Il a fallu les plus terribles attentats au cœur de Paris depuis la Libération pour que la plus grande part des Français se secouent enfin de leur torpeur et demandent en colère qu'il soit mis un terme à l'existence du groupe État Islamique [1]. Les politiciens s'en sont immédiatement rendus compte puisque la campagne des régionales est gelée [2] tant que la cérémonie aux Invalides n'aura pas eu lieu [3].
Il faut reconnaître que l'évolution politique de Hollande a lentement distendu les attaches atlantistes profondément nouées par l'administration Sarkozy. Alors que le gouvernail atlantiste de la France [4] a été prépondérant jusqu'à la fin 2014, un courant opposé que l'on peut appeler "la politique de l'Est" s'est amorcé très discrètement depuis 2013. En effet on peut recenser :
- l'intervention contre les groupes armés islamistes au Mali de la France début 2013 avec le soutien de la Russie [5] -laquelle vient d'être d'ailleurs tout récemment frappée sur ce sol avec la Chine [6] ;
- le rôle en coulisses de la France dans la résolution du conflit en Ukraine, dans le format "Normandie", qui tranche avec la posture de la Pologne par exemple ;
- la longue négociation très diplomatique avec la Russie sur la vente des Mistrals qui ont été cédées à l'Égypte, un pays récemment retourné vers son alliance traditionnelle avec la Russie ;
- la participation de la France à la signature de l'accord sur le nucléaire iranien, en rupture avec sa position quelques mois plus tôt concernant les frappes contre Assad [7] ;
Si la politique étrangère idéale à laquelle nous appelions [8] n'a pas été choisie, les derniers attentats ont démontré que ce n'était pas pour protéger les Français.
Néanmoins, il est indubitable que les attentats de janvier et de novembre -ce dernier avec 3 kamikazes qui terminent leur trajectoire mortelle à moins de 200 m de Hollande au Stade de France- ont un effet d'accélération qui aide la France à recomposer rapidement ses alliances [13, 13b]. On notera par exemple l'activation de l'article 42.7 du traité de Lisbonne [14] à la place de l'article 5 du traité de l'OTAN qui aurait placé la riposte française sous le contrôle de fait des États-Unis, et avec une coordination inévitable avec la Turquie. Par ce geste, même si certains pourraient le juger modeste, la France a rendu concrète l'Europe de la Défense pour la toute première fois de l'histoire de ce continent. C'est le nouveau départ de l'esprit de souveraineté européenne avec la France en fer de lance qui rejoint la Russie [15].
La réalité historique [9, 10] renvoie au néant l'illusion grotesque au cœur de toute la politique visible de l'État Profond une fois ce dernier parvenu au pouvoir [11], illusion que décrivait Suskind dès 2004 :
[Karl Rowe] said that guys like me were "in what we call the reality-based community," which he defined as people who "believe that solutions emerge from your judicious study of discernible reality." I nodded and murmured something about enlightenment principles and empiricism. He cut me off. "That's not the way the world really works anymore," he continued. "We're an empire now, and when we act, we create our own reality. And while you're studying that reality -- judiciously, as you will -- we'll act again, creating other new realities, which you can study too, and that's how things will sort out. We're history's actors . . . and you, all of you, will be left to just study what we do." [12]
Avez-vous remarqué combien nombre de commentateurs de l'instant ont déjà du mal à se rappeler que le groupe État Islamique était il y a si peu appelé Al-Qaïda en Iraq ? Ont-ils oublié que la nébuleuse Al-Qaïda était une création toujours entretenue par la CIA [16]? Que la CIA a développé AQI [16b] pour mener une guerre proxy afin d'anéantir l'état Syrien [17, 18] ? Que la CIA est le bras armé originel de l'État Profond américain et l'un des deux vecteurs -avec la haute finance [19]- de sa transformation en État transnational invisible ? Le développement du concept d'État Profond en sciences politiques est tel qu'il rend obsolète, ou à tout le moins incomplète, toute analyse politique ou de relations internationales qui en ferait fi.
La définition la plus limpide de l'État Profond américain a été donnée par Daniel Inouye qui a présidé un comité spécial (Senate Select Committee on Secret Military Assistance to Iran and the Nicaraguan Opposition) de 1987 à 1989 dans le cadre de l'enquête parlementaire sur l'affaire Iran-Contra des années 1980. Lors des débats, Inouye a déclaré en 1987, en parlant des opérations qui avaient été révélées :
"[There exists in this country] a shadowy Government with its own Air Force, its own Navy, its own fundraising mechanism, and the ability to pursue its own ideas of the national interest, free from all checks and balances, and free from the law itself." [22b]On comprend que l'État Profond américain a fait tâche d'huile (oil) en assurant l'essor du groupe État Islamique de Syrie et d'Irak.
Ce que veulent dire tous les politiciens qui attaquent l'État Islamique, c'est qu'ils attaquent l'État Profond américain et ses ramifications internationales. C'est de manière immédiate une offensive pour détruire la logistique et le matériel létal -la guerre contre l'État Islamique- mais ce sont les circuits collectant et recyclant les milliards du budget de ce dernier qui sont également visés partout dans le monde [20, 21, 22].
Se dresser contre l'État Islamique, c'est se dresser contre toutes les ramifications des l'État Profond américain. La Russie et la France sont désormais engagés en fer de lance, promesse d'une nouvelle alliance continentale [23].
L'affaiblissement ainsi causé à cet ennemi des peuples à l'extérieur des frontières américaines va alors inévitablement se traduire par une libération des forces démocratiques à l'intérieur de ses frontières.[24]
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