2014/03/17

La crise ukrainienne, un évènement de la politique profonde


Oleh Tyahnybok faisant le salut de son parti Svoboda
La plupart des commentaires sur la situation en Ukraine se résume au choix d’un camp, ou des deux ensembles, pour trouver une solution à cette crise. Par solution, il faut hélas entendre solution de continuité de la crise, et non pas sa résolution.

Nous pensons qu’il est utile de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là. Cela pourrait éviter de nous enfermer dans des impasses, victimes d’une confusion généralisée.

Face à l'écroulement historique du système Dollar [1], et pour comprendre la stratégie actuelle de l’administration américaine, il faut d’abord souligner le contexte politique intérieur de ce pays, qui n’est plus depuis 1963 [2] qu’un simulacre de démocratie.[3] 

Nous devons le caractériser suivant les sciences politiques comme étant un Etat dual dans lequel l’Etat profond (deep State [4]) influence l’Etat public, dans une logique de lutte de pouvoir.[5] Le premier a pris un ascendant quasi complet. 
Nous avons précisé les définitions exactes et les preuves irréfutables de l’existence de cet Etat profond dans la synthèse bibliographique précédemment publiée.[6] En particulier, soulignons que l’Armée américaine (le Pentagone) est une composante de l’Etat public et non de l’Etat profond, bien que ponctuellement certaines équipes ou gradés en aient fait ou en font encore partie. C’est une distinction similaire à celle des membres de l’OAS au sein de l’Armée française.

L’évolution de la politique interne des USA au cours du siècle passé est évidemment très inquiétante et nous lui avions consacré un article l’année dernière.[7] 
Nous nous intéressons ici à l’influence de cet Etat profond sur la politique extérieure des USA.

La stratégie du chaos

Il est devenu évident depuis le début de la crise systémique globale que la stratégie choisie par le gouvernement des USA ne se fait plus en fonction des intérêts du peuple américain. Elle vise avant tout à préserver l’existence de l’Etat profond – à l’instar de toute structure institutionnalisée - à tout prix y compris celui de sacrifier tour à tour ses vassaux (car un tel pouvoir n’a véritablement pas d’alliés ou d’amis).

L’acuité de la crise ukrainienne et l’escalade des menaces de la part de Washington font resurgir la perspective d’un retour de la guerre froide, et également du spectre de frappe nucléaire qui l’accompagne.

Nous pensons pour notre part que s’il était vraiment dans le pouvoir des membres de l’Etat profond de lancer eux-mêmes une offensive nucléaire contre la Russie, l’Iran ou la Chine, ils l’auraient fait depuis longtemps. Ils ont essayé depuis la crise des missiles de Cuba.[8] Puisque cela ne s’est pas passé, c’est que l’Etat profond ne dispose pas (ou pas complètement) comme il le voudrait de cette chaîne de commandement (voir plus avant). 

Par contre disposant de moyens militaires hors de contrôle de l’Etat public (CIA, NSA, NSC…) il peut à loisir provoquer, créer des troubles, agresser sans cesse d’autres pays dans des conflits asymétriques.[9]

C’est une stratégie du chaos et de l’escalade des tensions internes et régionales pour couvrir le délitement de l’idéologie impérialiste dominante du XXème siècle à laquelle nous assistons. La crise Ukrainienne n’est que le dernier avatar.

Cette forme déliquescente de politique étrangère présente aux yeux de l’Etat profond plusieurs avantages :
  • Elle génère sa propre actualité erratique, qui détourne l’attention de la population intérieure et des pays vassaux envers les vrais problèmes posés par leurs systèmes réels de gouvernement ;
  • Elle rend toujours possible (mais très faiblement probable) une perte de sang-froid du pays agressé qui l’amènerait à attaquer ouvertement, fournissant un prétexte à toute forme d’escalade militaire et d’engrenage destructeur pour l’Etat Profond (puisque celui-ci, par construction des mesures secrètes de Continuité du Gouvernement,[10] sait le mieux se protéger dans les formes de conflits ouverts) ;
  • Si elle ne permet pas de reprendre l’avantage, cette stratégie permet de gagner du temps pour terminer de préparer le terrain à domicile : essayer d’augmenter les moyens de contrôle de sa population,[11] et en particulier essayer de trouver de nouveaux moyens de pression et de manipulation pour désarmer les américains (second amendement)… ce qui est encore loin d’être aisé.
  • Elle stresse les marchés financiers dont les acteurs sont encouragés à liquider leurs positions, c’est-à-dire à les transformer dans des assets liquides (stocks ou obligations, en particulier les Bons du Trésor US).
Notons qu’elle pousse également ces acteurs à thésauriser de l’or mais sur ce terrain l’Etat profond sait qu’il n’y a plus rien à entreprendre de plus que ce qui a déjà été fait :
  • manipulation des cours [12] pour retarder quelque peu l’échéance de la décomposition du système dollar,
  • corruption de la confiance envers la nature métallique des lingots officiels [13] (qu’il faut désormais re-tester [14] et/ou refondre),
  • leasing massif et re-hypothèque [15] de l’or national par les banques centrales pour distordre les prix du marché,
  • spoliation de l’or des citoyens, [16]
  • refus d’audit complet des stocks nationaux, [17]
  • création d’or papier frauduleux [18] car appuyés sur des stocks non audités,
  • manipulation de la publication des stocks officiels du COMEX [19] (depuis juin 2013 plus personne n’est responsable de la validité des données publiées).
Le prochain stade du refus d’honorer les contrats de livraison d’or physique aux marchés COMEX ou LBM ne constituera dans les faits qu’un aveu de reddition.[19bis]

Evolution sur 5 ans du stock d’or physique enregistré pour servir les retraits sur le marché COMEX ; source : 24hgold.com

L’idéologie et la dialectique de l’Etat profond américain

Pour mieux anticiper les évolutions et réactions des acteurs de l’Etat profond, il nous semble justifié d’après les éléments historiques que l’on ne peut pas s’arrêter à l’excuse de l’incompétence généralisée des structures de l’Etat public.[20]

