2012/12/05

La géoéconomie des Bons du Trésor U.S.

 Depuis 2008, Conscience Sociale suit au quotidien les évolutions du marché des Bons du Trésor américain, et publie régulièrement des notes sur ce sujet. Cet intérêt est justifié par le fait que ces Bons du Trésor sont la forme la plus concrète et la plus fondamentale de l'influence mondiale des Etats-Unis. Tout ce qui reste aujourd'hui de la puissance des U.S. réside uniquement dans la capacité de son gouvernement à émettre de nouvelles dettes, qui servent en grande partie à entretenir le budget de la Défense, donc directement l'influence géostratégique mondiale des U.S. Les dettes étant très majoritairement émises sous forme de Bons du Trésor, ces derniers constituent le pilier du "mur dollar" dans le système monétaire mondial actuel.  

La période actuelle est avant tout une période de transition historique, où des situations de statu quo se dénouent brusquement, des nouvelles dynamiques se mettent en place et convergent vers de nouveaux équilibres, et l'ordre global ancien, désuet, est rapidement abandonné. Nos travaux d'anticipation politique s'attachent à discerner les signaux faibles dans cette période, par nature incertaine, afin de permettre avant tout aux décideurs, à leurs proches conseillers, et à la société civile de rationaliser leurs prises de décision (ou leurs avis). Bien que les publications de Conscience Sociale soit suivies par un certain nombre de traders, ces analyses n'ont jamais vocation de conseils en investissement ou de spéculation financière. Les véritables enjeux sous-jaçents ne justifient pas que l'on s'y attache.

Nous allons détailler maintenant les dernières évolutions de ce marché des Bons du Trésor américain  qui  connaît des retournements de grande ampleur
Comme nous l'avons expliqué depuis longtemps, le principal détenteur au monde des Bons du Trésor américain. est la Réserve Fédérale U.S. elle-même. Nous suivons donc de près l'évolution de son compte de bilan (balance sheet). Il peut être appréhendé tout d'abord simplement à partir du bilan des diverses obligations détenues (en milliards de dollars) :


Une partie de ce bilan étant constituée de dette publique émise par l'état fédéral américain,  il faut aussi suivre l'évolution du pourcentage de la dette fédérale totale détenue par la Réserve Fédérale (le tracé superposé des 2 séries temporelles disponibles en montre la continuité) :


Quelle signification ou nouvelle tendance déceler en 2012 sur ce graphique ? Il est certes très pertinent quand on le compare avec les pourcentages des autres détenteurs de la dette publique U.S. (voir ci-dessous), mais quelle tendance forte en tirer pour le futur ? Si c'est un élément important de réflexion, il ne constitue pas la réponse complète. Remarquons au passage que nous étudions ici un montant notionnel des Bons du Trésor américain.

En rouge: part de détention des Bons du Trésor U.S. par la Fed;
En vert: part de détention des Bons du Trésor U.S. 
par les Institutions Etrangères (banques centrales)

Le deuxième grand moyen d'action d'une politique monétaire concerne bien sûr les taux directeurs. Nous avons récemment discuté de ce sujet, notamment au travers de l'évolution de l'écart entre les taux d'intérêt à 1 an et à 10 ans. On pouvait alors s'apercevoir que la politique monétaire mise en œuvre en 2012 par la Fed avait des effets différents, émoussés, par rapport à l'indicateur étudié. Il pouvait nous donner certaines tendances indirectes sur le futur, mais il ne donnait pas une réponse complète.

Il s'agit alors de s'intéresser à la constitution plus détaillée du bilan de la Fed :

Evolution du montant des principaux constituants 
du bilan de la Fed, entre 04/2008 et 07/2012.

