2017/03/02

L'affaire Fillon, une élection à l'américaine

dernière MAJ: 15/03/2017
Bien que je me sois prononcé en faveur d'un autre candidat en expliquant le cœur de la question, je ne peux laisser passer la tempête médiatique de "Fillon bashing" sans réagir.

En effet, au-delà de M. Fillon, c'est la liberté d'effectuer un choix en toute conscience qui est étouffée. C'est une atteinte mortelle portée à notre société. Je ne l'accepte pas. La question est d'autant plus grave qu'elle est largement ignorée par mes concitoyens.  

A tous les partisans du lynchage de M. Fillon je demande de se poser au minimum les questions suivantes, et de trouver le courage d'en chercher les réponses :
  • de quels budgets disposent un député ?
    • il dispose de plusieurs budgets dont l'IRFM, dont on note qu'il ne peut légalement faire l'objet d'aucun contrôle, n'est pas imposable et peut légalement servir à couvrir tout type de dépense (sauf les frais de campagne électorale)
    • ainsi que d'un autre crédit mensuel pour la rémunération de collaborateurs qui sert pour les assistants parlementaires.  
  • quels sont très précisément les faits reprochés à M. Fillon ? A quelle époque remontent-ils ? 
    • premiers éléments : Salaires nets mensuels moyens perçus au titre de son emploi comme collaboratrice parlementaire par Pénélope Fillon entre 1986 et 2013
    • le jour même de la publication du journal, une enquête préliminaire est ouverte visant trois infractions: détournement de fonds publics, abus de biens sociaux (et recel de ces délits). Cette célérité est-elle habituelle et sinon quelle en est la raison ?
    • l'emploi de sa femme peut-il cacher un enrichissement personnel : non, car "Dans le cas de François Fillon, je vois mal pourquoi il se serait donné cette peine. A l’époque des faits, la non-consommation de l’enveloppe collaborateurs revenait de droit au député employeur. Dès lors si l’idée était d’augmenter son revenu, nul besoin de passer par sa femme : il suffisait de n’employer personne ! C’était tout aussi légal, et encore plus simple – il économisait au passage le coût des cotisations sociales prélevées sur la même enveloppe." (source1, source2
    • à propos de l'IRFM (discuté Article 32bis du Réglement, et qui n'est pas le crédit collaborateurs, pour lequel le Réglement est muet), voici le témoignage d'un député: "Le service administratif m'a dit : 'Il vous faut un deuxième compte pour y recevoir l'IRFM.' C'est la seule instruction qu'on m'a donnée. Il n'y a même pas un b.a.-ba de son utilisation pour les nouveaux députés". L'Assemblée ne demande, en effet, aucun justificatif et ne contrôle pas comment est utilisé cet argent. (source) Dans l'hypothèse où elle n'est pas utilisée, l'IRFM doit être restituée à la fin de la législature. Mais, dans la pratique, "il n'y a pas d'encadrement très strict", reconnaît le déontologue de l'Assemblée Ferdinand Mélin-Soucramanien. Une façon de dire que rien n'oblige les députés à rendre le reliquat. En 2012, un total de 500 000 euros avaient tout de même été restitués. (source)
    • La même source précise que "Tout le monde sait qu’une partie de l’IRFM est utilisée à des fins totalement privées par certains collègues", rappelle Charles de Courson. En 2012, Mediapart et Marianne révèlent que le député socialiste de l'Ardèche Pascal Terrasse a payé, avec cette enveloppe, des voyages privés en Espagne, au Sénégal et en Egypte. D'autres élus sont critiqués parce qu'ils en ont profité pour se constituer un patrimoine immobilier. Dans "Complément d'enquête", on découvre, par exemple, que l'ancienne permanence de Muriel Marland-Militello rapporte entre 1 300 et 1 400 euros de loyer à l'ex-députée UMP des Alpes-Maritimes.
      De manière générale, ce système enrichit les députés. En janvier 2012, la Commission pour la transparence financière de la vie politique - l'ancêtre de l'actuelle Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique -, avait constaté que, "s'agissant des parlementaires en fin de mandat, le montant de l'IRFM contribue, pour la durée d'un mandat, à un enrichissement oscillant entre 1 400 euros et 200 000 euros
      ".
    • Le rapport 2013 du déontologue de l'Assemblée (source, pp. 65-72) donne des informations plus précises sur le salaire des assistants parlementaires. Ces informations n'ont jamais été utilisées par les journalistes à ce jour. On remarque par exemple que 68 CDI d'assistant comportent une rémunération mensuelle brute de 6067 € à 9504 € pour un temps plein. Pp.72 on note que la nouvelle réglementation prise à l’automne 2012 interdit de reverser le crédit collaborateur sur l’IRFM. Ce qui n'était donc pas interdit avant!
    • le salaire d'un assistant parlementaire est-il de l'argent public : non (source ; voir aussi le Réglement 2015 de l'Assemblée, Article 18, pp.21) 