Ces éléments historiques nous autorisent à associer deux tendances idéologiques d’extrême-droite qui irriguent les membres de l’Etat profond depuis des décennies :
  • tout d’abord la proximité [20bis] et le soutien depuis les années 20 des mouvements nazis [21] ou groupes parafascistes [22] dans de très nombreux pays [23] et dernièrement en Ukraine [24] (citons en particulier l’Opération PaperClip, et les réseaux d’insurrection Gladio (Stay-behind) dans toute l’Europe [24bis] – la tuerie en 2011 de Anders Behring Breivik près d’Oslo en Norvège [25] nous rappelant que ces réseaux dormants existent encore bel et bien de nos jours dans nos pays) ; 
  • ainsi que la collusion étroite des néoconservateurs avec le courant extrémiste et antidémocratique du Reconstructionisme Chrétien depuis les années 1980 [26] - ces fidèles sont souvent appelés « Dominionistes »[27] bien que le Reconstructionisme n’en soit qu’une sous-catégorie. L’apogée de leur influence au plus haut niveau de l’Etat se situe sous la présidence de G.W. Bush.[28] Signalons qu’une purge [29] vise ces derniers temps ces fidèles au sein du Pentagone, et en particulier chez les « missiliers »[30] pour notre plus grande sécurité semble t’il. 
La dialectique utilisée par les membres de l'Etat profond reprend en tous points ce qu'Orwell a décrit comme la doublepensée dans 1984 : [30bis]
To know and not to know, to be conscious of complete truthfulness while telling carefully constructed lies, to hold simultaneously two opinions which cancelled out, knowing them to be contradictory and believing in both of them, to use logic against logic, to repudiate morality while laying claim to it, to believe that democracy was impossible and that the Party was the guardian of democracy, to forget, whatever it was necessary to forget, then to draw it back into memory again at the moment when it was needed, and then promptly to forget it again, and above all, to apply the same process to the process itself – that was the ultimate subtlety; consciously to induce unconsciousness, and then, once again, to become unconscious of the act of hypnosis you had just performed. Even to understand the word 'doublethink' involved the use of doublethink.[...] 
The power of holding two contradictory beliefs in one's mind simultaneously, and accepting both of them... To tell deliberate lies while genuinely believing in them, to forget any fact that has become inconvenient, and then, when it becomes necessary again, to draw it back from oblivion for just as long as it is needed, to deny the existence of objective reality and all the while to take account of the reality which one denies – all this is indispensably necessary. Even in using the word doublethink it is necessary to exercise doublethink. For by using the word one admits that one is tampering with reality; by a fresh act of doublethink one erases this knowledge; and so on indefinitely, with the lie always one leap ahead of the truth.
Par exemple:
There is a difference between [political] assassination and killing .... The word 'kidnap' sounds to me like a term used in - in law. Remember that I'm a CIA agent, CIA background. We neutralise these things. We don't think... in criminal terms.
(déposition de B.L. Barker, membre du groupe secret 'Operation 40' de la CIA qui a notamment commis le cambriolage raté du Watergate) [30ter] 
Orwell le précise plus loin: « Si l'on doit gouverner, si l'on doit continuer à gouverner, on doit être en mesure de détruire tout sens de la réalité. Parce que le secret du gouvernement est de combiner la croyance en sa propre infaillibilité, avec le pouvoir d'apprendre des erreurs du passé ». Dès lors, chaque membre de l'Etat profond se transforme en pion crédule sans toutefois jamais manquer d'information vraisemblable, mais qui n'est pas la vérité. [30d]

Retenir fermement l’UE sous contrôle américain

Perdant du terrain et de l’influence sur le terrain domestique et parmi la majeure part des militaires du Pentagone dont le moral est au plus bas,[31] l’Etat profond a lancé plusieurs initiatives qui recouvrent les principes suivants :
  • Retenir fermement l’UE sous contrôle américain 
  • Ecarter l’UE des BRICS en attisant les tensions à toutes les frontières clés 
  • Restreindre la capacité stratégique de la Russie en utilisant l’OTAN et la suite des révolutions colorées 
  • Isoler la Chine de ses voisins asiatiques, attiser les tensions avec le Japon grâce au nationaliste Abe ou en Thaïlande 
  • Eviter le ralliement d’autres pays émergents autour des BRICS par l’arme monétaire (tapering) 
  • Reprendre pied en Amérique Latine (déstabilisation du Vénézuela) 
  • Répandre le chaos au Moyen-Orient (Syrie, puis Iran) en utilisant l’Arabie Saoudite qui se voyait ainsi déjà débarrassée de deux encombrantes puissances régionales (résultat : c’est le prince Bandar ben Sultan qui a été remercié [32] alors que Assad est toujours en place)  
On pourrait croire, comme nos dirigeants européens, que l'alliance avec l’UE (c’est-à-dire en fait sa vassalisation) est essentielle pour les USA. Il n’en est rien. Les dirigeants de l’UE ne pourront pas sauver les USA du naufrage complet du système dollar parce que rien ne le peut, mais ils prolongeront un peu plus les souffrances des peuples américain et européens.

Il importe peu de savoir si l’Etat profond américain pense vraiment que les USA avec l’UE et le Japon peuvent « sauver le système ». Nous savons que c’est impossible : la montée en puissance des BRICS, cumulée avec la fin de course actuelle de l’utilisation du dollar comme monnaie, sont irrésistibles (et au vu des évènements récents on a de bonnes raisons de douter de la solidité de la relation transatlantique : Le « Fuck the EU » de Mme Nuland résume bien la pensée profonde!). L’Etat profond cherche avant tout à gagner du temps, pour organiser au mieux son futur retranchement. 

Dans cette logique de simple pion, le projet Européen sera sacrifié à son tour, tout comme les Commissaires actuels. Ces derniers sachant leur reconduction impossible en juillet prochain, obtempèrent docilement à tous les desideratas de Washington et « poussent les feux » contre l’intérêt manifeste des citoyens européens sur tous les dossiers : Ukraine, Syrie, NSA, Lybie, OGM, TTIP... Ils trouveront certainement bientôt une place confortable dans un think-tank quelconque de Washington ou une université américaine... pour quelques temps. 

La sagesse voudrait que les dirigeants européens et leurs conseillers reconnaissent cette impasse historique et accompagnent le mouvement dans le bon sens. On ne retarde pas une naissance, on peut simplement la rendre plus douloureuse. Mais cela serait faire preuve d’un nouvel esprit européen actuellement en crise [32bis] et qui trouve son pinacle chez les élites européennes, et en particulier françaises. 