Et en particulier sur l'évolution du montant des Bons du Trésor américain :


La stabilité du montant depuis mi 2011 doit faire réfléchir. Comment se traduit donc les politiques monétaires non conventionnelles de la Fed depuis cette période ? Nous devons zoomer sur les part relatives des différentes maturités des Bons du Trésor pour mieux comprendre ce qui est en train de se passer:


Le tracé vert correspond au pourcentage des Bons du Trésor américain détenus par la Fed, avec une maturité de 1 à moins de 5 ans; le tracé rouge aux maturités de 5 à moins de 10 ans; le tracé bleu aux maturités de 10 ans et plus.
L'évolution est spectaculaire: cette semaine pour la toute première fois, la part des Bons du Trésor de maturité court terme est passée sous celle des Bons à long terme. On observe très nettement les effets des programmes M.E.P. et LSAP (QE3) de la Fed, qui visent à racheter massivement des Bons long terme et de vendre à la place des Bons court terme, dans l'objectif affirmé de continuer à faire baisser les taux longs. 

Au-delà du mécanisme du "twist" des taux, là où ça devient plus intéressant, c'est quand on investigue ce que représente le massivement dans la politique monétaire suivie.
Les pentes des courbes de la figure précédente nous le laissait présager, mais une étude de Stone & McCarthy reprise par ZeroHedge a révélé en septembre dernier que la Fed possédait déjà 27% de tous les Bons du Trésor américain émis, quand on calcule ceux-ci en équivalents rapportés à la maturité à 10 ans au lieu de la simple valeur notionnelle :


De plus cette part s'accroît actuellement de 12% du volume total par an. Dans certaines tranches de maturité, la Fed possède déjà 70% du volume, qui est la limite supérieure que s'impose actuellement la Fed... et dont nul ne sait combien de temps encore elle tiendra :


Ces valeurs sont cruciales car quand on en vient à définir les expositions aux risques sur le marché obligataire, tout est rapporté en équivalents de maturité à 10 ans. Cette exposition et cette gestion du risque lié à leur portefeuille est bien sur déterminante pour les détenteurs des Bons du Trésor américain, qu'ils soient Banques Centrales étrangères, hedge funds, ou fonds de pension. D'après nos estimations, les banques commerciales ne possèdent que 5% environ du montant notionnel de l'ensemble des Bons du Trésor, et sont donc moins concernées... bien qu'on parle quand même en centaines de milliards de dollar.

On doit alors se rendre à l'évidence: la Fed a pris l'initiative d'entamer une course contre la montre, contre le crash obligataire.
En effet, la Fed a bien annoncé un programme de rachat sans aucune limite. Elle est déjà quasiment le seul acteur qui achète sur ce marché, comme le montre ce graphique (notez la forte baisse récente du tracé noir) :

Evolutions des flux sur les marchés internationaux de capitaux U.S., en moyenne glissante annuelle

A la vitesse actuelle, c'est à dire sans évènement exigeant une accélération du programme, elle pourrait  se retrouver détentrice de 70% de tous les Bons du Trésor américain (en équivalent de maturité 10 ans) en juin 2016. Goldman Sachs prévoit eux un programme QE3 jusqu'en juin 2015, c'est à dire avec une part de 58% pour la Fed. Le marché des Bons du Trésor américain long terme, aujourd'hui déjà largement soumis à la Fed, se retrouverait... sans marché du tout ! On attendrait en effet pour ces Bons un stade ultime du libéralisme, où l'acteur dominant phagocyte purement et simplement le marché. On ne peut même plus dire que le marché est distordu, asymétrique, ou que la Fed est devenu le marché : le marché n'existe plus du tout, c'est un monopole. Les prix sont dictés.

La stratégie de la Fed devient limpide : une fois arrivée dans cet état, elle décide de la valeur des taux longs aussi facilement que celle des taux de base (Fed Funds rates). Il n'y a plus aucun risque de crash obligataire sur les Bons du Trésor américain (U.S. Treasury), plus de risque d'envolée des taux longs, même si l'inflation augmente fortement. Les quelques détenteurs éparts des Bons du Trésor restants seront obligés par la force du fait accompli de vendre au prix convenu par la Fed, quand ils souhaitent vendre. Il faut aussi comprendre par là qu'une telle politique de taux longs rabaissés se fait au détriment des millions de séniors américains. Les fonds de pension n'auront jamais les rendements attendus pour payer les retraites aux taux prévus. Après la génération des jeunes sans futur, c'est au tour des séniors d'être laissés pour compte par une politique sociale destructrice. 