    • un emploi d'assistant parlementaire peut-il faire l'objet d'une poursuite pour détournement de fonds publics (article 432-15 du Code pénal) : non car c'est un emploi de droit privé (source). L'employeur est le député qui agit ici en tant qu'employeur privé
    • un emploi d'assistant parlementaire peut-il faire l'objet d'un abus de biens sociaux : un article des Echos de 1999 estime que non. L'article 432-10 du code Pénal modifié par la LOI n°2013-1117 du 6 décembre 2013 - art. 6 ne s'applique que pour les sommes reçues par l'agent public lui-même. Or il s'agit pour notre affaire d'une somme qui est versée au titre du droit privé par un employeur à sa femme, employée. L'article L. 242-6, 3° du Code de commerce pour les SA ne peut éventuellement s'appliquer que dans le cas de l'autre emploi de Pénélope Fillon par le dirigeant de la Revue des 2 Mondes, mais cela ne touche en rien son emploi d'assistante parlementaire, ni ne touche M. Fillon. 
    • l'article 432-11 traite de la corruption passive et du trafic d'influence commis par des personnes exerçant une fonction publique, c'est aussi un chef cité par le PNF. Il semblerait que ce soit la légion d'honneur attribuée qui soit ici suspectée. Le propriétaire de la "Revue des deux mondes" a été élevé en 2010 au rang de "Grand Croix" de la Légion d’Honneur sur rapport de François Fillon, alors Premier ministre, deux ans avant d’embaucher son épouse (source). Laissons l'enquête essayer de prouver que M. Fillon est bien coupable de cette influence... 
    • l'article 432-12 et 13 de la prise illégale d'intérêts, le 432-14 des marchés publics ; ce ne sont pas les chefs cités par le PNF
    • l'article 432-15 traite de la soustraction et du détournement de biens. Les questions à poser ici  sont:
      • un député est-il une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ? La jurisprudence à ce propos n'est pas claire (source, partie 1), mais plaçons nous dans le cas positif.
      • M. Fillon a-t-il détruit, détourné ou soustrait des fonds publics ou privés, qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission ? non, puisque ces fonds lui ont été remis pour qu'il fasse son travail de député, ce qu'il a effectivement fait.
      • sa femme, en tant que subordonnée, a-t-elle détruit, détourné ou soustrait des fonds publics ou privés ? non, pour la même raison: ces fonds ont été remis pour que M. Fillon fasse son travail de député, ce qu'il a effectivement fait.
      • quant à savoir si M. Fillon ou sa femme ont tenté de réaliser ces faits, ça reste à démontrer par la justice si il y a une accusation qui est formulée et un juge qui est saisi (pour ma part je pense que cette tentative serait impossible à démontrer, voir 2 points en dessous sur le rôle du juge). 
    • l'extrait vidéo de l'interview de sa femme au Telegraph est-il un témoignage ayant une valeur juridique: non en aucun cas car un journaliste n'est pas un magistrat ou un officier. La vidéo intégrale n'est plus disponible, mais l'article l'est. On comprend que ses réponses sont d'une grande pudeur toute galloise. Le sujet de l'interview c'est le contraste avec Cécilia Sarkozy. Tout extrait doit obligatoirement s'apprécier dans ce contexte.
  • les faits (et pas leurs interprétations) que les média reprochent à M. Fillon étaient-ils légaux à l'époque où ils se sont produits ? 
    • premier élément: le statut des assistants parlementaires 
    • "il convient de rappeler que le juge financier, pas plus que le juge pénal, n'a compétence pour contrôler l'opportunité des missions confiées au collaborateur de cabinet. L'intervention du juge doit se limiter à un strict contrôle de la légalité." (source)
  • le cas échéant, quel est le délai de prescription ? Une nouvelle loi est-elle en chantier pour faire évoluer ce délai de prescription ?
    • premier élément : l’action pénale contre un emploi supposé fictif est prescrite si un délai de plus de trois ans à compter de la commission des faits est constaté (art. 8 du Code de procédure pénale). source
    • voir également l'émission radio avec Finkielkraut du 6/03 qui reprend la logique de cet article en apportant des informations supplémentaires
  • combien de parlementaires français ont employé un membre de leur famille comme assistant depuis l'époque des faits reprochés à M. Fillon ? De quels bords politiques sont-ils ? Pourquoi ne parle t'on pas d'eux ? Pourquoi ne font-ils pas l'objet d'une enquête au même titre que M. Fillon ?
    • premier élément: 177 députés de tous les partis représentés au Parlement ont employé leur famille comme assistant parlementaire en 2014 (Fillon a arrêté cette pratique en 2013). Voir la liste complète publiée par Médiapart. Début de la liste:

