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2014/08/31

La guerre d'Ukraine et l'esprit des peuples

[This article is also available in english].

Il est encore difficile aujourd'hui d'évoquer l’absence de liberté des grands médias occidentaux sans être taxé d'extravagance, de se voir convaincre d'être le neveu de Poutine.

Pourtant cette liberté parmi d'autres n'est qu'un des visages de la liberté tout court et l'on comprendra notre obstination à la défendre si l'on veut bien admettre qu'il n'y a point d'autre façon de gagner réellement la guerre dans laquelle ceux qui dirigent l’OTAN veulent précipiter l’Europe.

Sur les obstacles qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, Chomsky[1], Bourdieu[2], Orwell[3], de Sélys et Collon[3b], Scott[4] ou Joly[5], et d'autres encore, ont d'ailleurs précédé tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore. En particulier, le principe de la fabrication du consentement une fois imposé, le fait qu'à cet égard les sentiments des foules dépendent de l’influence délétère de bien peu, poussant à la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, démontre mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.

Un des bons préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en Occident n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un citoyen peut rester libre. Le problème n'intéresse plus les gouvernements. Il concerne la société civile et d’abord l'individu.

Et justement ce qu'il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, à l’orée ou au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l'ironie et l'obstination. 

La lucidité est le moteur de notre propre liberté

La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l'histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu'elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un citoyen libre, en 2014, ne désespère pas et lutte pour ce qu'il croit vrai comme si son action pouvait influer sur le cours des événements. S’il est auteur, quel que soit le média, il ne publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela est en son pouvoir.

Abandonner sa souveraineté, ou bien ne pas renoncer

Mais le citoyen peut aussi être un représentant de l’Etat. Les gouvernements américains et anglais ont tenté il y a 10 ans de décrédibiliser l’idéal des Nations Unies, de déshonorer tous les gardiens de notre conscience collective par le mensonge, la tromperie et l’injustice[6] en les entraînant dans la guerre en Irak, pour en être empêché in-extremis par la volonté et la voix courageuse d’un Ministre de la France[7]. Ces mêmes gouvernements tentent aujourd’hui de tirer à nouveau les ficelles pour nous précipiter dans la guerre en Ukraine, bientôt contre la Russie, en employant sans vergogne les mêmes méthodes infâmes[8]. Ils veulent cependant utiliser l’OTAN pour court-circuiter le Conseil de Sécurité de l’ONU, ayant appris de leur échec de 2003. Le sommet de l’OTAN au pays de Galles les 4 et 5 Septembre réunissant les 28 Etats membres de l’alliance n’a pas d’autre vocation que de remplacer dans l'opinion publique une résolution du Conseil de Sécurité sur l’intervention prochaine en Ukraine, qui sera précédée par des arrivées de troupes américaines dans les bases de l’Est de l’UE[9], mais aussi en Italie, en Hollande ou en Allemagne. C’est bien une réoccupation de l’Europe par l’armée américaine, les Etats européens n’ayant en réalité quittés leur statut de colonie lors des 70 années écoulées que lors de brèves parenthèses comme celle du Gaullisme. Le TTIP et les amendes récentes sur les banques européennes ne sont à cet égard que des moyens de rétablir l’imposition directe des européens, après l’imposition indirecte qui se manifeste au travers des achats de bons du Trésor américain par tous les Etats.

Quel homme trouvera le courage de marcher dans les pas de Dominique de Villepin lors du prochain sommet, et refusera par sa voix que son pays suive le chemin fatal où les Etats-Unis et la Grande-Bretagne veulent mener l’alliance ? Qui, ne cédant pas à la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, se rappellera les mots de Démocrite : le caractère d’un homme fait son destin ? Au sein de ce sommet, la lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les leurs doivent les conduire à donner la priorité au désarmement des adversaires en Ukraine, dans une paix qui ne serait pas un langage orwellien, en collaboration avec l’Union Eurasiatique.

Servir le mensonge, ou bien la liberté

En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre accepte d'être malhonnête. Or, et pour peu qu'on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s'assurer de l'authenticité d'une nouvelle. C'est à cela qu'un journaliste libre et un citoyen doit donner toute son attention. Car, même s'il ne peut dire tout ce qu'il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu'il ne pense pas ou qu'il croit faux. Et c'est ainsi qu'un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l'on sait la maintenir. Car elle prépare l'avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l'uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu'elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu'aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge.

C’est ce que nous attendons de tous les commentateurs à l’issue du prochain sommet de l’OTAN.

Chérir la vérité avec obstination

Nous en venons ainsi à l'ironie. On peut poser en principe qu'un esprit qui a le goût et les moyens d'imposer la contrainte est imperméable à l'ironie. On ne voit pas Kerry, Netanyahou, Fabius, Ashton, Iatseniouk, pour ne prendre que des exemples parmi d'autres, utiliser l'ironie socratique. Il reste donc que l'ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu'elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 2014, ne se fait pas trop d'illusions sur l'intelligence de ceux qui l'oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l'homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix dans les grandes rédactions. La même vérité dite plaisamment ne l'est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l'intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme Le Canard Enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l'on sait. Un journaliste libre, en 2014, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu'elles ont peu d'amants.

Cette attitude d'esprit brièvement définie, il est évident qu'elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d'obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d'expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement l'effet contraire à celui qu'on se propose. Mais il faut convenir qu'il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l'inintelligence agressive, l’ostracisme, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L'obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l'objectivité et de la tolérance.

Les esprits indépendants forment l'histoire

Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu'au sein de la servitude. Et après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque citoyen des pays occidentaux voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu'il croit vrai et juste, s'il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l'abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait déjà gagnée, au sens profond du mot.

Oui, c'est souvent à son corps défendant qu'un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut recommencer aujourd’hui la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc essayer une méthode qui serait la justice et la transparence, sous l’égide des Nations Unies puisque l’OTAN ne peut agir à sa place, pour conduire aux inspections, et au désarmement dans la paix. Mais la justice ne s'exprime que dans des cœurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits.

Même si finalement malgré tous nos efforts une nouvelle guerre a lieu, l’Europe étant une nouvelle fois détruite dans les années les plus terribles de sa longue histoire, il faut œuvrer dès aujourd’hui à sa future reconstruction. Cela commencera par insuffler l’esprit et le courage, et l’honneur. Les générations prochaines se souviendront alors de nos voix, retrouveront notre esprit et marcheront dans nos pas, bien après que l’OTAN aura été engloutie par l’histoire. Les peuples qui cultiveront ces valeurs ne cesseront pas de se tenir debout face à l'histoire et devant l’humanité.