Une deuxième partie du programme QE3 réside dans le rachat massif (0,9 trillion de dollar) de Mortgage-Based Securities (MBS), qui purgent les mauvais assets financiers des banques et transforme de fait la Fed en bad bank. En effet, le programme QE3 prévoit la revente des MBS et Bons du Trésor uniquement après que les taux courts seront remontés, c'est à dire exactement quand la Fed décidera que les conditions économiques rendent ceci possible, c'est à dire nul ne sait quand : dans 15, 25 ans, ou plus. Ce qui est important dans le principe, c'est que cette date n'est pas arrêtée : c'est quand la Fed le décidera, et si elle le décide un jour. 
En conservant ainsi sa capacité à émettre indéfiniment de la dette à taux maîtrisés, et indépendamment de l'état de son économie, les U.S. pensent ainsi parvenir à préserver le statu quo sur l'utilisation du dollar comme base de référence du système monétaire international.

La question à se poser maintenant, c'est de savoir comment les autres pays vont réagir face à cette politique monétaire qui relève davantage du Gustav que du bazooka. Cette question est intimement liée à l'évolution du système monétaire international. Les Etats-Unis ont décidé d'isoler à l'issue du programme QE3 l'évolution du dollar de toute influence extérieure, dans une bulle hors d'atteinte. C'est une des dernières conséquences de la dislocation géopolitique mondiale mise en évidence par le LEAP dans ses publications mensuelles d'anticipation politique (GEAB). Nous avons signalé les flux sur les marchés des capitaux U.S. (TIC) plus avant, et pour lesquels cette dislocation se signale de manière abrupte : 



Cette dislocation de type géoéconomique peut également déjà s'observer dans l'évolution récente et marquée des flux d'investissement (Foreign-owned assets in the United States et U.S.-owned assets abroad):



Il semble donc que les autres acteurs mondiaux aient rapidement décidé de réagir. Il est significatif que l'échelle de temps considéré pour le programme QE3 soit à peine plus court que le délai auquel on s'accorde pour considérer l'évolution du yuan vers la pleine convertibilité (4 à 5 ans). Ce n'est pas un hasard car comme le disait Gramsci, l'essence de toute crise c'est quand le vieux se meurt et le jeune hésite à naître.

Sans conclure du tout à un simple remplacement du dollar par le yuan (ou par l'euro), le futur système monétaire international ne sera pas bâti sur les ruines laissées vacantes du système dollar. Il devra se développer pour entrer en compétition parallèle et non pas frontale avec lui, et grandir jusqu'à le rendre obsolète. Sa croissance sera favorisée par le déclin des forces vives du vieux système dollar, mais le jeune devra compter sur de multiples stratégies de résistance qui n'auront d'autres destinées que de gagner du temps. La crise avortée de l'éclatement de la zone euro, précédent avatar de la guerre monétaire, en était un exemple. Le résultat pour l'Europe a été une prise de conscience accélérée des processus historiques à l'oeuvre, que nous décrivons avec le LEAP depuis plusieurs années. En effet la construction positive et collective de l'histoire passe en ces temps par la compréhension coordonnée des tendances de fond et émergentes.

[Sources utilisées pour les graphiques: Federal Reserve of St Louis, Nowandfutures.com, ZeroHedge.com; Les responsables des 2 premiers sites mettent à jour régulièrement les données qui servent à la génération dynamique des graphiques affichés dans cet article.]

MAJ 17/12/2012 : Bibliographie complémentaire
Demand for U.S. Debt Is Not Limitless, WSJ, 03/2012
Who Else Is Buying U.S. Treasuries? , Bianco Research, 06/2012

MAJ 16/12/2013 :
La Fed possède désormais un tiers de l'ensemble du volume des UST rapporté à une maturité de 10 ans (source):




2012/11/20

Audit the Fed: où en est-on ?