L’Ukraine pour éloigner l’UE des BRICS

Ecarter l’UE des BRICS est facile à réaliser : la construction européenne autorisée par Washington, conformément à son idéologie antidémocratique que nous avons décrite, s’articule principalement autour d’une technostructure non élue (la Commission Européenne) où l’influence anglo-saxonne est très forte.

Grâce aux documents de Snowden, nous savons que tous les leaders politiques européens sont étroitement surveillés par la NSA et son équivalent anglais le GCHQ depuis des décennies et, encore pire, que les appareils législatifs (et donc certaines des personnes clés qui étaient en charge) ont été corrompus pour éroder petit à petit le droit des citoyens au fil de certains articles de loi convenablement rédigés (par exemple dernièrement : l’article 20 de la LPM en France) [33]. C’est aussi ce que nous apprend dernièrement le témoignage de Snowden devant le Parlement Européen.[34]

Ces députés craintifs se sont hélas toujours refusés à utiliser leur unique pouvoir réel : celui de censurer la Commission et la forcer à démissionner – ce qui empêche dès lors tout contrôle des citoyens sur la Commission Européenne, même a posteriori. Tout est dit.

Seul dirigeant en Europe, Mme Merkel a osé élever un peu la voix suite au scandale des écoutes de la NSA et du GCHQ, mais se retrouvant isolée elle n’a pas pu utiliser ce moyen de pression. Le Parlement Européen est lancé dans une procédure bien plus longue. Donnera t’il son véto à la signature du TTIP ? François Hollande quant à lui est devenu quelques mois seulement après son élection plus Atlantiste encore que Nicolas Sarkozy, si c’était possible.[35]

Ce contrôle de nos faibles élites politiques a donc permis à l’UE de jouer l’un des rôles les plus honteux de toute l'histoire du continent: celui de soutenir la montée au pouvoir de forces néo-nazis en Ukraine comme nous l’avons vu, ceci contre l’aspiration de tous les peuples européens. 

Encore pire, les représentants de l’UE soutiennent les commanditaires des assassins des 100 victimes de la place Maidan : malgré la fuite de la conversation révélant à Mme Ashton la très probable intervention de snipers dirigés par l’opposition [36] (une tactique d’attaque sous fausse bannière hélas banale de la part de l'Etat profond pour manipuler les foules – ce qui est interdit par le droit international), aucun Commissaire européen ne s’est encore exprimé sur cette question brûlante. Si en Allemagne les médias se sont largement emparés de cette affaire, en France les articles de presse à ce sujet sont bien plus rares.  

C’est une nouvelle démonstration d’un contournement (hacking) politique de la volonté des citoyens Européens rendu possible par l’absence de tout contrôle démocratique effectif  de l’UE.

L’Ukraine sacrifiée, les dirigeants Européens complices

Gaz, pipeline : les aspects énergétiques ou géostratégiques [37] dans cette affaire ukrainienne sont certes historiquement importants mais désormais secondaires pour l'Etat profond.[37bis] Ce dernier ayant prouvé être incapable de dominer militairement l’Iraq ou l’Afghanistan sur le long terme, qui peut sérieusement imaginer un conflit ouvert entre l’Otan et la Russie pour arriver à lui retirer ses bases de Crimée (même sans compter l’appui de la Chine et de l’Inde qui ont déclarés leur support à la Russie) ? 

Là encore, l’objectif réel est la division des peuples et la guerre de l’information, la lutte armée asymétrique. La volonté de puissance s’est transformée en méprisable ambition de chaos sans le moindre égard pour les vies du peuple ukrainien.

Nous pouvons résumer l’évolution prochaine de la situation intérieure de l’Ukraine en trois courtes dépêches :
  • Comme nous l’avions anticipé, le tout premier geste du nouveau « premier ministre » à son retour de Washington a été l’envoi précipité aux USA de la réserve d’or de la banque centrale d’Ukraine [38] (soit tout ou partie des 36 tonnes déclarées en décembre 2013 d’après le WGC). Ils seront aussitôt échangés à vil prix contre de vils dollars, ou bien mis en leasing et re-hypothéqué ce qui permettra au COMEX de tenir un mois de plus. Bref le peuple ukrainien ne le reverra jamais. Il est significatif de remarquer que les nazis se ruaient aussitôt sur l'or des banques centrales dans les pays qu’ils ont envahis au cours de la 2ème Guerre Mondiale. 
  • Dmitry Yarosh, le chef du mouvement nationaliste ukrainien radical « Secteur Droit », a exigé que les autorités de Kiev ouvrent les arsenaux militaires pour armer ses miliciens.[39] On peut s’attendre à des exactions d’escadrons de la mort contre la population (russophone ou non, de confession juive ou non, tout sera bon pour rajouter de la confusion) 
  • Pendant les émeutes de février en Ukraine des dépôts militaires ont été pillés, et des dizaines de systèmes de missile anti-aérien portatifs (MANPADS) ont disparu.[40] Cela a été commenté par le Président du Conseil des ministres de la République autonome de Crimée sur son compte officiel Twitter.
Il faut donc s’attendre à une dispersion de ces armes sur le marché noir international, et à des attentats particulièrement violents sur le sol ukrainien et ailleurs dans le monde là où des gouvernements démocratiques résistent encore. Avec la présence en Ukraine de la NED,[41] une des vitrines de la CIA,[42] leur exportation illégale fait partie de la routine.


Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits.
(A. Camus ; Le manifeste de l'Homme Indépendant, 24/11/1939)




