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2014/08/31

La guerre d'Ukraine et l'esprit des peuples

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Il est encore difficile aujourd'hui d'évoquer l’absence de liberté des grands médias occidentaux sans être taxé d'extravagance, de se voir convaincre d'être le neveu de Poutine.

Pourtant cette liberté parmi d'autres n'est qu'un des visages de la liberté tout court et l'on comprendra notre obstination à la défendre si l'on veut bien admettre qu'il n'y a point d'autre façon de gagner réellement la guerre dans laquelle ceux qui dirigent l’OTAN veulent précipiter l’Europe.

Sur les obstacles qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, Chomsky[1], Bourdieu[2], Orwell[3], de Sélys et Collon[3b], Scott[4] ou Joly[5], et d'autres encore, ont d'ailleurs précédé tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore. En particulier, le principe de la fabrication du consentement une fois imposé, le fait qu'à cet égard les sentiments des foules dépendent de l’influence délétère de bien peu, poussant à la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, démontre mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.

Un des bons préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en Occident n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un citoyen peut rester libre. Le problème n'intéresse plus les gouvernements. Il concerne la société civile et d’abord l'individu.

Et justement ce qu'il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, à l’orée ou au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l'ironie et l'obstination. 

La lucidité est le moteur de notre propre liberté

La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l'histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu'elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un citoyen libre, en 2014, ne désespère pas et lutte pour ce qu'il croit vrai comme si son action pouvait influer sur le cours des événements. S’il est auteur, quel que soit le média, il ne publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela est en son pouvoir.

Abandonner sa souveraineté, ou bien ne pas renoncer

Mais le citoyen peut aussi être un représentant de l’Etat. Les gouvernements américains et anglais ont tenté il y a 10 ans de décrédibiliser l’idéal des Nations Unies, de déshonorer tous les gardiens de notre conscience collective par le mensonge, la tromperie et l’injustice[6] en les entraînant dans la guerre en Irak, pour en être empêché in-extremis par la volonté et la voix courageuse d’un Ministre de la France[7]. Ces mêmes gouvernements tentent aujourd’hui de tirer à nouveau les ficelles pour nous précipiter dans la guerre en Ukraine, bientôt contre la Russie, en employant sans vergogne les mêmes méthodes infâmes[8]. Ils veulent cependant utiliser l’OTAN pour court-circuiter le Conseil de Sécurité de l’ONU, ayant appris de leur échec de 2003. Le sommet de l’OTAN au pays de Galles les 4 et 5 Septembre réunissant les 28 Etats membres de l’alliance n’a pas d’autre vocation que de remplacer dans l'opinion publique une résolution du Conseil de Sécurité sur l’intervention prochaine en Ukraine, qui sera précédée par des arrivées de troupes américaines dans les bases de l’Est de l’UE[9], mais aussi en Italie, en Hollande ou en Allemagne. C’est bien une réoccupation de l’Europe par l’armée américaine, les Etats européens n’ayant en réalité quittés leur statut de colonie lors des 70 années écoulées que lors de brèves parenthèses comme celle du Gaullisme. Le TTIP et les amendes récentes sur les banques européennes ne sont à cet égard que des moyens de rétablir l’imposition directe des européens, après l’imposition indirecte qui se manifeste au travers des achats de bons du Trésor américain par tous les Etats.

Quel homme trouvera le courage de marcher dans les pas de Dominique de Villepin lors du prochain sommet, et refusera par sa voix que son pays suive le chemin fatal où les Etats-Unis et la Grande-Bretagne veulent mener l’alliance ? Qui, ne cédant pas à la précipitation, à l'incompréhension, à la suspicion ou à la peur, se rappellera les mots de Démocrite : le caractère d’un homme fait son destin ? Au sein de ce sommet, la lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les leurs doivent les conduire à donner la priorité au désarmement des adversaires en Ukraine, dans une paix qui ne serait pas un langage orwellien, en collaboration avec l’Union Eurasiatique.

Servir le mensonge, ou bien la liberté

En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre accepte d'être malhonnête. Or, et pour peu qu'on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s'assurer de l'authenticité d'une nouvelle. C'est à cela qu'un journaliste libre et un citoyen doit donner toute son attention. Car, même s'il ne peut dire tout ce qu'il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu'il ne pense pas ou qu'il croit faux. Et c'est ainsi qu'un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l'on sait la maintenir. Car elle prépare l'avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l'uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu'elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu'aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge.

C’est ce que nous attendons de tous les commentateurs à l’issue du prochain sommet de l’OTAN.