Dr. Bruno Paul, d'après le manifeste d'Albert Camus.




[1] ‘La fabrication du consentement: de la propagande médiatique en démocratie’, Edward Herman et Noam Chomsky, 1988
[2] ‘Sur la télévision’, Pierre Bourdieu, 1996
[3] '1984', E.A. Blair, dit George Orwell, 1949
[3b] 'Attention Médias ! Mediamensonges du Golfe. Manuel antimanipulation', Michel Collon, 1992
[4] La politique profonde et l’Etat profond’, Conscience-Sociale.org, 03/2014
[6] a) « Discours de Colin Powell devant le Conseil de Sécurité de l'ONU », 05 février 2003 ; b) Dès 2004, les inspections américaines menées pendant la guerre s'accordent pour dire que l'Irak avait abandonné son programme nucléaire, chimique et biologique après 1991 (Iraq Survey Group Final Report, GlobalSecurity.org, 2004) ; c) « Colin Powell : comment la CIA m'a trompé », Nouvel Observateur, 03/2013
[8]Russia Invades Ukraine”, Strategic NATO Public Relations Stunt. Where are the Russian Tanks?, Global Research, 08/2014
[9] publié quelques heures après la parution de notre article: 'Europe de l'Est: l'Otan veut déployer cinq nouvelles bases', RiaNovosti, 31/08/2014

2014/07/01

Déclaration conjointe Euro-BRICS sur la crise ukrainienne - Trois propositions stratégiques

[republiée à partir du site Euro-BRICS du L.E.A.P.]

Nous [1], soussignés, membres de la société civile en Europe et dans les BRICS (chercheurs et professeurs universitaires, responsables de groupes de réflexion, journalistes, dirigeants d’entreprises, représentants de la société civile), souhaitons exprimer notre inquiétude commune quant aux tendances enclenchées par  la crise en Ukraine. Ces tendances ont une incidence sur la communauté internationale, menacent entre autre la souveraineté de l’Ukraine et l’indépendance de l’Europe, et provoquent une polarisation malvenue du système international avec des répercussions sur un équilibre géopolitique toujours fragile.
Nous voulons rappeler qu’une transition historique est en cours entre un monde unipolaire avec les Etats-Unis comme seule superpuissance et un monde multipolaire, transition qui doit être soutenue plutôt que contenue. Le monde entier, y compris l’Europe et les Etats-Unis, a tout à gagner à participer ensemble à la réorganisation d’une gouvernance mondiale fondée sur la multipolarité.
Nous tenons à réaffirmer notre analyse[2] selon laquelle l’Europe est en mesure de contribuer positivement à l’émergence pacifique d’un monde multipolaire. En effet, la crise ukrainienne a montré que, alors qu’une Europe indépendante et ouverte contribue à l’émergence d’un monde multipolaire, une Europe unilatérale créé les conditions mêmes d’un monde polarisé entre un bloc occidental et les nouvelles puissances mondiales.
Par conséquent, nous désapprovons fermement l’interruption des relations euro-russes et ses conséquences négatives sur les relations Euro-BRICS porteuses d’avenir. Nous sommes en total désaccord avec le déploiement de troupes des deux côtés de la frontière euro-russe et en particulier de troupes militaires américaines sur le territoire de l’Europe. Nous nous opposons à l’accroissement de tensions provoqué par le caractère non-concerté des politiques de libre-échange européenne et russe au niveau de pays frontaliers communs tels que l’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie, etc…
Nous considérons que la crise ukrainienne nécessite la mise en place d’un espace diplomatique destiné à débattre des droits de l’Europe et de la Russie à organiser leurs marchés communs et des moyens pour que ces marchés coexistent pacifiquement.
Nous tenons également à remarquer que la situation d’urgence humanitaire en Ukraine ainsi que les crimes et les exactions commises contre les populations civiles pendant la crise ukrainienne doivent être traités rapidement et faire l’objet d’enquêtes.
Nous estimons que le cadre de la coopération Euro-BRICS est susceptible de fournir la médiation appropriée  pour atteindre un résultat positif.

La situation requiert un sens élevé des responsabilités historiques et de l’intérêt collectif de la part des dirigeants du monde. C’est à ce sens que nous faisons appel à travers cette déclaration :
**  PARTAGER LES RESPONSABILITES COMME PREALABLE – Nous avons convenu que les responsabilités liées à la crise en Ukraine doivent être partagées entre l’Europe et la Russie. Ce n’est que sur cette base de reconnaissance mutuelle des responsabilités de chaque acteur que la paix en Ukraine pourra être reconstruite et les relations euro-russes relancées.
**  RELANCER LES RELATIONS EURO-RUSSES POUR CREER LES CONDITIONS D’UNE SORTIE DE CRISE MENEE PAR L’UKRAINE – Il appartient aux Ukrainiens de s’organiser et de reconstruire la paix en Ukraine. Cependant, les tensions entre les Ukrainiens pro-russes et pro-européens ne se désamorceront pas si les tensions entre la Russie et l’Europe ne se désamorcent pas en prier lieu. Par conséquent, au nom de la paix en Ukraine, nous appelons les dirigeants européens et russes à relancer un dialogue constructif. Par ailleurs, nous  souhaitons encourager les médias à fournir une information plus objective et à corriger toute désinformation susceptible de mener à de futurs conflits.
**  UN SOUTIEN EURO-BRICS A L’EFFORT DE SORTIE DE CRISE – En guise de contribution à encourager et soutenir l’effort euro-russe pour la relance d’un dialogue de sortie de crise, nous appelons les dirigeants Euro-BRICS [3] à convoquer très rapidement [4] le premier “sommet  Euro-BRICS pour l’Ukraine » qui aura pour objet d’établir les causes, d’identifier les solutions et de contribuer à mettre en place les conditions politiques et diplomatiques pour une résolution souveraine de la crise ukrainienne et pour la prévention de crises similaires avec d’autres États frontaliers euro-russes à l’avenir.