[1] Pour une courte synthèse géoéconomique actuelle du système dollar, voir ‘Global Europe Anticipation Bulletin’ n°83, L.E.A.P. (15/03/2014) ; Pour d’autres détails voir les indicateurs clés de Conscience-Sociale.org
[2] Peter Dale Scott, 'The Doomsday Project and Deep Events: JFK, Watergate, Iran-Contra, and 9/11', The Asia-Pacific Journal Vol 9, Issue 47 No 2, (11/2011); Peter Dale Scott, ‘The Doomsday Project for Violent Power: America's Decline from Democracy to Empire since World War II’, Rowman & Littlefield Publishers, 2014
[3] Il n’y a plus de démocratie aux États-Unis’, La Libre, (02/2014)
[4] Peter Dale Scott, ‘The State, the Deep State, and the Wall Street Overworld’, The Asia-Pacific Journal, Volume 12, Issue 10, No. 5, (03/2014) 
[5] Salon.com, 03/2014
[6] La politique profonde et l’Etat profond’, Conscience-Sociale.org (03/2014)
[7] L'inéluctable contre-revolution du peuple américain‘, Conscience-Sociale.org (03/2013)
[8] Voir le dossier ‘Cuban Missile Crisis’, Mary Ferrell Foundation
[9] Peter Dale Scott, ‘La machine de guerre américaine : La politique profonde, la CIA, la drogue, l'Afghanistan’, Editions Demi-Lune, 2012 ;
[10] Peter Dale Scott, 'Continuity of Government' Planning: War, Terror and the Supplanting of the U.S. Constitution, The Asia-Pacific Journal, 21-2-10, (05/2010).
[12] Bloomberg, 03/2014
[13] Business Insider, 09/2012
[15] Silverdoctors.com, 06/2013
[16] Executive Order 6102 de 1933, Wikipedia.org
[17] Conscience-Sociale.org, 10/2012 ; et 11/2012
[18] wealthdaily.com, 11/2011
[19] Silverdoctors.com, 11/2013
[19bis] Conscience-Sociale.org, 10/2013
[20] Ainsi que le laisse pourtant entendre Charles Hugh Smith, 03/2014
[20bis] Robert Parry, 'Secrecy & Privilege: Rise of the Bush Dynasty from Watergate to Iraq', The Media Consortium, 2004
[21] a) The Guardian, 09/2004 ; b) Antony C. Sutton, 'Wall Street and the Rise of Hitler', G S G & Associates Pub, 1976 ; voir aussi cette interview du Pr. Sutton.
[22] Peter Dale Scott, ‘Transnationalised Repression; Parafascism and the U.S.’, Lobster magazine, Issue 12, 1986
[23] Salon.com, 03/2014 ; Pour un aperçu des crimes de guerre commis depuis 1945, lire Jeremy Kuzmarov, 'Bomb After Bomb: US Air Power and Crimes of War From World War II to the Present', The Asia-Pacific Journal, Vol 10, Issue 47, No. 3, November 19, 2012.
[24] Global Research, 03/2014
[24bis] Flux RSS des archives du département ISN à l'Institut Fédéral Suisse de Technologie à Zurich sur les réseaux Gladio ; Interview du Dr Ganser (12/2005) ; Documentaire de la BBC (06/1992)
[25] Global Research, 08/2011
[26] Political Research Associates PublicEye.org, 06/1994
[27] theocracywatch.org, 09/2008
[28] Yurica Report, 02/2004
[29] Veteran Today, 03/2014
[30] NBC News, 05/2013 ; Defense One, 11/2013 ; Clearance Jobs, 01/2014 ; Daily Mail, 09/2013 
[30bis] E.A. Blair, dit 'George Orwell', 1903-1950; '1984', 1949.
[30ter] CBS interview, c.1976.
[30d] A titre d'exemple de la perméabilité de la société à ces faux concepts, voici des extraits du 'Lucifer's lexicon' paru en 1975 dans Reason, p94: 
collective security, n. A system for the maintenance of world peace through world war. 
security, n. Freedom from freedom.
subsidy, n. Government aid to a private commercial enterprise deemed beneficial to the public-but not by the public. Government aid to the Plunderprivileged. 
supplicant, n. One who has the independence to stand on his own two knees.
tax, n. A payment made to a government for servitude, rendered. 
tax, v.t. To fleece the sheep; to pluck the geese; to milk the cowed.
[31] WND, 10/2013
[32] Al-Manar, 01/2014 ; Global Research, 03/2014
[32bis] Conscience-Sociale.org, 02/2014
[33] Voir le dossier sur la Quadrature du Net
[34] Lire la transcription complète ici et en particulier la réponse à la première question posée.
[35] Agile-Democratie.net, 03/2014
[36] Voir les principaux articles de presse consacrés dans chaque pays européen au scandale SniperGate : Conscience-Sociale.org, 03/2014
[37] Michel Collon, 03/2014 ; Gordon T. Long, 03/2014
[37bis] Et ceci depuis bien longtemps comme nous l'apprennent les Archives Nationales US: 
Prs. Richard Breitman et Norman J.W. Goda, "HITLER’S SHADOW Nazi War Criminals, U.S. Intelligence, and the Cold War", 2009, published by the National Archives; voir en particulier le chapitre 5 Collaborators: Allied Intelligence and the Organization of Ukrainian Nationalists
[38] a) Global Research, 03/2014 ; b) voir aussi les articles suivants:
 38.138.238.338.438.538.638.738.838.938.10, 38.11, 38.12  ; nous l'avions anticipé le 7 mars.
[39] Russia Today, 03/2014
[40] Russia Today, 03/2014
[41] al Jazeera, 03/2014
[42] Voir le dossier du Center for Media and Democracy

_______________________________
Modifications post première publication:
- 17/04/2014: ajouts des références 38b
- 14/05/2014: ajout de la référence 21b
- 12/7/2014: ajout de la référence 30d
- 10/5/2015: ajout de la référence 37bis

2014/03/15

La politique profonde et l’Etat profond

[La version en anglais de cet article est publiée ici - English translation is published here]

Le terme de « politique profonde » (deep politics) a été forgé par le Pr. Peter Dale Scott. La première mention dans un ouvrage remonte à ma connaissance à l’année 1993.[1] Dans ce livre figurent aussi les termes de « système politique profond » (deep political system) et de son étude (deep political analysis). 

L’objectif de cet article est de synthétiser les définitions proposées et celles des termes associés. L’approche de la politique profonde est fondamentale et essentielle pour mieux comprendre les mécanismes de la légitimité du pouvoir dans le monde politique moderne. Elle constitue l’ouverture d’un nouveau et immense champ en sciences politiques, comparable à la diffusion du Prince de Niccolò Machiavelli.

Avec la montée en puissance depuis la deuxième guerre mondiale des systèmes socio-techniques occultés du Parlement - comme les systèmes de surveillance massive des citoyens - il s’agit selon nous d’une approche complète du fonctionnement du pouvoir, de la conception des enjeux jusqu’au prises de décision qui devient bien plus pertinente. Soulignons cependant que des événements provoqués par la politique profonde (deep events) ont été recensés depuis la République romaine. Sa pertinence n’est donc pas limitée à un certain pays d'Amérique du XXIème siècle. Elle est symbiotique du pouvoir dans un pays, et valable en tous temps et en tous lieux, à des degrés et échelles diverses.