Chérir la vérité avec obstination

Nous en venons ainsi à l'ironie. On peut poser en principe qu'un esprit qui a le goût et les moyens d'imposer la contrainte est imperméable à l'ironie. On ne voit pas Kerry, Netanyahou, Fabius, Ashton, Iatseniouk, pour ne prendre que des exemples parmi d'autres, utiliser l'ironie socratique. Il reste donc que l'ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu'elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 2014, ne se fait pas trop d'illusions sur l'intelligence de ceux qui l'oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l'homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix dans les grandes rédactions. La même vérité dite plaisamment ne l'est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l'intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme Le Canard Enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l'on sait. Un journaliste libre, en 2014, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu'elles ont peu d'amants.

Cette attitude d'esprit brièvement définie, il est évident qu'elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d'obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d'expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement l'effet contraire à celui qu'on se propose. Mais il faut convenir qu'il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l'inintelligence agressive, l’ostracisme, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L'obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l'objectivité et de la tolérance.

Les esprits indépendants forment l'histoire

Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu'au sein de la servitude. Et après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque citoyen des pays occidentaux voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu'il croit vrai et juste, s'il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l'abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait déjà gagnée, au sens profond du mot.

Oui, c'est souvent à son corps défendant qu'un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut recommencer aujourd’hui la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc essayer une méthode qui serait la justice et la transparence, sous l’égide des Nations Unies puisque l’OTAN ne peut agir à sa place, pour conduire aux inspections, et au désarmement dans la paix. Mais la justice ne s'exprime que dans des cœurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits.

Même si finalement malgré tous nos efforts une nouvelle guerre a lieu, l’Europe étant une nouvelle fois détruite dans les années les plus terribles de sa longue histoire, il faut œuvrer dès aujourd’hui à sa future reconstruction. Cela commencera par insuffler l’esprit et le courage, et l’honneur. Les générations prochaines se souviendront alors de nos voix, retrouveront notre esprit et marcheront dans nos pas, bien après que l’OTAN aura été engloutie par l’histoire. Les peuples qui cultiveront ces valeurs ne cesseront pas de se tenir debout face à l'histoire et devant l’humanité.

Dr. Bruno Paul, d'après le manifeste d'Albert Camus.




[1] ‘La fabrication du consentement: de la propagande médiatique en démocratie’, Edward Herman et Noam Chomsky, 1988
[2] ‘Sur la télévision’, Pierre Bourdieu, 1996
[3] '1984', E.A. Blair, dit George Orwell, 1949
[3b] 'Attention Médias ! Mediamensonges du Golfe. Manuel antimanipulation', Michel Collon, 1992
[4] La politique profonde et l’Etat profond’, Conscience-Sociale.org, 03/2014
[6] a) « Discours de Colin Powell devant le Conseil de Sécurité de l'ONU », 05 février 2003 ; b) Dès 2004, les inspections américaines menées pendant la guerre s'accordent pour dire que l'Irak avait abandonné son programme nucléaire, chimique et biologique après 1991 (Iraq Survey Group Final Report, GlobalSecurity.org, 2004) ; c) « Colin Powell : comment la CIA m'a trompé », Nouvel Observateur, 03/2013
[8]Russia Invades Ukraine”, Strategic NATO Public Relations Stunt. Where are the Russian Tanks?, Global Research, 08/2014
[9] publié quelques heures après la parution de notre article: 'Europe de l'Est: l'Otan veut déployer cinq nouvelles bases', RiaNovosti, 31/08/2014

2013/09/03

Contribution au débat national sur la Syrie

Depuis le 21 Août, les évènements s'accélèrent autour de la crise Syrienne.

Il est fort possible que cette pression retombe après le G20 en fin de semaine, ce qui représenterait d'ailleurs un moyen diplomatique puissant pour bouleverser le programme de cette rencontre au plus haut niveau, la toute première du genre organisée hors d'un territoire controlé par un pays de l'OTAN ou dans la sphère d'influence immédiate des USA. Ce programme prévoyait de mettre enfin au centre de la table le problème le plus crucial de notre temps, celui de la modification en profondeur du système monétaire international (en commençant par de nouvelles modifications des droits de vote au FMI). La prochaine fenêtre d'opportunité après Moscou n'est pas encore connue, puisqu'en 2014 c'est l'Australie qui organisera la réunion. 

Cependant je pense nécessaire, en plus de demander un débat public sur les fameuses preuves qui accableraient nous dit-on le régime de Bachar el-Assad, de contribuer sans plus attendre à ce débat.

Il s'agit d'abord de replacer la raison, et non pas la raison d'Etat, au centre. Il s'agit de mériter notre liberté, en luttant chaque fois qu'elle pourrait être rognée. Comme nous l'a dit Thomas Jefferson: "Si une nation  civilisée s'attend à pouvoir être ignorante et libre à la fois, elle s'attend à quelque chose qui n'a jamais existé et qui n'existera jamais."