Avec le démarrage de la nouvelle session du Congrès américain (lame duck session) le 13 novembre, la question du règlement politique du mur fiscal (fiscal cliff) est sur toutes les lèvres. Il est assuré qu'un accord sera trouvé, mais il le sera à la dernière minute, voire même le lendemain, pour la plus grande joie des télévisions qui se relaieront pour essayer de nous tenir en haleine pour ce réveillon. 

Peine perdue, il n'y a pas de vrai suspense: avec les mêmes joueurs en piste ce sera encore un accord négocié "à la Obama", c'est à dire perdant pour les Démocrates, et surtout perdant pour le peuple américain et son avenir. Dans tous les cas de figures, le budget militaire américain ne sera que vaguement écorné, qui dans le scénario extrême restera à son niveau de 2008, c'est à dire un budget qui reflète encore un gouvernement en état de guerre permanent depuis la guerre de Corée. (Pour plus de détails voir au bas de cette page, section "United States Defense Spending history"). Cette messe est déjà dite, contrairement à ce que l'agitation médiatique voudrait que nous pensions.

Dépenses militaires des U.S. (% PNB), 
en dollars constant de 2003 (source: wikimedia.org)

C'est pourquoi je pense plus intéressant de s'attarder sur le projet de loi "Audit the Fed" et sur son développement. Ce projet est une initiative du Représentant Ron Paul (Républicain), qu'il a lancé voici déjà 10 ans alors qu'il était président du Parti Libertarien. Il a su patiemment rallier d'autres Représentants à cette cause, faire fi d'autres projets de lois, audits ou déclarations partiels, et à pu entamer un processus de débat officiel à la Chambre des Représentants. La proposition a été officiellement enregistrée en janvier 2011 (Federal Reserve Transparency Act of 2012 - HR 459), et à été votée par la Chambre le 25 Juillet 2012 avec une majorité plus large que les 2/3 des voix qui étaient nécessaires.
On pourrait imaginer que cette victoire est un beau cadeau de départ à la retraite de Ron Paul (77 ans) qui quitte son poste fin décembre, et que la Fed va ouvrir demain aux auditeurs du Congrès tous ses livres de compte, ce qu'elle avait très partiellement commencé à faire, et qui a déjà révélé officiellement des malversations de plusieurs trillions (!) de dollar, à ce jour encore impunies.

Mais le processus législatif pour cette proposition de loi est loin d'être terminé puisque le Sénat doit maintenant le reprendre au début ! Avec l'actuelle majorité Démocrate au Sénat, son Leader qui a déclaré qu'il n'était pas pressé de mettre cette discussion à l'ordre du jour, et un Président Démocrate qui peut mettre son véto ensuite, cette proposition ne sera pas une loi en vigueur de sitôt. On observe pourtant que la proposition au Sénat (S 202), dirigée par le fils de Ron Paul, gagne petit à petit des sénateurs co-sponsors officiels: désormais 37 sur les 100 sénateurs qui siègent, les 3 derniers enregistrés le 13 novembre. C'est déjà considérable, bien que n'atteignant pas encore le ratio observé à la Chambre des Représentants: 274 co-sponsors officiels sur les 435 qui siègent, avant le début du vote. Cette pression croissante obtenue en grande partie par les citoyens qui militent auprès de leur Sénateur, devrait contraindre le Sénat à débattre la proposition avant la fin 2013.

Outre une volonté de transparence des actions de la Fed qui serait gravée dans la loi, son approbation serait une victoire politique très significative d'un mouvement démocratique qui réunit des citoyens américains de tous partis, fédératrice, et sans commune mesure avec l'élection d'Obama ou d'un quelconque Président.

2012/11/19

The Fed's blunt monetary policy

We wish to measure the efficiency of Fed's monetary policy over decades. We aimed to calculate a simple index for this purpose. 

This monetary policy is tailored to influence long-term and short-term U.S. Treasury yields. Instead of showing an animated evolution over time of the U.S. treasury yield curve, we choose to simply follow 10 Year and 1 Year treasury constant maturity rates over time : 

Daily updated since 1962


Daily updated since 1962

Then we can observe significant trends with this spread, but this is not precisely a measure of monetary policy efficiency. Displaying the above spread together with the Fed Fund rate does not help a lot to quantify Fed's monetary efficiency :

Blue: Spread between 10Y and 1Y Treasury rates (Left hand scale); 
Red: Effective Federal Funds Rate (Right hand scale); 
Monthly updated since 1953.