Il est d’une importance capitale pour la société civile de chaque pays de pouvoir poser un mot sur ce danger, qui s’il n’est pas traité peut conduire à la mort une démocratie.[2] Si on a un mot à sa disposition pour décrire un concept, alors on peut en débattre et l’aborder comme un vrai problème, pas comme un risque évanescent, ou la peur vague d’une nuit sans lune.[3] Aux Etats-Unis la société civile s’est emparée de cette approche et a publié plus de 32000 pages depuis 1995 [4] pour éclaircir de manière complète, cohérente et publique tous les détails entourant la mort de JFK, ce que l’Etat public américain s’est toujours refusé à faire depuis 50 ans.

La littérature académique sur les Crimes d’Etat contre la Démocratie (SCAD), c’est-à-dire in fine contre les citoyens, existe mais est encore très restreinte.[5] Cela est justifié par l’exceptionnelle difficulté sociétale de publier sur ce sujet depuis les années 40 et par le fait qu’elle vient dans un deuxième temps consolider les apports théoriques des nombreux ouvrages et essais de la société civile (dont des universitaires), documentant rétrospectivement les SCAD dans une démarche historiographique.[6]

A partir de novembre 1996 [7] apparait dans des interviews et ouvrages politiques le terme d’« Etat profond » (deep State), tout d’abord dans le cadre de la Turquie.[8] Démirel, ancien Président de Turquie, a ainsi déclaré [9]:
“Il y a un Etat profond et un autre Etat [...]. L'Etat qui devrait être véritable est celui de secours, celui qui devrait être de secours est le véritable (There is one deep state and one other state, […]. The state that should be real is the spare one, the one that should be spare is the real one.)”
Le premier ministre Erdoğan a également déclaré [10] :
Chaque Etat a son propre Etat ​​profond; c'est comme un virus; il réapparaît lorsque les conditions sont favorables. Nous continuons la lutte contre ces structures. Nous ne pouvons pas bien sur prétendre que nous l'avons complètement éliminé et détruit parce qu'en tant que politicien, je ne crois pas qu'un État dans le monde a été capable de le faire complètement.
 (Every state has its own deep state; it is like a virus; it reappears when conditions are suitable. We continue fighting these structures. We cannot of course argue that we have completely eliminated and destroyed it because as a politician, I do not believe that any state in the world has been able to do this completely.)”
Il est très significatif de remarquer qu’un concept connexe (l’Etat dual) avait été proposé par Fraenkel en 1941 pour caractériser l’Allemagne Nazie.[11] Ce dernier estimait que le régime nazi se composait, en fait, de deux états distincts: l'un «normatif», l'autre «prérogatif». Dans le premier la bureaucratie administrative et judiciaire fonctionne selon des règles, dans le second le Parti, et plus particulièrement la Gestapo, travaillent sans la moindre contrainte juridique ultime. Le deuxième, bien sûr, possède un pouvoir complet pouvant arbitrairement remplacer le premier sur tout ou partie de ses actions.

Il est pertinent de mentionner le discours du Général MacArthur à Cleveland le 6 septembre 1951, au cours duquel le journal Mt. Vernon Register-News a rapporté :
[...] il cita le Département d'Etat comme un exemple de ce qu'il a appelé une "dérive régulière vers un régime totalitaire." Il a dit que le Département est en train d'assumer la position d'un "premier ministre." [11b] 
Le journal Sarasota Herald Tribune a donné d'autres détails :
Le Général Douglas MacArthur a déclaré jeudi soir qu'il notait une "dérive régulière vers un régime totalitaire" et la suppression des libertés individuelles aux Etats-Unis.
Lors d'un discours hérissé d'attaques contre l'Administration Truman, il a dit que si cette tendance n'était pas stoppée, elle pourrait conduire à une dictature.
"Cette dérive a entraîné une relation paternaliste de plus en plus dangereuse entre le gouvernement fédéral et les citoyens, avec la prolifération d'agence après agence ayant pour but de contrôler l'individu, "le grand affirmé. 

Le discours, dans lequel il a déclaré que les dirigeants de l'Administration [au sein du gouvernement] ne sont pas dignes de confiance,... [11c] 
Le  San Bernardino Sun a rapporté :
Son discours, le dernier d'une série d'interventions politiques majeures, a été consacré presque autant aux questions nationales que de politique étrangère. Il comprenait quatre points essentiels :
1 . Que "nos dirigeants" ont perdu la victoire militaire acquise dans la deuxième guerre mondiale, à travers un désarmement trop rapide et des bévues diplomatiques, et qu'on ne peut plus leur faire confiance maintenant.
2 . Que l'organisation des Nations Unies est "intrinsèquement faible" et est menacée d'échec.
3 . Que le moment pourrait venir où le Japon pourrait être "solidement affermi par les protections de nos propres précieuses libertés, tandis que nous-mêmes nous les aurions perdu." 
UNE DERIVE REGULIERE REMARQUEE 
4 . Que depuis son retour d'Orient, il a remarqué notre "dérive constante vers un régime totalitaire avec la suppression de ces libertés individuelles qui ont formé les pierres angulaires de la progression politique, économique et sociale de notre grandeur nationale." MacArthur, amplifiant ce dernier point , a poursuivi en disant : "Si ceci est longtemps toléré par les hommes libres, ça ne peut que conduire à ces [agences de] contrôle opérant après établissement de la culpabilité et en toute conscience, qui ont toujours formé des tremplins au pouvoir dictatorial." [11d]
Le Rome News - Tribune a lui rapporté :



En 1955 Morgenthau a décrit l’Etat dual pour caractériser les Etats-Unis.[12] Il distingue « d’un côté la hiérarchie d’un Etat démocratique traditionnel qui fonctionne suivant la règle du droit, et de l’autre côté une hiérarchie sécuritaire plus ou moins cachée, qui supervise et contrôle le premier, ou au moins est capable d’exercer un véto effectif sur ses décisions ». 

