparency emphasizes social networks.

    And because transparency is a value on the uptrend (read my article about young europeans and the coming decade in Magazine of Political Anticipation #3), there is nothing EY or others can do to successfully oppose to this rise. Obviously more transparency in corporate taxes means a breaking trend in the oligopolistic market of accountancy. The only reasonable strategy to embrace for them is then to recognize this anticipated event as soon as possible and to build strategic partnerships with CA, TJN and others.


    2013/04/24

    Conscience Sociale, Networked Minds, Homo Socialis

    A quick entry in order to mention two articles that I just found, and to be read very carefully:



    It seems to be a great fundamental contribution for my own "Conscience Sociale" project. More to follow. Stay tuned.

    [Subsequent updates:]

    Others relevant contents:

    2013/04/17

    La prospective n'est qu'un art, pas un outil d'aide à la décision

     Les carnets de Clarisse nous incite dans un billet récent à considérer le travail de prospective comme un art.

    "La prospective est un art, et comme tout art, est subjectif. La qualité de la composition et la pertinence du sujet viennent de l’œil de celui qui regarde, et la véracité ou la justesse du résultat de son savoir-faire et de son honnêteté."

    Nous ne pouvons qu'être d'accord. Mais Clarisse ne pousse pas la réflexion assez loin. Nous posons la question : la prospective ne devrait-elle être qu'un art ?

    Certainement pas. En effet, indépendamment de ses conditions de création, la première utilisation qui est faite des résultats des analyses de prospectives par ses lecteurs est bien celui d'une aide à la décision sous un angle plus rationnel que la divination ou la cartomancie. L'attente est bien là, et pas dans la contemplation d'une oeuvre poétique, bien qu'elle puisse être riche de sens. Mais uniquement du sens que l'auteur a choisi d'y mettre, et du sens que le lecteur (qui est aussi "celui qui regarde") choisit de percevoir. 

    Faut-il donc conclure par un constat d'échec de notre capacité humaine à mieux anticiper les bonnes décisions ? 
    Non plus. Il s'agit justement de développer ce qui manque à la prospective : une méthode rationnelle qui permet de sortir du cadre subjectif de l'expression artistique, à la fois dans l'acte de création et dans celui de la diffusion/perception. Et c'est exactement ce que propose la méthode d'anticipation politique

    2013/04/16

    La chute du mur de Cuba

     Franck Biancheri aimait à rappeler que l'effondrement géopolitique du bloc du Pacte de Varsovie et de l'URSS en 1991 s'était traduit par trois principaux signes avant-coureurs, très visibles : 

    • affaiblissement géostratégique (bourbier de l'Afghanistan)
    • affaiblissement de la capacité économique et de production industrielle (quasi stagnation du PIB), accompagné par une part toujours croissante du complexe militaro-industriel dans le PIB et le budget
    • affaiblissement diplomatique (chute du mur de Berlin)
    Le parallèle avec la situation actuelle du bloc constitué par les pays arrimés au consensus de Washington a déjà été proposé :
    • affaiblissement géostratégique des US (bourbier de l'Afghanistan, retrait d'Iraq)
    • affaiblissement de la capacité de production industrielle des US (cf graphiques), part croissante de la Défense dans le budget, multiples crises depuis 2007
    Et pour le mur de Berlin, le parallèle ne pourrait-il pas être fait avec l'embargo que les USA imposent sur Cuba ? Diplomatiquement et stratégiquement, si Berlin Ouest était l'avant-poste de l'Occident au cœur de la sphère d’influence de l'URSS, Cuba peut être vu comme l'avant poste des BRICS au cœur de la sphère d’influence des US.

    En tout cas, cette politique de restriction de liberté de circulation des populations (davantage que celle des marchandises), est une oppression caractéristique du monde d'avant la crise. Elle subit dernièrement des assauts diplomatiques répétés, ainsi qu'une pression citoyenne très forte : 57 % des républicains, 74 % des démocrates et 60 % des indépendants sont en faveur de son abolition. Il faudra bien que ce mur aussi cède tôt ou tard pour que cela cesse. C'est un indicateur de rupture auquel nous devons porter attention.