The Fed's monetary policy wishes to move or keep down 10Y yield, specially when moving down 1Y yield using Fed Fund rate cuts. Operations Twist is another way to allow this. We calculate now the percentage of the above spread over the 10Y rate :

Blue: Spread between 10Y and 1Y Treasury rates (Left hand scale);
Red: amplitude of economic crisis from a monetary policy perspective (Right hand scale); Daily updated since 1962.

Red line's scale (rhs) is the percentage of the above spread over the 10Y rate. It records the efficiency of the Fed's monetary policy: the spread can be high but the red line below 20%. This means the spread represents only a small fraction of the 10Y yield, and that 1Y yield is still relatively high. If the spread is high but the red line above 50%, this means the spread represents a significant fraction of the 10Y yield, and that 1Y yield is relatively low, near to zero. 

We observe the red line reaching and pegging to an all time high record since 2009, near a value of 100%, even when the spread is going down significantly in 2012. Do this prove the Fed's monetary policy has become powerless, even with all used unconventional policies ? We might think the near-zero short term yields have become simply inefficient. But wait.

We observe also that the amplitude of the red line's maxima is bigger and bigger from 1980's crisis to the current systemic crisis. We could think these several waves of crisis have blunted Fed's monetary policy from powerful to irrelevant.  The Economist has already speculated on this subject... in 2001, during the previous crisis. Bloomberg has then yesterday published an article about "Retirees blunting the Fed’s easing"
Our index is an easy and quick alternative to measure the evolution over time of the U.S. treasury yield curve.

But now, more than ever, the Fed and its balance sheet is part of the problem, and not only the spread discussed here. We will analyze this aspect in the following days.

(data source for the charts : U.S. Federal Reserve)

[This post has been updated 11/28/2012.]

2012/11/16

Marchés publics : Alerte sur les deals subprimes

La compétition néolibérale exacerbée par la crise en cours a donné lieu à de nouveaux comportements à hauts risques dans le domaine des modèles d'affaires. Je les nomme ici des "deals subprimes", ce qui résume bien leur ambition, leur développement, l'appât du gain qui les accompagne et pour finir leur liquidation douloureuse.

Je vois ces "deals" d'un nouveau genre se développer au quotidien en France depuis plus de 18 mois. Je l'illustrerai dans le domaine des grands contrats au "forfait" en informatique [Avertissement: mon employeur n'est pas du tout promoteur des pratiques décrites ci-dessous]. J'ai déjà en partie évoqué ce sujet lors de ma conférence à la Scrum Night II en mai dernier, où l'audience avait été surprise et intéressée.  Parce qu'elles touchent désormais les grands marchés passés par le secteur public, ces pratiques représentent un risque pour nous tous, et je me dois de vous les décrire.

Ces pratiques visent à gagner des affaires (des marchés au "forfait") en pratiquant une distorsion des règles de la concurrence. Elles existent depuis très longtemps, mais c'est leur nouvelle ampleur qui change la donne, et rend le niveau de risque inacceptable. 

Ces distorsions qui vont permettre une surenchère à la baisse du devis, présentent deux types de dangers: 
  • d'une part avec un effet direct de compression sur le coût le plus significatif dans les projets informatiques (les salaires) par le recours à l'inshoring;
  • d'autre part, avec une promesse masquée dans le modèle d'affaires interne du fournisseur (P&L dans le jargon) qui dit qu'on vend sciemment à perte, avec l'anticipation mais qu'on réussira dans les années à venir à faire signer des avenants juteux au client pour permettre de rentabiliser l'affaire. Et cela sans inclure un niveau de risque financier équivalent, sous prétexte que bien sur le devis ne serait alors pas compétitif.
Tout d'abord qu'est-ce que l'inshoring ?
Apparu depuis 3 ans, mais fortement accéléré par la révolution en Tunisie, la nouvelle tendance dans les services informatiques n'est pas de recourir à des développeurs en offshore, ou bien ponctuellement de faire venir des personnes travailler temporairement en France avec un visa, mais bien d'aller chercher massivement ces personnes à l'étranger et de les faire travailler en France avec un CDI. Les pays concernés à ma connaissance sont d'abord la Tunisie, puis le Maroc, mais aussi le Québec. Mais tout pays hors de l'EU 27 et disposant d'un vivier de compétences est un candidat potentiel à l'exode.