Ont signé la présente déclaration, les personnes suivantes, représentantes de la société civile en Europe et dans les BRICS (professeurs universitaires, chercheurs, dirigeants de groupes de réflexion, journalistes, représentants d’entreprises) par ordre alphabétique :
. Adriana Abdenur – Professeur, Institut des Relations Internationales, PUC-Rio, Rio de Janeiro, Brésil
. Jean-Paul Baquiast – Honorary State controller / Editeur de www.europe-solidaire.eu, Paris, France
. Marie-Hélène Caillol – Présidente LEAP/E2020 (Laboratoire européen d’Anticipation Politique), Paris, France
. Jayanthi Chandrasekharan – Assistant Professor, Département de français, Loyola College, Chennai, Inde
. Jose-Maria Compagni-Morales – Président FEFAP (Fundación para la Educación y Formación en Anticipación Política), Associate Professor IE Business School, Séville, Espagne
. Taco Dankers – Entrepreneur, software engineer, Dankers & Frank, Consulting and Software Engineering, Amsterdam, Pays-Bas
. Baudouin De Sonis – Executive manager, e-Forum & EU-China-Forum / Associate director IERI (Institut Européen des Relations Internationales), Bruxelles, Belgique
. Anna Gots – Directrice financière, AEGEE-Europe / European Students’ Forum, Bruxelles, Belgique
. Harald Greib – President IRPA (Internationaler Rat fur Politische Antizipation), Hambourg, Allemagne
. Christel Hahn – Coordinatrice générale, AAFB, Allemagne
. Michael Kahn - Professor Extraordinaire, Stellenbosch University, South Africa / Director, Research and Innovation Associates, Cape Town, South Africa
. Caroline Lubbers – Project manager Euro-BRICS, Amsterdam, Pays-Bas
. Bruno Paul - Docteur es Sciences, founder of conscience-sociale.org, Paris, France
. Zhongqi Pan – Professor at Center for BRICS studies, Fudan University, Shanghai, Chine
. Sylvain Perifel – Coordinateur GEAB, Leap2020, Paris, France
. Marianne Ranke-Cormier – Présidente Newropeans, Paris, France
. Yi Shen - Associate Professor at Center for BRICS studies, Fudan University, Shanghai, Chine
. Suyuan Sun – Research Associate at Center for BRICS studies, Fudan University, Shanghai, Chine
. Veronique Swinkels – Directrice Générale, BBK/Door Vriendschap Sterker, Amsterdam, Pays-Bas
. Alexander Zhebit – Professor of International relations, Universidade Federal de Rio de Janeiro, Brésil
. Jiejin Zhu - Associate Professor at Center for BRICS studies, Fudan University, Shanghai, Chine


[1] Cette déclaration commune a été prise à l’issue d’une vidéo-conférence historique, organisée le 27 mai par LEAP en partenariat avec FEFAP et en collaboration avec l’Université Fudan de Shanghaï, qui a réuni 28 représentants d’Allemagne, Brésil, Chine, Espagne, France, Inde, Pays-Bas, Russie et Ukraine, sur le thème suivant: “L’impact de la crise ukrainienne sur les relations Euro-BRICS – Un échange de points de vue Euro-BRICS sur la crise ukrainienne en vue de solutions possibles”. Les points de convergence ont été frappants et ont conduit le groupe à rédiger cette présente déclaration conjointe.
[2] Le LEAP et MGIMO ont initié le concept Euro-BRICS en 2009 comme cela a été établi dans ce document: Why Euro-BRICS? Ou ici: Concept of the 4th seminar
[3] Au moins M. Hollande, Mme Merkel, M. Modi, M. Poutine, Mme Rousseff, M. Xi, M. Zuma.
[4] Idéalement, en marge du Sommet BRICS qui doit se tenir au Brésil mi-Juillet; au plus tard, début 2015.

2014/06/28

A Euro-BRICS joint statement on the Ukrainian crisis : Three strategic proposals

[Republished from LEAP/E2020 site.]
We [1], the undersigned members of civil society in Europe and the BRICS (academic professors and researchers, think-tank leaders, journalists, business representatives, civil society representatives), declare our common worry about the trends currently at play resulting from the crisis in Ukraine. These trends are affecting the international community, threatening the sovereignty of Ukraine and the independence of Europe mainly, triggering an unwelcome polarisation of the international system and impacting an always fragile geopolitical balance.
We strongly disagree with the disruption of Euro-Russian relations and its negative consequences on Euro-BRICS future-bearer relations, with the deployment of troops on both sides of the Euro-Russian border and in particular of foreign US military troops on Europe’s territory, with the growing tensions provoked by the non-concerted free-trade policies of Europe and Russia on common border countries such as Ukraine, Georgia, Moldova, etc…
We also want to state that the humanitarian emergency situation in Ukraine and crimes and abuses committed against the civil populations during the Ukrainian crisis should be promptly dealt with and investigated.
We consider that the Ukrainian crisis calls for the set-up of a diplomatic arena to discuss Europe’s and Russia’s rights to organize their common markets and how to make these markets coexist peacefully. We estimate that the Euro-BRICS cooperation framework is likely to provide the proper mediation required to reach a positive result.
We wish to reaffirm our analysis [2] that Europe presents assets to contribute positively to the peaceful emergence of a multipolar world. Indeed the Ukrainian crisis has showed that, while an independent and open Europe provides grounds for the emergence of a multipolar world, a one-sided Europe creates the conditions for a world polarized between a Western bloc and the new global powers.
We want to remind that a historical transition from a unipolar world with the US as the sole superpower towards a multipolar world is underway that must be accompanied instead of contained. The whole world, including Europe and the United States, will gain from a commonly-conducted reorganisation of global governance acknowledging multipolarity. To this purpose, we need global leaders with a high sense of historical responsibility and collective interest.
It is this sense historical responsibility and collective interest that we call onto through this declaration.

** ACKNOWLEDGING SHARED RESPONSIBILITIES AS A PREREQUISITE – We have agreed that responsibilities over the crisis in Ukraine must be shared among Europe and Russia. On this basis of recognition of each player’s responsibilities only can peace be rebuilt in Ukraine and Euro-Russian relations revived.

** RESUMING EURO-RUSSIAN RELATIONS TO CREATE THE CONDITIONS FOR A UKRAINIAN-LED CRISIS RESOLUTION – It belongs to the Ukrainians to get organized and rebuild peace in Ukraine. However there is no way tensions between the pro-Russian and pro-European Ukrainians will deescalate if tensions between Russia and Europe do not deescalate first. Therefore, for the sake of peace in Ukraine, we require from European and Russian leaders to restart a constructive dialogue and we wish to encourage the media to provide a more objective information and correct the mis-information which would lead to more conflict in the future.