En fait, écrit O. Tunander, « cette structure sécuritaire parallèle, [...] que certains pourraient appeler l’Etat profond, est très exactement l’appareil qui définit quand et si un état d’urgence doit émerger. C’est cet aspect de l’Etat que Carl Schmitt dans son ouvrage Politische Theologie en 1922 qualifie comme le ‘souverain’». [12b,c]

On remarque immédiatement que l’implantation de l’état d’urgence est l’un des concepts clés sur lequel l’Etat profond américain a travaillé pendant les dernières décennies du XXème siècle. [13a]  Nous verrons plus avant la distinction précise du terme Etat Profond entre Scott et Tunander.

C’est dans ce contexte de l’Etat profond qu’il faut aussi comprendre le contenu du dernier discours du President Dwight Eisenhower le 17 janvier 1961, ainsi que celui du President John F. Kennedy “The President and the Press” donné pour l’American Newspaper Publishers Association au Waldorf-Astoria Hotel, New York City, le 27 Avril 1961 soit dix jours après l’invasion ratée par la CIA de la Baie des Cochons; mais aussi dans la perspective du discours "Message to Congress on Curbing Monopoliesde F.D. Roosevelt qui a déclaré le 29 avril 1938 : [13e]
"Unhappy events abroad have retaught us two simple truths about the liberty of a democratic people.

The first truth is that the liberty of a democracy is not safe if the people tolerate the growth of private power to a point where it becomes stronger than their democratic state itself. That, in its essence, is Fascism—ownership of Government by an individual, by a group, or by any other controlling private power.

The second truth is that the liberty of a democracy is not safe if its business system does not provide employment and produce and distribute goods in such a way as to sustain an acceptable standard of living.

Both lessons hit home.

Among us today a concentration of private power without equal in history is growing."
En décembre 1913, le terme « le gouvernement invisible » a été utilisé par le député Lindbergh dans le débat sur le Federal Reserve Act: "Lorsque le président aura signé ce projet de loi, le gouvernement invisible par le Pouvoir Monétaire sera légalisé.[13f] Ce terme est repris par Edward Bernays en 1928 [13h] puis à nouveau dans les années 60. [13b] Le Pr. Antony C. Sutton l'a également utilisé après 1972, en se focalisant sur ​​la politique étrangère des États-Unis mise en oeuvre par l'État public et ses liens avec des entreprises privées (industries, banques, médias, lobbies). Il n'a pas exploré les liens avec les agences de l'Etat comme la CIA.

En 2014 suite au scandale des écoutes massives de la NSA, le Pr. Michael J. Glennon a utilisé la théorie du "Double Gouvernement", un terme forgé par Bagehot [13c], dans son excellente analyse sociologique et constitutionnelle des deux dernières administrations des Etats-Unis :
"National security policy in the United States has remained largely constant from the Bush Administration to the Obama Administration. This continuity can be explained by the “double government” theory of 19th-century scholar of the English Constitution Walter Bagehot. As applied to the United States, Bagehot’s theory suggests that U.S. national security policy is defined by the network of executive officials who manage the departments and agencies responsible for protecting U.S. national security and who, responding to structural incentives embedded in the U.S. political system, operate largely removed from public view and from constitutional constraints."
Glennon mentionne également le terme de "structure profonde" utilisé par H. Heclo en 1999 mais celui-ci se limite à décrire "ces éléments qui restent identiques quand l'administration change" suite aux élections. [13d]

Glennon n'a pas étudié les actions illégales et occultes menées par l'Etat profond comme l'a fait Scott. Mais nous pouvons noter ces phrases, p. 99 :
"Inspectors general were set up within federal departments and agencies in 1978 as safeguards against waste, fraud, abuse, and illegality, but the positions have remained vacant for years in some of the government’s largest cabinet agencies, including the departments of Defense, State, Interior, and Homeland Security.[...]  
The CIA’s Office of Inspector General “has generally produced better results when addressing discrete, isolated problems,” but “when the largest problems surfaced, the statutory OIG did not add significant remedial value”; 
When it was Dana Priest who broke The Washington Post story about secret CIA prisons—prisons that OIG had not investigated before the story— it leads to the conclusion that intelligence insiders deem Ms. Priest (or Mr. Risen, or Mr. Lichtblau, or Mr. Pincus, or any other investigative reporter) a more effective agent of change than OIG. And not only did the whistleblower choose Ms. Priest either instead of, or in addition to, OIG, he or she did so despite the risk of being disciplined, discharged, or even arrested for disclosing secrets to a reporter.”

Daniel Inouye a présidé un comité spécial (Senate Select Committee on Secret Military Assistance to Iran and the Nicaraguan Opposition) de 1987 à 1989 dans le cadre de l'enquête parlementaire sur l'affaire Iran-Contra des années 1980. Lors des débats, Inouye a déclaré, en parlant des opérations qui avaient été révélées :
"[There exists] a shadowy Government with its own Air Force, its own Navy, its own fundraising mechanism, and the ability to pursue its own ideas of the national interest, free from all checks and balances, and free from the law itself." [13g]
Nous avions nous-même utilisé le terme d’Etat profond en 2012 dans une description chronologique des événements aux USA, [14] en reconnaissance des travaux de P.D. Scott qui l’a lui-même employé à partir de 2007. [15]

Aujourd’hui c’est le terme qui commence à faire référence dans les grands médias [16] mais son explication reste très souvent simpliste et source de confusion.

Définitions et significations

Les ouvrages de Scott présentent l’apport le plus complet, et font historiquement référence.