  • sur le montant du salaire d'un assistant parlementaire: quel est le montant du salaire des journalistes qui propagent le sentiment qu'un tel montant serait indécent ? 
  • si vous pensez qu'il faut obligatoirement prouver un travail pour recevoir un salaire, quelle est votre position sur le revenu universel proposé par M. Hamon pour des centaines de milliers de personnes ? 
  • les délais de saisie des diverses instances judiciaires, de l'ouverture de l'enquête préliminaire, de l'instruction sont-ils habituels pour les juridictions concernées ? Si non, pourquoi ?
  • pourquoi cette instruction ou mise en examen ne pouvait pas attendre la fin de l'élection ? Pourquoi personne n'en donne officiellement la raison ? En définitive, qui est attaqué : M. Fillon ou bien l'élection présidentielle, c'est-à-dire le libre choix du peuple ?
  • le secret de l'enquête et de l'instruction est-il respecté ? Si non, pourquoi ne l'est-il pas et pourquoi le ministère qui doit le garantir ne s'en émeut pas ? 
  • le principe de la présomption d’innocence est-il respecté ? Si non, par qui et pourquoi ?
  • M. Fillon est-il un justiciable comme les autres ? Si non, qu'est-ce qui est attaqué au travers de M. Fillon ? 
  • la couverture médiatique de l'affaire est-elle équilibrée, à la fois à charge et à décharge ? Si non, pourquoi ?
  • quelle est la (dis)proportion de la critique apportée sur le fond du programme de M. Fillon, plutôt que sur cette affaire ? Pourquoi cette disproportion ? 
  • Dernière question: si cette instruction se termine par un non-lieu, comme il est extrêmement probable, qui aura été la première victime du Fillon bashing : M. Fillon ou bien l'élection présidentielle, c'est-à-dire la libre décision du peuple ? 
Je demande aux journalistes de faire le travail que les citoyens attendent d'eux, et aux citoyens de faire leur devoir.

En matière de médias et d'élection, je reconnais que ce sont les américains qui en parlent le mieux, comme la journaliste vedette Mika Brzezinski sur MSNBC : "Our Job" Is To "Control Exactly What People Think".


C'est la fabrication du consentement décrite par Herman et Chomsky en 1988, dont les concepts ont évolué depuis pour donner la doctrine de la guerre réseaucentrique. C'est le simulacre de liberté montré au peuple méprisé par ses élites. Une illusion de démocratie. Et comme à chaque fois, les partisans de cette dictature de la pensée s'auto-justifient en prétendant agir dans l'intérêt du peuple.



2017/01/02

Paul Valéry, René Guénon, Nicolas Berdiaev et la crise de l'Occident

Dans le deuxième article de notre série sur l'Esprit européen, nous écrivions:

Dans sa lettre célèbre La Crise de L'Esprit de 1919, Paul Valéry est le premier à notre connaissance à parler de l’Esprit européen d’une part, et d’autre part de la « physique intellectuelle et sociale » qui pourrait décrire l’évolution de cet Esprit. Il tire de cette intuition physique une très étonnante prédiction pour l’époque, qui pourrait se généraliser sous la forme d’une conjecture :
« Je prétendais que l’inégalité si longtemps observée au bénéfice de l’Europe devait par ses propres effets se changer progressivement en inégalité de sens contraire. C’est là ce que je désignais sous le nom ambitieux de théorème fondamental. »
Valéry pose la question fondamentale du devenir de l’Europe. Il la pose au sortir de la Grande Guerre. 
Sa deuxième lettre évoque le repositionnement de l’Europe vis-à-vis de la Grande Asie, face à l’inéluctable retour de balancier de ce que l’on appelle aujourd’hui en géopolitique la puissance, mais –insistons bien sur ce point– que Valéry argumente comme étant la résultante du développement de l’Esprit des peuples. 