** A EURO-BRICS BACK-UP OF THE CRISIS RESOLUTION EFFORT – As a contribution to encourage and mediate the Euro-Russian effort to relaunch a solution-oriented dialogue, we request from Euro-BRICS leaders [3] that they soon [4] convene the first “Euro-BRICS summit for Ukraine” in an effort to establish causes, identify solutions and contribute to put in place the political and diplomatic conditions for a sovereign resolution of the Ukrainian crisis and for the prevention of similar crises with other Euro-Russian border states in the future.

 Undersigned members of civil society in Europe and the BRICS (academic professors and researchers, think-tank leaders, journalists, business representatives) by alphabetical order
. Adriana Abdenur – Professor, Institute of International Relations, PUC-Rio, Rio de Janeiro, Brazil
. Jean-Paul Baquiast – Honorary State comptroller / Publisher of www.europe-solidaire.eu, Paris, France
. Marie-Hélène Caillol – President LEAP/E2020 (Laboratoire européen d’Anticipation Politique), Paris, France
. Jayanthi Chandrasekharan – Assistant Professor, Department of French, Loyola College, Chennai, India
. Jose-Maria Compagni-Morales – President FEFAP (Fundación para la Educación y Formación en Anticipación Política), Associate Professor IE Business School, Sevilla, Spain
. Taco Dankers – Entrepreneur, software engineer, Dankers & Frank, Consulting and Software Engineering, Amsterdam, The Netherlands
. Baudouin De Sonis – Executive manager, e-Forum & EU-China-Forum / Associate director IERI (Institut Européen des Relations Internationales), Brussels, Belgium
. Anna Gots – Financial Director, AEGEE-Europe / European Students’ Forum, Belgium
. Harald Greib – President IRPA (Internationaler Rat fur Politische Antizipation), Hamburg, Germany
. Christel Hahn – General coordinator AAFB, Germany
. Michael Kahn - Professor Extraordinaire, Stellenbosch University, South Africa / Director, Research and Innovation Associates, Cape Town, South Africa
. Caroline Lubbers – Project manager Euro-BRICS, Amsterdam, The Netherlands
. Bruno Paul - Doctor in Sciences, Founder of conscience-sociale.org, Paris, France 
. Zhongqi Pan – Professor at Center for BRICS studies, Fudan University, Shanghai, China
. Sylvain Perifel – Coordinator GEAB, Leap2020, Paris, France
. Marianne Ranke-Cormier – President Newropeans, Paris, France
. Yi Shen - Associate Professor at Center for BRICS studies, Fudan University, Shanghai, China
. Suyuan Sun – Research Associate at Center for BRICS studies, Fudan University, Shanghai, China
. Veronique Swinkels - Director general, BBK/Door Vriendschap Sterker, Amsterdam, The Netherlands
. Alexander Zhebit – Professor of International relations, Universidade Federal do Rio de Janeiro, Brazil
. Jiejin Zhu - Associate Professor at Center for BRICS studies, Fudan University, Shanghai,

________________

[1] This common statement results from a historical video-conference, organised on May 27th by LEAP in partnership with FEFAP and in collaboration with the Fudan University, Shanghai, which gathered 28 representatives from Brazil, China, France, Germany, India, Netherlands, Spain, Russia and Ukraine, on the following theme: “The impact of the Ukrainian crisis on Euro-BRICS, Euro-U.S. and BRICS’ relations – A Euro-BRICS exchange of views on the Ukrainian crisis with a view to possible solutions”. The convergence of views was striking and led the group to draft this joint statement.
[2] LEAP and MGIMO launched the Euro-BRICS process in 2009 on this intuition stated here: Why Euro-BRICS? or here: Concept of the 4th seminar
[3] At least Mr Hollande, Ms Merkel, Mr Modi, Mr Putin, Ms Rousseff, Mr Xi, Mr Zuma.
[4] Ideally as a side event of the upcoming BRICS Summit in Brazil mid-July; at the latest, early 2015.

2014/04/01

Rentrer à Matignon, ou rentrer dans l’Histoire

Rentrer à Matignon, ou rentrer dans l’Histoire.
Lettre ouverte à Monsieur Valls.



Monsieur le Premier Ministre,

Nous vous félicitons pour votre récente nomination à Matignon. 

Vous savez comme nous que la situation de la France, de l’Europe et du monde requiert une acuité toute nouvelle. 

Vous avez aujourd’hui l’opportunité de décider si vous voulez rentrer dans l’Histoire de France en devenant un homme d’Etat.

Pour cela, vos plus proches concitoyens vous conseillent de commencer par annoncer publiquement le programme suivant, qui vise à redonner enfin une vision positive, de l’élan et du courage au peuple français :
  • Affirmation de l’indépendance de la France, par la sortie unilatérale de l’OTAN par la France, qui sera effective 12 mois plus tard
  • Désaveu complet du régime de Kiev et reconnaissance du statut actuel de la Crimée
  • Désaveu de la politique étrangère et des programmes de surveillance massive des Etats-Unis, en rappelant l’ambassadeur de France à Washington
  • Désaveu du nouveau pacte transatlantique (TTIP) en l’état
  • Développement d’une nouvelle stratégie visant à redynamiser les relations de la France avec les pays BRICS ; annonce de l’intention de votre première tournée diplomatique dans chaque capitale des pays BRICS
  • Désaveu du Service pour l’Action Extérieure de la Commission Européenne, et demande expresse de le cantonner à exécuter seulement les décisions prises par le Conseil Européen, en restreignant fortement son autonomie
  • Présentation des excuses officielles pour le rôle tenu par la France dans le dernier conflit libyen
  • Affirmation du nouveau soutien de la France au Président Assad en Syrie
  • Soutenir les demandes de retrait de toutes les troupes militaires américaines en Europe
  • Affirmation de l’indépendance complète de votre politique par rapport aux décisions des agences de notation sur notre dette souveraine
  • Affirmation du rôle positif pour l’Europe des récentes annonces de l’établissement du clearing en Yuan à Londres et à Frankfort
  • Affirmation de la volonté du nouveau gouvernement de tout mettre en œuvre pour que la France intègre dès que possible le nouveau système monétaire et financier en construction, en commençant par votre souhait de faire entrer la France comme membre de la nouvelle Banque Mondiale de Développement initiée par les pays BRICS
  • Affirmation du rôle moteur qu’entend jouer la France parmi les pays de la zone euro avec ce programme, dans la seule ambition de créer de nouvelles synergies et un mouvement positif en levant les blocages existants
  • Réaffirmer l’absolue nécessité de l’indépendance totale de la Justice en France
  • Réaffirmer l’absolue nécessité du respect du droit international par tous les pays, et du rôle à tenir par la France en la matière
  • Affirmation de la volonté de la France de jouer désormais un rôle leader dans la définition et l'instauration rapide des nouvelles régulations bancaires, contre l'évasion fiscale, et notamment  aussi concernant une union bancaire européenne la plus efficace possible
  • Affirmation de votre support personnel pour la modification des traités Européens.