Concernant la parapolitique [17] et son rapport avec la politique profonde : [18]
"[...] la recherche sur la parapolitique, que j'ai définie (avec la CIA à l'esprit) comme un 'système ou la pratique de la politique dans laquelle la responsabilité est diminuée consciemment.' ... Je vois encore une valeur dans cette définition et ce mode d'analyse. Mais la parapolitique ainsi définie est elle-même trop étroitement consciente et intentionnelle... elle décrit au mieux seulement une couche intermédiaire d'irrationalité sous la surface rationnelle de notre culture politique. Ainsi je me réfère maintenant à la parapolitique seulement comme une manifestation de la politique profonde, c'est à dire toutes ces pratiques politiques et ces arrangements, volontaires ou non, qui sont habituellement refoulées plutôt que reconnues."
Sur le système politique profond et son analyse :
“Un processus ou un système politique profond est celui qui recourt habituellement à la prise de décisions et d'exécution des procédures qui se situent au-delà ainsi qu'en deçà de celles sanctionnées publiquement par la loi et la société. Dans le langage courant, la confidentialité collusoire et les infractions à la loi font partie de la façon dont le système politique profond fonctionne . [...]
L'analyse politique profonde se concentre sur les mécanismes généralement ignorés des aménagements. Du point de vue de la science politique classique, ceux veillant à l'application de la loi et la pègre sont opposés l'un à l'autre, les premiers luttant pour prendre le contrôle de cette dernière. Une analyse politique profonde note que, dans la pratique, ces efforts de contrôle conduisent à l'utilisation d'informateurs criminels; et cette pratique, étalée sur une longue période de temps, transforme les informateurs en agents doubles avec un statut au sein de la police ainsi que dans le gang. La protection des informateurs et de leurs crimes encourage faveurs, dessous de table, et éventuellement corruption systémique [...] dans laquelle la main qui contrôle peut être davantage le gang que le service de police qu'il a maintenant corrompu.[19]
Il est important de comprendre que ce mécanisme n’a pas de limite de diffusion dans le système politique: en 1985 le directeur de la CIA et ex-directeur du FBI a témoigné en faveur de Jacquie Presser (un membre de l’équipe présidentielle de Reagan et aussi l’un des dirigeants du gang des Teamsters) en déclarant que ses activités illégales avaient été autorisées.[20]
Une analyse politique profonde élargit l'analyse traditionnelle structuraliste pour inclure des indéterminations analogues à celles qui sont étudiées dans la théorie du chaos. Un système politique profond est celui où les processus ouvertement reconnus ne sont pas toujours solidement sous contrôle, en raison précisément de leur aménagement avec des sources de violence non réprimées, au moyen d'arrangements qui ne sont pas ouvertement reconnus et examinés.[21]
Sur l’Etat profond et sa relation avec l’Etat public :
Selon P.D. Scott, l’organisation politique d’un pays « correspond à deux systèmes entremêlés d’institutions étatiques : l’Etat profond et l’Etat public. Le second interagit avec la société civile et lui est attentif, surtout dans une démocratie ; le premier est à l’abri des changements au sein de l’opinion publique. Ainsi l’Etat profond se développe grâce à des opérations secrètes ; l’Etat public, au contraire, est réduit par elles ».

« Suivant la même distinction établie par Hans Morgenthau dans sa discussion sur l’Etat dualiste, Ola Tulander parle d’un Etat démocratique et d’un Etat sécuritaire. Ses définitions se focalisent plus sur les institutions respectives de l’Etat dualiste ; les miennes, sur leur base sociale et sur leurs relations avec le pouvoir du supramonde [the overworld, c’est-à-dire la société riche et privilégiée et qui exerce une influence efficace sur le gouvernement par le pouvoir privé]. L’Etat profond et l’Etat sécuritaire ne sont pas exactement similaires. »

« Par Etat profond, je parle d’agences telles que la CIA, qui ont peu ou pas de représentations publiques importantes en dehors du gouvernement. Par Etat sécuritaire, je pense avant tout à l’armée, une organisation suffisamment vaste pour avoir une constituante publique limitée, et parfois même, dans certaines régions, être un élément de la société civile locale. Les deux répondent à différents segments du supramonde et ainsi sont parfois en opposition entre eux. »

« L’histoire archivistique est un ensemble chronologique d’évènements tel qu’il est reconstruit par les historiens grâce aux archives publiques ; cette notion est à l’opposé de celle d’Histoire profonde, qui est une chronologie d’évènements concentrée sur ce qui est souvent falsifié ou inexistant dans les archives publiques ».[22]

A propos des stratégies géopolitiques et d’influence, la différence principale entre un Etat public et un Etat profond c’est que ce dernier n’est pas limité aux frontières convenus sur la carte et à ses ambassades. Il est présent là où réside et se déplace chacun de ses pions. La collusion avec les entreprises et organisations trans-nationales (NGO, mais aussi des relais au sein des antennes des institutions) lui donne cet élan. C'est ce que P.D. Scott appelle l'Etat profond supranational (supranational deep State).[23] 

P.D. Scott nous résume ses idées fondamentales sur la politique profonde dans cette vidéo :


... ainsi que dans cette interview :