Le processus, bien rodé, est le suivant. Il vise à aplanir complètement les difficultés de recrutement (rencontres multiples pour entretien) avec des candidats géographiquement éloignés  :
- une société intermédiaire, nouveau type de cabinet de recrutement, organise un salon de recrutement (location de salle, campagne de publicité sur les médias sociaux, les écoles locales etc). Il est facturé au nombre de personnes recrutées lors de cette journée ;
- la SSII française qui veut recruter établit ses critères de recrutement : junior ou senior, débutants ou en poste, technologies cibles, salaire cible... ainsi qu'un processus de recrutement ficelé (présentation de la société, tests etc). Tout le processus de recrutement est effectué par la SSII, et pas par le cabinet local ;
- la SSII envoie une équipe RH accompagnée d'opérationnels et de commerciaux pour pouvoir faire passer tous les entretiens dans la même journée. L'objectif est de repartir le soir avec un stock de CDI de loi française définitifs, et signés par des postulants qualifiés, au lieu de repartir avec des CV comme sur les salons habituels ;
- ces CDI permettent d'enclencher la procédure officielle de demande de permis de travail, pour faire venir ces personnes en France (par exemple) ;
- les salaires demandés lors de ces entretiens par les tunisiens, à compétences égales, permettent d'économiser 2 ans de progression salariale comparés aux salaires habituellement demandés à l'embauche sur Paris. Les frais de l'opération complète de recrutement sont défalqués du salaire des nouveaux embauchés ;
- le délai d'obtention des permis de travail permet de mettre à profit ces 4 à 6 mois pour trouver une mission ou un projet pour cette personne. De plus il est très facile pour la SSII de demander à la personne, si nécessaire, une modification du contrat de travail pour changer la date de rentrée en fonctions de quelques semaines... ou plus ;
- les compétences disponibles peuvent être de bons niveaux (2 ans d'expérience réelle sur des technologies java récentes, esprit curieux, parlant et écrivant un français impeccable).
- initialement les SSII qui avaient recours à ce dispositif étaient des petites structures sur Paris ; typiquement pour 50 personnes interviewés (ciblées comme étant uniquement des personnes en poste et expérimentées), la SSII repart avec 4 CDI pour prise de fonction quatre mois après.
Mais les SSII interessées par ce système sont rapidement devenues de plus en plus importantes, jusqu'au leaders du marché. Elles peuvent ainsi recruter 40 CDI de ce type d'un coup, juste après avoir gagné un gros deal... qu'elles ont remporté justement parce que leur prix était le plus bas des compétiteurs. Il y a là un effet pouvant amener à un basculement du marché, à une perte de positions commerciales auparavant solides, quelle que soit la qualité du service délivrée jusqu'ici.

Il est significatif aussi que désormais ces SSII n'ont pas recours à ce système sous prétexte qu'il n'y aurait plus personne à recruter sur place, mais parce que les salaires demandés sont trop élevés, et que cela permet de restaurer leur marge opérationnelle! Par effet domino, c'est en langage économique une dévaluation compétitive forcée des salaires qui se met en place à l'échelle de la zone économique touchée. 