Avec un tel programme suivi par les actes en conséquence, toutes vos prochaines annonces sur les autres réformes de politique intérieure seront courageusement acceptées par vos concitoyens et les effets de cet élan politique se feront positivement sentir dès les élections européennes.

Vos concitoyens vous demandent de faire votre devoir et de les représenter dignement. Chaque changement de gouvernement est porteur d’espoir, mais éventuellement de nouvelles déceptions s'il ne prête pas attention aux réels enjeux historiques.

Si nous pouvons compter sur vous, vous pourrez compter sur nous.





2014/03/17

La crise ukrainienne, un évènement de la politique profonde


Oleh Tyahnybok faisant le salut de son parti Svoboda
La plupart des commentaires sur la situation en Ukraine se résume au choix d’un camp, ou des deux ensembles, pour trouver une solution à cette crise. Par solution, il faut hélas entendre solution de continuité de la crise, et non pas sa résolution.

Nous pensons qu’il est utile de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là. Cela pourrait éviter de nous enfermer dans des impasses, victimes d’une confusion généralisée.

Face à l'écroulement historique du système Dollar [1], et pour comprendre la stratégie actuelle de l’administration américaine, il faut d’abord souligner le contexte politique intérieur de ce pays, qui n’est plus depuis 1963 [2] qu’un simulacre de démocratie.[3] 

Nous devons le caractériser suivant les sciences politiques comme étant un Etat dual dans lequel l’Etat profond (deep State [4]) influence l’Etat public, dans une logique de lutte de pouvoir.[5] Le premier a pris un ascendant quasi complet. 
Nous avons précisé les définitions exactes et les preuves irréfutables de l’existence de cet Etat profond dans la synthèse bibliographique précédemment publiée.[6] En particulier, soulignons que l’Armée américaine (le Pentagone) est une composante de l’Etat public et non de l’Etat profond, bien que ponctuellement certaines équipes ou gradés en aient fait ou en font encore partie. C’est une distinction similaire à celle des membres de l’OAS au sein de l’Armée française.

L’évolution de la politique interne des USA au cours du siècle passé est évidemment très inquiétante et nous lui avions consacré un article l’année dernière.[7] 
Nous nous intéressons ici à l’influence de cet Etat profond sur la politique extérieure des USA.

La stratégie du chaos

Il est devenu évident depuis le début de la crise systémique globale que la stratégie choisie par le gouvernement des USA ne se fait plus en fonction des intérêts du peuple américain. Elle vise avant tout à préserver l’existence de l’Etat profond – à l’instar de toute structure institutionnalisée - à tout prix y compris celui de sacrifier tour à tour ses vassaux (car un tel pouvoir n’a véritablement pas d’alliés ou d’amis).

L’acuité de la crise ukrainienne et l’escalade des menaces de la part de Washington font resurgir la perspective d’un retour de la guerre froide, et également du spectre de frappe nucléaire qui l’accompagne.

Nous pensons pour notre part que s’il était vraiment dans le pouvoir des membres de l’Etat profond de lancer eux-mêmes une offensive nucléaire contre la Russie, l’Iran ou la Chine, ils l’auraient fait depuis longtemps. Ils ont essayé depuis la crise des missiles de Cuba.[8] Puisque cela ne s’est pas passé, c’est que l’Etat profond ne dispose pas (ou pas complètement) comme il le voudrait de cette chaîne de commandement (voir plus avant). 

Par contre disposant de moyens militaires hors de contrôle de l’Etat public (CIA, NSA, NSC…) il peut à loisir provoquer, créer des troubles, agresser sans cesse d’autres pays dans des conflits asymétriques.[9]

C’est une stratégie du chaos et de l’escalade des tensions internes et régionales pour couvrir le délitement de l’idéologie impérialiste dominante du XXème siècle à laquelle nous assistons. La crise Ukrainienne n’est que le dernier avatar.

Cette forme déliquescente de politique étrangère présente aux yeux de l’Etat profond plusieurs avantages :
  • Elle génère sa propre actualité erratique, qui détourne l’attention de la population intérieure et des pays vassaux envers les vrais problèmes posés par leurs systèmes réels de gouvernement ;
  • Elle rend toujours possible (mais très faiblement probable) une perte de sang-froid du pays agressé qui l’amènerait à attaquer ouvertement, fournissant un prétexte à toute forme d’escalade militaire et d’engrenage destructeur pour l’Etat Profond (puisque celui-ci, par construction des mesures secrètes de Continuité du Gouvernement,[10] sait le mieux se protéger dans les formes de conflits ouverts) ;
  • Si elle ne permet pas de reprendre l’avantage, cette stratégie permet de gagner du temps pour terminer de préparer le terrain à domicile : essayer d’augmenter les moyens de contrôle de sa population,[11] et en particulier essayer de trouver de nouveaux moyens de pression et de manipulation pour désarmer les américains (second amendement)… ce qui est encore loin d’être aisé.
  • Elle stresse les marchés financiers dont les acteurs sont encouragés à liquider leurs positions, c’est-à-dire à les transformer dans des assets liquides (stocks ou obligations, en particulier les Bons du Trésor US).
Notons qu’elle pousse également ces acteurs à thésauriser de l’or mais sur ce terrain l’Etat profond sait qu’il n’y a plus rien à entreprendre de plus que ce qui a déjà été fait :
  • manipulation des cours [12] pour retarder quelque peu l’échéance de la décomposition du système dollar,
  • corruption de la confiance envers la nature métallique des lingots officiels [13] (qu’il faut désormais re-tester [14] et/ou refondre),
  • leasing massif et re-hypothèque [15] de l’or national par les banques centrales pour distordre les prix du marché,
  • spoliation de l’or des citoyens, [16]
  • refus d’audit complet des stocks nationaux, [17]
  • création d’or papier frauduleux [18] car appuyés sur des stocks non audités,
  • manipulation de la publication des stocks officiels du COMEX [19] (depuis juin 2013 plus personne n’est responsable de la validité des données publiées).
Le prochain stade du refus d’honorer les contrats de livraison d’or physique aux marchés COMEX ou LBM ne constituera dans les faits qu’un aveu de reddition.[19bis]