[1] “Deep Politics and the Death of JFK”, Peter Dale Scott, Berkeley and Los Angeles: University of California Press, 1993. Ce livre est issu d’après l’auteur (pp. vii) de deux manuscrits diffusés en 1971 et 79.
[2] Agile-Democracy.net (03/07/2014) ; Agile-Democracy.net (01/26/2014) ; Agile-Democracy.net (02/01/2014)
[3] Je publie cet article au moment même où les dirigeants non élus de la Commission Européenne forcent tous les citoyens de l’Union Européenne à prendre des engagements de manière très accélérée, sans aucun respect des procédures, et contraires aux souhaits des peuples : intégration de l’Ukraine dans l’UE, signature du TTIP avec les USA, et bientôt de nouvelles lois liberticides parce que soi-disant « l’UE n’est plus en sécurité et doit tout faire pour se protéger de la Russie ». Pensez-y quand vous compterez les bottes de l’OTAN dans vos rues.
[4] JFK / Deep Politics Quarterly (1995 – 2013)
[5] a) Recueil “Government of the shadows: Parapolitics and Criminal Sovereignty”, Dr Eric Wilson, éditeur, 2009, London: Pluto Press (Une copie de l’article de O. Tulander est consultable ici); b) Six articles parus dans American Behavioral Scientist, February 2010; 53 (6) (Voir une copie de l’article de L. deHaven-Smith ici pour la distinction impérative entre SCAD et ce qui est populairement appelé théorie du complot) ; c) Recueil « The Dual State - Parapolitics, Carl Schmitt and the National Security Complex », Dr Eric Wilson, éditeur, 2012, Ashgate Publishing Ltd.
[6] Par exemple les deux listes d’ouvrages recensés ici.
[7] "The Rise and Decline of the Turkish “Deep State”: The Ergenekon Case", Serdar Kaya, Insight Turkey (Vol. 11, No. 4, Fall 2009, pp.99-113)
[8] a) voir Wikipedia.org pour l’utilisation de ce terme dans le cadre de la Turquie ; b) The New Yorker (03/2012) ; c) Pour l’utilisation de ce terme dans le cadre de l’Egypte, voir: OnReligion.co.uk (07/2013), GlobalPost (09/2013), GlobalPost (01/2015); sur l'état profond en Inde: DNAIndia (04/2014) ; sur l'état profond en Argentine: Maine's NPR News Source (01/2015).
[9] Washington Report on Middle East Affairs (January/February 2006) ; NTV (11/2005).
[10] "What is deep state?", Markar Esayan, Today’s Zaman (12/2012)
[11] “The Dual State. A Contribution to the Theory of Dictatorship”, Ernst Fraenkel, translation from the German by E. A. Shils, in collaboration with Edith Lowenstein and Klaus Knorr, Oxford University Press, New York, 1941 ; Fraenkel a vécu aux USA à partir de 1939 et travaille pour la Carnegie Endowment for International Peace et le gouvernement américain entre 1942 et 1951, et collabore étroitement avec l'Office of Strategic Services (OSS), le prédécesseur de la CIA -- comme expliqué par Gerhard Göhler, Dirk Rüdiger Schumann dans Vorwort zu diesem Band, in: Ernst Fraenkel. Gesammelte Schriften, Band 3, Neuaufbau der Demokratie in Deutschland und Korea, Baden-Baden 1999, Pp 9–49. Le gouvernement américain finance son retour et son nouveau poste en Allemagne. C’est sans doute ce qui explique qu’il ne décrit que positivement le système politique américain dans son ouvrage de 1960 intitulé « Das amerikanische Regierungssystem ».
[11b] Mt. Vernon Register-News, 7 September 1951, p 2.
[11c] Sarasota Herald Tribune, 7 September 1951, p 1.
[11d] San Bernardino Sun, 7 September 1951, p 1.
[12] Hans J. Morgenthau, in Bulletin of Atomic Scientists, 1955 ; Republié dans « Politics in the Twentieth Century, Vol. 1: The Decline of Democratic Politics », Hans J. Morgenthau, Univ. Chicago Press, 1962.
[12b] Tunander, Ola (2012) "Dual State: The Case of Sweden", in Eric Wilson, ed., "The Dual State: Parapolitics, Carl Schmitt and the National Security Complex", Ashgate (171–192).
[12c] "Securitization, Dual State and US-European Geopolitical Divide or The Use of Terrorism to Construct World Order", Ola Tunander, Fifth Pan-European International Relations Conference, The Hague, 9-11 September 2004.
[13a] Voir le chapitre sur la Continuité du Gouvernement (COG) dans “La route vers le nouveau désordre mondial – 50 ans d’ambition secrète des Etats-Unis”, Peter Dale Scott, Editions Demi-Lune, 2011 ; Edition originale: "The road to 9/11", University of California Press, 2007.
[13b] "There are two governments in the United States today. One is visible. The other is invisible. The first is the government that citizens read about in their newspapers and children study about in their civics class. The second is the interlocking, hidden machinery that carries out the policies of the United States in the Cold War. The second invisible government gathers intelligence, conducts espionage and plans and executes secret operations all over the globe." (David Wise, Thomas B. Ross, "The Invisible Government", 1964) ; cité par J. Kuzmarov
[13c] Walter Bagehot, "The English Constitution", 1867.
[13d] Michael J. Glennon, "National Security and Double Government", Harvard National Security Journal, Vol. 5, 2014, Pp 1-114. Un commentaire de cette étude est disponible ici.
[13e] F.D. Roosevelt, discours "Message to Congress on Curbing Monopolies", le 29 avril 1938.
[13f] Speech before the House of Representatives by C.A. Lindbergh (1859-1924), December 22, 1913, Congressional Record, Vol. 51, p. 1446.
[13g] Speech before the Senate Select Committee on Secret Military Assistance to Iran and the Nicaraguan Opposition, 1987.
[13h] "The conscious and intelligent manipulation of the organized habits and opinions of the masses is an important element in democratic society. Those who manipulate this unseen mechanism of society constitute an invisible government which is the true ruling power of our country. We are governed, our minds are molded, our tastes formed, our ideas suggested, largely by men we have never heard of. This is a logical result of the way in which our democratic society is organized." (Edward Bernays, "Propaganda", 1928, Pp. 37).
[14] Conscience-sociale.org (09/2012)
[15] “Road to 9/11 - Wealth, Empire, and the Future of America”, Peter Dale Scott, University of California Press, 2007 ; Global Research (06/2008).
[16] The Guardian (07/2013) ; Financial Times (07/2013) ; Huffington Post (07/2013)  ; WSJ (10/2013) ; New York Times (12/2013) ; Tom Hayden dans le Huffington Post (07/2013) l'appelle "state within a state" ; signalons aussi Moyers & Company (02/2014) ; Charles Hugh Smith (02/2014) ; Huffington Post (03/2014).
[17] Le terme de parapolitique (qui a un sens différent de celui de l'Etat profond) est utilisé par P.D. Scott dès un de ses ouvrages publié en 1972. En 1977 apparait le terme de parafascisme.
[18] “Deep Politics and the Death of JFK”, Peter Dale Scott, Berkeley and Los Angeles: University of California Press. 1993, pp. 6-7
[19] Ibid, pp xi-xii
[20] Voir les sources citées sur Wikipedia à propos de cette affaire.
[21] Ibid, pp xiii
[22] “La route vers le nouveau désordre mondial – 50 ans d’ambition secrète des Etats-Unis”, Peter Dale Scott, Editions Demi-Lune, 2011, pp 363-364.
[23] Peter Dale Scott, "The State, the Deep State, and the Wall Street Overworld", The Asia-Pacific Journal, Volume 12, Issue 10, No. 5, March 10, 2014.

______________________
Mises à jour:
03/05/2014 : ajout de la Ref 8b et d'un lien dans la Ref 3
09/05/2014 : ajout de précisions dans la ref 11 ; ajout du discours de MacArthur et des refs 11b, c, d
15/05/2014 : ajout du § sur le terme 'gouvernement invisible'
05/06/2014 : ajouts des Refs 13c, 13d et des § correspondants
09/06/2014 : ajouts de la Ref 13a et du § correspondant ; ajout de la Ref 8b et de nouveaux liens dans la Ref 16 et Ref 8c
29/09/2014 : ajouts des Refs 12b,c
10/10/2014 : ajout de la Ref 13f
31/01/2015 : complément dans la Ref 8c
03/03/2015 : ajout de la Ref 13g
05/11/2016 : ajout de la Ref 13h