1/ Sur le constat d'utilisation des armes chimiques
Ce constat est en train d'être effectué par des inspecteurs de l'ONU. Leur rapport complet, incluant toutes les pièces médico-légales, devrait être immédiatement rendu public. Publier une synthèse est notoirement insuffisant, depuis que l'on sait que ces inspecteurs peuvent ceder à de très fortes pressions de la part de l'ONU, comme le relate l'ancien inspecteur de l'ONU Scott Ritter dans son livre.

2/ Sur les moyens nécessaires à l'emploi d'armes chimiques le 21 Août
Le récent document déclassifié par la France décrit en synthèse ces moyens utilisables par le gouvernement Syrien. Il est insuffisant. En particulier il ne décrit pas les moyens effectivement utilisés le 21 Août, en commencant par les vecteurs (quel est l'intérêt de mentionner les SCUDs si ceux-ci n'ont pas été utilisés?). Il mentionne également en conclusion:
"Nous estimons enfin que l’opposition syrienne n’a pas les capacités de conduire une opération d’une telle ampleur avec des agents chimiques. Aucun groupe appartenant à l'insurrection syrienne ne détient, à ce stade, la capacité de stocker et d'utiliser ces agents, a fortiori dans une proportion similaire à celle employée dans la nuit du 21 août 2013 à Damas. Ces groupes n’ont ni l’expérience ni le savoir-faire pour les mettre en œuvre, en particulier par des vecteurs tels que ceux utilisés lors de l’attaque du 21 août."
Et qu'en est-il d'estimer cette capacité pour des groupes n'appartenant ni à l'authentique insurrection syrienne, ni au gouvernement syrien, et dont on sait qu'ils sont actifs sur le territoire? Pourquoi limiter la recherche de coupables à deux parties seulement ?

3/ Sur le mobile d'utilisation des armes chimiques
Le même document se limite à nous dire:
"il est clair, à l’étude des points d’application de l’attaque, que nul autre que le régime ne pouvait s’en prendre ainsi à des positions stratégiques pour l’opposition."
Et qu'en est-il si l'opposition ou un autre groupe avaient décidés de sacrifier la population et ces positions pour justement provoquer des retorsions gravissimes sur le gouvernement syrien? Qu'en est-il si les armes conventionnelles avaient été bien utilisées par le gouvernement syrien, et les armes chimiques par d'autres groupes sur les mêmes cibles? En plus de simples présomptions ou de la présence d'un mobile, quelles preuves avons-nous que les armes chimiques ont bien été utilisées par ceux rapidement dénoncés des gouvernements français et américains, et par nul autre? 
Tous les groupes présents en Syrie ayant des mobiles suffisants pour utiliser ces armes, l'existence d'un mobile ne peut constituer une preuve, même indirecte.

4/ Sur la défense du droit international, la coalition et les moyens de réponse envisagés
Comment le gouvernement français actuel peut-il envisager un instant de participer à une coalition au côté des Etats-Unis, sachant les crimes commis par le gouvernement et les moyens armés de ce pays en particulier au Moyen-Orient et encore impunis, et sans les dénoncer avec autant de vigueur que ceux reprochés au gouvernement Syrien? Comment politiquement cette coalition ne serait-elle pas un aveu de partager les mêmes vues, sinon pire: les mêmes valeurs?

Comment peut-on imaginer vouloir défendre le droit international comme le déclare Mr Ayrault, et s'associer avec le pays qui le viole le plus systématiquement sans subir de retorsions, en particulier depuis le parjure de Colin Powell à l'ONU et l'attaque injustifiée de l'Irak, et l'emploi en Irak de bombes au phosphore et d'armes à l'uranium, qui sont aussi des armes interdites par le droit international? 

Pourquoi, si le gouvernement français est si sûr de la culpabilité du gouvernement syrien, ne pas monter une coalition avec la Russie par exemple pour apporter "une réponse proportionnée sans renverser le régime de Bachar el-Assad" comme l'a déclaré le gouvernement français? 

Comment imaginer qu'après la Libye et l'Iraq un bombardement par des missiles de croisière (ouvertement annoncé par les Etats-Unis, qui mentionnent même le chiffre de 200 missiles) constitue cette "réponse proportionnée sans renverser le régime de Bachar el-Assad"?

Comment imaginer "empécher le régime syrien de toute nouvelle utilisation d'armes chimiques" (je cite) sans détruire l'intégralité de son stock, et donc sans associer nécessairement des bombardements avec une occupation au sol de longue durée, comme en Irak? 

En tant que citoyen français, j'attends des réponses à toutes ces questions, et j'attends surtout de mon gouvernement qu'il en partage de solides, afin que notre nation prouve encore qu'elle est libre.