Evolution sur 5 ans du stock d’or physique enregistré pour servir les retraits sur le marché COMEX ; source : 24hgold.com

L’idéologie et la dialectique de l’Etat profond américain

Pour mieux anticiper les évolutions et réactions des acteurs de l’Etat profond, il nous semble justifié d’après les éléments historiques que l’on ne peut pas s’arrêter à l’excuse de l’incompétence généralisée des structures de l’Etat public.[20]

Ces éléments historiques nous autorisent à associer deux tendances idéologiques d’extrême-droite qui irriguent les membres de l’Etat profond depuis des décennies :
  • tout d’abord la proximité [20bis] et le soutien depuis les années 20 des mouvements nazis [21] ou groupes parafascistes [22] dans de très nombreux pays [23] et dernièrement en Ukraine [24] (citons en particulier l’Opération PaperClip, et les réseaux d’insurrection Gladio (Stay-behind) dans toute l’Europe [24bis] – la tuerie en 2011 de Anders Behring Breivik près d’Oslo en Norvège [25] nous rappelant que ces réseaux dormants existent encore bel et bien de nos jours dans nos pays) ; 
  • ainsi que la collusion étroite des néoconservateurs avec le courant extrémiste et antidémocratique du Reconstructionisme Chrétien depuis les années 1980 [26] - ces fidèles sont souvent appelés « Dominionistes »[27] bien que le Reconstructionisme n’en soit qu’une sous-catégorie. L’apogée de leur influence au plus haut niveau de l’Etat se situe sous la présidence de G.W. Bush.[28] Signalons qu’une purge [29] vise ces derniers temps ces fidèles au sein du Pentagone, et en particulier chez les « missiliers »[30] pour notre plus grande sécurité semble t’il. 
La dialectique utilisée par les membres de l'Etat profond reprend en tous points ce qu'Orwell a décrit comme la doublepensée dans 1984 : [30bis]
To know and not to know, to be conscious of complete truthfulness while telling carefully constructed lies, to hold simultaneously two opinions which cancelled out, knowing them to be contradictory and believing in both of them, to use logic against logic, to repudiate morality while laying claim to it, to believe that democracy was impossible and that the Party was the guardian of democracy, to forget, whatever it was necessary to forget, then to draw it back into memory again at the moment when it was needed, and then promptly to forget it again, and above all, to apply the same process to the process itself – that was the ultimate subtlety; consciously to induce unconsciousness, and then, once again, to become unconscious of the act of hypnosis you had just performed. Even to understand the word 'doublethink' involved the use of doublethink.[...] 
The power of holding two contradictory beliefs in one's mind simultaneously, and accepting both of them... To tell deliberate lies while genuinely believing in them, to forget any fact that has become inconvenient, and then, when it becomes necessary again, to draw it back from oblivion for just as long as it is needed, to deny the existence of objective reality and all the while to take account of the reality which one denies – all this is indispensably necessary. Even in using the word doublethink it is necessary to exercise doublethink. For by using the word one admits that one is tampering with reality; by a fresh act of doublethink one erases this knowledge; and so on indefinitely, with the lie always one leap ahead of the truth.
Par exemple:
There is a difference between [political] assassination and killing .... The word 'kidnap' sounds to me like a term used in - in law. Remember that I'm a CIA agent, CIA background. We neutralise these things. We don't think... in criminal terms.
(déposition de B.L. Barker, membre du groupe secret 'Operation 40' de la CIA qui a notamment commis le cambriolage raté du Watergate) [30ter] 
Orwell le précise plus loin: « Si l'on doit gouverner, si l'on doit continuer à gouverner, on doit être en mesure de détruire tout sens de la réalité. Parce que le secret du gouvernement est de combiner la croyance en sa propre infaillibilité, avec le pouvoir d'apprendre des erreurs du passé ». Dès lors, chaque membre de l'Etat profond se transforme en pion crédule sans toutefois jamais manquer d'information vraisemblable, mais qui n'est pas la vérité. [30d]

Retenir fermement l’UE sous contrôle américain

Perdant du terrain et de l’influence sur le terrain domestique et parmi la majeure part des militaires du Pentagone dont le moral est au plus bas,[31] l’Etat profond a lancé plusieurs initiatives qui recouvrent les principes suivants :
  • Retenir fermement l’UE sous contrôle américain 
  • Ecarter l’UE des BRICS en attisant les tensions à toutes les frontières clés 
  • Restreindre la capacité stratégique de la Russie en utilisant l’OTAN et la suite des révolutions colorées 
  • Isoler la Chine de ses voisins asiatiques, attiser les tensions avec le Japon grâce au nationaliste Abe ou en Thaïlande 
  • Eviter le ralliement d’autres pays émergents autour des BRICS par l’arme monétaire (tapering) 
  • Reprendre pied en Amérique Latine (déstabilisation du Vénézuela) 
  • Répandre le chaos au Moyen-Orient (Syrie, puis Iran) en utilisant l’Arabie Saoudite qui se voyait ainsi déjà débarrassée de deux encombrantes puissances régionales (résultat : c’est le prince Bandar ben Sultan qui a été remercié [32] alors que Assad est toujours en place)  
On pourrait croire, comme nos dirigeants européens, que l'alliance avec l’UE (c’est-à-dire en fait sa vassalisation) est essentielle pour les USA. Il n’en est rien. Les dirigeants de l’UE ne pourront pas sauver les USA du naufrage complet du système dollar parce que rien ne le peut, mais ils prolongeront un peu plus les souffrances des peuples américain et européens.