Passons maintenant à l'autre volet : le défaut de gestion du risque financier par le fournisseur.
Si la pratique précédente s'effectuait en premier lieu au détriment des employés européens, celle-ci est au détriment de l'Administration, et au final des contribuables. Il s'agit ni plus ni moins que de prendre en otage les usagers des services publics sans que ceux-ci s'en rendent compte, au moins tant qu'on n'est pas rentré dans le contentieux. 
Le fournisseur ne se contente pas de systématiser la demande d'avenants, par une absence manifeste de collaboration et une lecture jusqu'au-boutiste des termes du contrat signé, par des personnes spécialement affectées à cette fin sur chaque projet significatif. Cela se pratiquait depuis longtemps dans des sociétés où la culture de services était basée sur une recherche de profits maximum par ce biais. Elles sont connues de tous dans ce marché.
Non, désormais c'est bien un modèle de dumping qui se pratique, sous couvert d'une anticipation de revenus dans les années futures du contrat, ou d'autres contrats en cascade, et sans provisions financières. Plus le contrat est important au yeux de l'Administration, sur un sujet sensible, au plus cette pratique séduit certains: en effet ils se disent que la négociation d'avenants (comprenez: en expliquant que sinon le fournisseur arrête le projet, y compris à son détriment juridiquement parlant) sera facilitée : les pilotes du projet du côté de l'Administration seraient éclaboussés eux aussi par une telle conclusion, si le contentieux devient public. Dans ce bras de fer, ils plient en silence et signent les avenants sans faire de bruits, au cours du projet... y compris en allant au bout du compte jusqu'à dépasser le prix des offres concurrentes initiales, écartées puisque moins compétitives mais ô combien plus honnêtes. 

Dans cette optique de distorsion des règles, les recours par les compétiteurs éconduits n'existent pas. Les audits comme ceux de la Cour des Comptes auront grande difficulté à prouver ces pratiques, où il est facile de commander de ci, de là, quelques Unités d'Oeuvre en plus. On ne parle pas en milliards sur ces marchés mais quand même en dizaines de millions d'€ pour les plus gros. 

Là où l'on atteint l'effet subprime, c'est dans l'emballement de la mécanique: dans le vent de la crise, le recours à ces distorsions peut devenir une pratique managériale systématique, par l'appât du gain à court terme. La pratique du risque se renforce, s'institutionnalise brusquement, avec toujours aussi peu de provisions ou de gestion prévisionnelle du staffing. En quelques mois, de nombreux deals peuvent être gagnés par un seul compétiteur, qui sera alors dans l'impossibilité de délivrer les services sur tous les marchés gagnés par manque de personnel, puisque le marché du travail (mobilité) est beaucoup moins fluide, surtout en temps de crise. Ainsi l'Administration, qui aura beaucoup de mal à refuser ces devis si peu chers suivant la règle de "mieux-disance", peut se retrouver rapidement prise au piège de l'appât du gain de fournisseurs malhonnêtes sur des marchés particulièrement importants pour nous tous, citoyens et usagers.

2012/11/15

Gold and Central Banks, Q3 2012

 The new issue of Gold Demand Trend is released.

Here is a short summary about the gold demand by Official Sector :
  • Central banks continued to purchase gold in Q3 2012, albeit at a slower pace. Demand of 98 tonnes, worth US $ 5.2 bn, accounted for 9% of overall demand during the period.
  • Brazilian central bank purchased 1.7 tonnes, for the first time since june 2005.
  • Paraguay central bank purchased 7.5 tonnes, representing a more than 10-fold increase from its previous reserves of 0.7 tonnes
  • South Korea central bank increased its holdings of gold by 29% in July (adding 16 tonnes).
  • Sales between central banks (under CBGA agreement) in the last 12 months was the lowest since the beginning of this Agreement in 1999, with an amount of 5.9 tonnes.
Below are shown the biggest official gold reserves, where I've chosen to calculate aggregates relevant to the current multipolar world :

Country or economic pole
Gold Reserves (tonnes), Nov. 2012 WGC report
Euro Area (incl. ECB)
10 787
 EU 27 sum
11 538
USA
8 135
Switzerland
1 040
China + Taiwan + Hong-Kong
1 480
Japan
765
Russia
935
Brazil
35
India
558
South Africa
125
 BRICS sum
3 133
Iran
500 (source, Feb. 2012)
 Gulf Countries sum (Saudi Arabia, Kuwait, Bahrain, Qatar)
419
Venezuela
362
U.K.
310
Turkey
302
Lebanon
287
Algeria
174
Libya
117
Syria
26