Car il faut rappeler aux hommes qu'aucun monde ne se bâtit en forçant les lois immuables et éternelles. Que rien de durable ne s'accomplit sans soumettre sa volonté au dessein des dieux.
"A l'origine, [la Tragédie] était une partie d'un rituel en l'honneur de Dyonisos. [...] Il faut transporter l'imagination dans l'époque. Un dieu n'est pas, en ces temps ensoleillés, un personnage isolé, invisible, caché dans un ciel vide. A l'inverse du Dieu moderne, la divinité antique ne révèle aucune vérité. Ce sont les habitants des cités qui vont à la rencontre de leurs dieux, logés par eux dans des temples dédiés. Ils y viennent pour méditer, réfléchir ou rêvasser en invoquant un nom divin, un divin hérité des anciens de la Cité, et qui guide leur imagination. [...] Se mettre en présence du divin, c'est se confronter aux difficultés ordinaires de la vie personnelle ou citadine, en présence de dieux spécialisés, lesquels seraient un peu comparables aux "moteurs de recherche" de l'époque moderne. Voilà un problème, une difficulté que personne ne comprend ni ne maîtrise ; ce qui est demandé au dieu, c'est : comment mieux comprendre ce qui échappe à la clairvoyance, et à propos de quoi les citoyens se disputent ? C'est donc [dans le temple] devant Dionysos, et lors des dionysies, que les plaintes relatives aux ennuis de la Cité se chantaient [lors de cérémonies], à l'aide de voix alternées entre un soliste et un chœur. [...] Des intervenants apparurent, deux, puis trois, qui se répondaient l'un l'autre, dans un style dialogué et dansant, avec des règles rythmiques et vocaliques très précises, codant les alternances de syllabes longues et brèves."
(J.-F. Gautier ; postface du roman graphique de E. L'Homme et R. Penet, Antigone, d'après l'oeuvre de Sophocle, Ed. Glénat, 2017)
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KRÉÔN.
Et ainsi, tu as osé violer ces lois ?
ANTIGONÈ.
C’est que Zeus ne les a point faites, ni la Justice qui siège auprès des Dieux souterrains. Et je n’ai pas cru que tes édits pussent l’emporter sur les lois non écrites et immuables des Dieux, puisque tu n’es qu’un mortel. Ce n’est point d’aujourd’hui, ni d’hier, qu’elles sont immuables ; mais elles sont éternellement puissantes, et nul ne sait depuis combien de temps elles sont nées. Je n’ai pas dû, par crainte des ordres d’un seul homme, mériter d’être châtiée par les Dieux.
(Sophocle, ~ 496 – 406 av. J.-C.; Antigonè, traduction de Leconte de Lisle)
L’homme traditionnel n’attache aucune valeur à la marche linéaire des événements historiques ; pour lui, seuls les événements de l’âge mythique présentent de la valeur. Pour donner de la valeur à sa propre vie, l’homme traditionnel crée des mythes et accomplit des rites. Attendu que l’essence du sacré se situe seulement dans l’âge mythique et dans la première apparition du sacré, toute apparition plus tardive équivaudra en fait à cette première apparition ; en re-narrant et en ré-accomplissant les événements mythiques, mythes et rites « réactualisent » ces événements.
Autrement dit, le comportement religieux non seulement remémore les événements sacrés, mais aussi en participe :
« en imitant les actes exemplaires d’un dieu ou d’un héros mythique, ou simplement en relatant leurs aventures, l’homme d’une société archaïque se détache d’un temps profane et réintègre par magie le grand temps, le temps sacré. » Ce phénomène est celui de l'« éternel retour » — qu'il importe de distinguer du concept philosophique d’éternel retour.
(à propos de M. Eliade, 1907 - 1986 ; Mythes, rêves et mystères, 1957, p. 23)
La notoire conception « cyclique » du temps présente dans la pensée ancienne est attribuée à la croyance dans l’éternel retour. Par exemple, les cérémonies du Nouvel An chez les Mésopotamiens, les anciens Égyptiens, et chez d’autres peuples proche-orientaux remettent en œuvre leurs mythes cosmogoniques. Ainsi, par la logique de l’éternel retour, chaque cérémonie de nouvel an était-il, aux yeux de ces peuples, le commencement du monde. Ces peuples ressentaient, à des intervalles réguliers, le besoin de revenir aux commencements, transformant le temps en un mouvement circulaire.La soif de persister dans l’âge mythique a pour corollaire une « terreur de l’histoire » : l’homme traditionnel désire se soustraire à l'enchaînement linéaire des événements qu’il considère comme dénué de toute valeur inhérente ou de sacralité. L’abandon de la pensée mythique et la pleine acceptation du temps linéaire, historique, avec sa « terreur », est l’une des raisons de l’anxiété de l’homme moderne. Les sociétés traditionnelles, se refusant à une entière reconnaissance du temps historique, réussissent dans une certaine mesure à échapper à cette angoisse.(à propos de M. Eliade, 1907 - 1986 ; Le Mythe de l’éternel retour, 1949, chap. 4 ; Mythes, rêves et mystères, 1957, p. 231–245)
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