Il importe peu de savoir si l’Etat profond américain pense vraiment que les USA avec l’UE et le Japon peuvent « sauver le système ». Nous savons que c’est impossible : la montée en puissance des BRICS, cumulée avec la fin de course actuelle de l’utilisation du dollar comme monnaie, sont irrésistibles (et au vu des évènements récents on a de bonnes raisons de douter de la solidité de la relation transatlantique : Le « Fuck the EU » de Mme Nuland résume bien la pensée profonde!). L’Etat profond cherche avant tout à gagner du temps, pour organiser au mieux son futur retranchement. 

Dans cette logique de simple pion, le projet Européen sera sacrifié à son tour, tout comme les Commissaires actuels. Ces derniers sachant leur reconduction impossible en juillet prochain, obtempèrent docilement à tous les desideratas de Washington et « poussent les feux » contre l’intérêt manifeste des citoyens européens sur tous les dossiers : Ukraine, Syrie, NSA, Lybie, OGM, TTIP... Ils trouveront certainement bientôt une place confortable dans un think-tank quelconque de Washington ou une université américaine... pour quelques temps. 

La sagesse voudrait que les dirigeants européens et leurs conseillers reconnaissent cette impasse historique et accompagnent le mouvement dans le bon sens. On ne retarde pas une naissance, on peut simplement la rendre plus douloureuse. Mais cela serait faire preuve d’un nouvel esprit européen actuellement en crise [32bis] et qui trouve son pinacle chez les élites européennes, et en particulier françaises. 

L’Ukraine pour éloigner l’UE des BRICS

Ecarter l’UE des BRICS est facile à réaliser : la construction européenne autorisée par Washington, conformément à son idéologie antidémocratique que nous avons décrite, s’articule principalement autour d’une technostructure non élue (la Commission Européenne) où l’influence anglo-saxonne est très forte.

Grâce aux documents de Snowden, nous savons que tous les leaders politiques européens sont étroitement surveillés par la NSA et son équivalent anglais le GCHQ depuis des décennies et, encore pire, que les appareils législatifs (et donc certaines des personnes clés qui étaient en charge) ont été corrompus pour éroder petit à petit le droit des citoyens au fil de certains articles de loi convenablement rédigés (par exemple dernièrement : l’article 20 de la LPM en France) [33]. C’est aussi ce que nous apprend dernièrement le témoignage de Snowden devant le Parlement Européen.[34]

Ces députés craintifs se sont hélas toujours refusés à utiliser leur unique pouvoir réel : celui de censurer la Commission et la forcer à démissionner – ce qui empêche dès lors tout contrôle des citoyens sur la Commission Européenne, même a posteriori. Tout est dit.

Seul dirigeant en Europe, Mme Merkel a osé élever un peu la voix suite au scandale des écoutes de la NSA et du GCHQ, mais se retrouvant isolée elle n’a pas pu utiliser ce moyen de pression. Le Parlement Européen est lancé dans une procédure bien plus longue. Donnera t’il son véto à la signature du TTIP ? François Hollande quant à lui est devenu quelques mois seulement après son élection plus Atlantiste encore que Nicolas Sarkozy, si c’était possible.[35]

Ce contrôle de nos faibles élites politiques a donc permis à l’UE de jouer l’un des rôles les plus honteux de toute l'histoire du continent: celui de soutenir la montée au pouvoir de forces néo-nazis en Ukraine comme nous l’avons vu, ceci contre l’aspiration de tous les peuples européens. 

Encore pire, les représentants de l’UE soutiennent les commanditaires des assassins des 100 victimes de la place Maidan : malgré la fuite de la conversation révélant à Mme Ashton la très probable intervention de snipers dirigés par l’opposition [36] (une tactique d’attaque sous fausse bannière hélas banale de la part de l'Etat profond pour manipuler les foules – ce qui est interdit par le droit international), aucun Commissaire européen ne s’est encore exprimé sur cette question brûlante. Si en Allemagne les médias se sont largement emparés de cette affaire, en France les articles de presse à ce sujet sont bien plus rares.  

C’est une nouvelle démonstration d’un contournement (hacking) politique de la volonté des citoyens Européens rendu possible par l’absence de tout contrôle démocratique effectif  de l’UE.

L’Ukraine sacrifiée, les dirigeants Européens complices

Gaz, pipeline : les aspects énergétiques ou géostratégiques [37] dans cette affaire ukrainienne sont certes historiquement importants mais désormais secondaires pour l'Etat profond.[37bis] Ce dernier ayant prouvé être incapable de dominer militairement l’Iraq ou l’Afghanistan sur le long terme, qui peut sérieusement imaginer un conflit ouvert entre l’Otan et la Russie pour arriver à lui retirer ses bases de Crimée (même sans compter l’appui de la Chine et de l’Inde qui ont déclarés leur support à la Russie) ? 

Là encore, l’objectif réel est la division des peuples et la guerre de l’information, la lutte armée asymétrique. La volonté de puissance s’est transformée en méprisable ambition de chaos sans le moindre égard pour les vies du peuple ukrainien.

Nous pouvons résumer l’évolution prochaine de la situation intérieure de l’Ukraine en trois courtes dépêches :
  • Comme nous l’avions anticipé, le tout premier geste du nouveau « premier ministre » à son retour de Washington a été l’envoi précipité aux USA de la réserve d’or de la banque centrale d’Ukraine [38] (soit tout ou partie des 36 tonnes déclarées en décembre 2013 d’après le WGC). Ils seront aussitôt échangés à vil prix contre de vils dollars, ou bien mis en leasing et re-hypothéqué ce qui permettra au COMEX de tenir un mois de plus. Bref le peuple ukrainien ne le reverra jamais. Il est significatif de remarquer que les nazis se ruaient aussitôt sur l'or des banques centrales dans les pays qu’ils ont envahis au cours de la 2ème Guerre Mondiale. 
  • Dmitry Yarosh, le chef du mouvement nationaliste ukrainien radical « Secteur Droit », a exigé que les autorités de Kiev ouvrent les arsenaux militaires pour armer ses miliciens.[39] On peut s’attendre à des exactions d’escadrons de la mort contre la population (russophone ou non, de confession juive ou non, tout sera bon pour rajouter de la confusion) 
  • Pendant les émeutes de février en Ukraine des dépôts militaires ont été pillés, et des dizaines de systèmes de missile anti-aérien portatifs (MANPADS) ont disparu.[40] Cela a été commenté par le Président du Conseil des ministres de la République autonome de Crimée sur son compte officiel Twitter.
Il faut donc s’attendre à une dispersion de ces armes sur le marché noir international, et à des attentats particulièrement violents sur le sol ukrainien et ailleurs dans le monde là où des gouvernements démocratiques résistent encore. Avec la présence en Ukraine de la NED,[41] une des vitrines de la CIA,[42] leur exportation illégale fait partie de la routine.


Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits.
(A. Camus ; Le manifeste de l'Homme Indépendant, 24/11/1939)




[1] Pour une courte synthèse géoéconomique actuelle du système dollar, voir ‘Global Europe Anticipation Bulletin’ n°83, L.E.A.P. (15/03/2014) ; Pour d’autres détails voir les indicateurs clés de Conscience-Sociale.org
[2] Peter Dale Scott, 'The Doomsday Project and Deep Events: JFK, Watergate, Iran-Contra, and 9/11', The Asia-Pacific Journal Vol 9, Issue 47 No 2, (11/2011); Peter Dale Scott, ‘The Doomsday Project for Violent Power: America's Decline from Democracy to Empire since World War II’, Rowman & Littlefield Publishers, 2014
[3] Il n’y a plus de démocratie aux États-Unis’, La Libre, (02/2014)
[4] Peter Dale Scott, ‘The State, the Deep State, and the Wall Street Overworld’, The Asia-Pacific Journal, Volume 12, Issue 10, No. 5, (03/2014) 
[5] Salon.com, 03/2014
[6] La politique profonde et l’Etat profond’, Conscience-Sociale.org (03/2014)
[7] L'inéluctable contre-revolution du peuple américain‘, Conscience-Sociale.org (03/2013)
[8] Voir le dossier ‘Cuban Missile Crisis’, Mary Ferrell Foundation
[9] Peter Dale Scott, ‘La machine de guerre américaine : La politique profonde, la CIA, la drogue, l'Afghanistan’, Editions Demi-Lune, 2012 ;
[10] Peter Dale Scott, 'Continuity of Government' Planning: War, Terror and the Supplanting of the U.S. Constitution, The Asia-Pacific Journal, 21-2-10, (05/2010).
[12] Bloomberg, 03/2014
[13] Business Insider, 09/2012
[15] Silverdoctors.com, 06/2013
[16] Executive Order 6102 de 1933, Wikipedia.org
[17] Conscience-Sociale.org, 10/2012 ; et 11/2012
[18] wealthdaily.com, 11/2011
[19] Silverdoctors.com, 11/2013
[19bis] Conscience-Sociale.org, 10/2013
[20] Ainsi que le laisse pourtant entendre Charles Hugh Smith, 03/2014
[20bis] Robert Parry, 'Secrecy & Privilege: Rise of the Bush Dynasty from Watergate to Iraq', The Media Consortium, 2004
[21] a) The Guardian, 09/2004 ; b) Antony C. Sutton, 'Wall Street and the Rise of Hitler', G S G & Associates Pub, 1976 ; voir aussi cette interview du Pr. Sutton.
[22] Peter Dale Scott, ‘Transnationalised Repression; Parafascism and the U.S.’, Lobster magazine, Issue 12, 1986
[23] Salon.com, 03/2014 ; Pour un aperçu des crimes de guerre commis depuis 1945, lire Jeremy Kuzmarov, 'Bomb After Bomb: US Air Power and Crimes of War From World War II to the Present', The Asia-Pacific Journal, Vol 10, Issue 47, No. 3, November 19, 2012.
[24] Global Research, 03/2014
[24bis] Flux RSS des archives du département ISN à l'Institut Fédéral Suisse de Technologie à Zurich sur les réseaux Gladio ; Interview du Dr Ganser (12/2005) ; Documentaire de la BBC (06/1992)
[25] Global Research, 08/2011
[26] Political Research Associates PublicEye.org, 06/1994
[27] theocracywatch.org, 09/2008
[28] Yurica Report, 02/2004
[29] Veteran Today, 03/2014
[30] NBC News, 05/2013 ; Defense One, 11/2013 ; Clearance Jobs, 01/2014 ; Daily Mail, 09/2013 
[30bis] E.A. Blair, dit 'George Orwell', 1903-1950; '1984', 1949.
[30ter] CBS interview, c.1976.
[30d] A titre d'exemple de la perméabilité de la société à ces faux concepts, voici des extraits du 'Lucifer's lexicon' paru en 1975 dans Reason, p94: 
collective security, n. A system for the maintenance of world peace through world war. 
security, n. Freedom from freedom.
subsidy, n. Government aid to a private commercial enterprise deemed beneficial to the public-but not by the public. Government aid to the Plunderprivileged. 
supplicant, n. One who has the independence to stand on his own two knees.
tax, n. A payment made to a government for servitude, rendered. 
tax, v.t. To fleece the sheep; to pluck the geese; to milk the cowed.
[31] WND, 10/2013
[32] Al-Manar, 01/2014 ; Global Research, 03/2014
[32bis] Conscience-Sociale.org, 02/2014
[33] Voir le dossier sur la Quadrature du Net
[34] Lire la transcription complète ici et en particulier la réponse à la première question posée.
[35] Agile-Democratie.net, 03/2014
[36] Voir les principaux articles de presse consacrés dans chaque pays européen au scandale SniperGate : Conscience-Sociale.org, 03/2014
[37] Michel Collon, 03/2014 ; Gordon T. Long, 03/2014
[37bis] Et ceci depuis bien longtemps comme nous l'apprennent les Archives Nationales US: 
Prs. Richard Breitman et Norman J.W. Goda, "HITLER’S SHADOW Nazi War Criminals, U.S. Intelligence, and the Cold War", 2009, published by the National Archives; voir en particulier le chapitre 5 Collaborators: Allied Intelligence and the Organization of Ukrainian Nationalists
[38] a) Global Research, 03/2014 ; b) voir aussi les articles suivants:
 38.138.238.338.438.538.638.738.838.938.10, 38.11, 38.12  ; nous l'avions anticipé le 7 mars.
[39] Russia Today, 03/2014
[40] Russia Today, 03/2014
[41] al Jazeera, 03/2014
[42] Voir le dossier du Center for Media and Democracy

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Modifications post première publication:
- 17/04/2014: ajouts des références 38b
- 14/05/2014: ajout de la référence 21b
- 12/7/2014: ajout de la référence 30d
- 10/5/2015: ajout de la référence 37bis