Michel Vâlsan nous proposait une synthèse de cette perspective dans son article "La fonction de René Guénon et le sort de l'Occident", paru dans le N° spécial des Etudes Traditionnelles consacré à René Guénon (1951), et qui a été publié à nouveau dans le N° spécial René Guénon de la revue Science Sacrée (2003). Je reprends les extraits qui sont en résonance avec Valéry (1) :
Dès la conclusion de son premier livre, paru en 1921, l'Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, René Guénon avait formulé trois hypothèses principales quant au sort de l'Occident.  
La première, "la plus défavorable est celle où rien ne viendrait remplacer cette civilisation, et où, celle-ci disparaissant, l'Occident, livré d'ailleurs à lui-même, se trouverait plongé dans la pire barbarie." (Pp. 307-308) 
La seconde serait celle où "les représentants d'autres civilisations, c'est-à-dire les peuples orientaux, pour sauver le monde occidental de cette déchéance irrémédiable, se l'assimileraient de gré ou de force, à supposer que la chose fût possible, et que d'ailleurs l'Orient, y consentît, dans sa totalité ou dans quelqu'une de ses parties composantes.  
Nous espérons que nul ne sera assez aveuglé par les préjugés occidentaux pour ne pas reconnaître combien cette hypothèse serait préférable à la précédente : il y aurait assurément, dans de telles circonstances, une période transitoire occupée par des révolutions ethniques fort pénibles, dont il est difficile de se faire une idée, mais le résultat final serait de nature à compenser les dommages causés par une semblable catastrophe ; seulement, l'Occident devrait renoncer à ses caractéristiques propres et se trouverait absorbé purement et simplement.  
C'est pourquoi, il convient d'envisager un troisième cas comme bien plus favorable au point de vue de l'ensemble de l'humanité terrestre, puisque, s'il venait à se réaliser, l'effet en serait de faire disparaître l'anomalie occidentale, non pas par suppression comme dans la première hypothèse, mais, comme dans la seconde, par retour à l'intellectualité vraie et normale ; mais ce retour, au lieu d'être imposé et contraint, ou tout au plus accepté et subi du dehors, serait effectué alors volontairement et comme spontanément."  
Pour que ce troisième cas devienne une possibilité, et "pour en venir à l'application et la réaliser dans toute son ampleur, il faut pouvoir s'appuyer sur une organisation fortement constituée, ce qui ne veut pas dire que des résultats partiels, déjà appréciables, ne puissent être obtenus avant qu'on en soit arrivé à ce point.  
Si défectueux et si incomplets que soient les moyens dont on dispose, il faut pourtant commencer par les mettre en oeuvre tels quels, sans quoi l'on ne parviendra jamais à en acquérir de plus parfaits ; et nous ajouterons que la moindre chose accomplie en conformité harmonique avec l'ordre des principes porte virtuellement en soi des possibilités dont l'expansion est capable de déterminer les plus prodigieuses conséquences, et cela dans tous les domaines, à mesure que ses répercussions s'y étendent selon leur répartition hiérarchique et par voie de progression indéfinie." (Orient et Occident, Pp. 184-185)
La France peut jouer un rôle clé dans cette recomposition fondamentale des rapports des pays européens avec le Moyen Orient et l'Asie, dès les prochaines élections présidentielles. La participation active aux nouvelles Routes de la Soie seraient une concrétisation de ce sursaut spirituel si nécessaire. C'est le cœur du débat.


(1) : On pourra en trouver une autre continuité chez Edmund Husserl, La crise de l'humanité européenne et la philosophie, trad. fr. (1977). Ce texte remanie une conférence donnée à Vienne le 7 mai 1935. Nathalie Depraz notait en 2012 : "Husserl date de la deuxième moitié du XIXe siècle le devenir positiviste explicite des sciences et vise ici sans doute les scientifiques héritiers de la philosophie positive d’Auguste Comte. [L'] auteur du Cours de Philosophie positive (1830-1842), fonde une philosophie en rupture avec toute métaphysique. Il promeut en effet une attitude fondée exclusivement sur l’expérience et mue par une confiance sans bornes envers la science. [Husserl écrit qu'] ayant laissé tomber les questions que l’on avait incluses dans le concept de métaphysique, la question du sens de l’Histoire, de la raison, la question de Dieu comme source téléologique de toute raison dans le monde, la question du sens du monde ou de l’immortalité, la « crise des sciences européennes » est en fait tout entière le symptôme d’une crise plus profonde encore, et qui est celle de la philosophie elle-même." C'est-à-dire une crise de l'Esprit, Husserl refaisant exactement le constat à l'origine de l'œuvre de Guénon.

Le philosophe et historien des sciences Gilles Gaston Granger, dans la conclusion de Sciences et Réalité (2000), évoque un pont nécessaire vers la métaphysique pour sortir de la crise des sciences :
"Nous ne prétendons pas que la réalité des objets des sciences soit supérieure à tout autre réalité, mais seulement qu'il soit possible, avec plus ou moins de succès, d'en appliquer les critères pour constituer et reconnaître en quelque sorte un substrat aux autres réalités, sans pour autant vouloir que ce substrat s'identifie aux réalités mêmes."
De son côté, riche d'un parcours de philosophie religieuse et politique, le franco-russe Nicolas Berdiaev a bien auparavant publié La crise spirituelle de l'Intelligentzia (1910), Le destin de la Russie (1918), La fin de la Renaissance (1921), Le sens de l'histoire (1923), Le nouveau Moyen Age (1924), De la Destination de l'homme (1931), Le Destin de l'Homme dans le monde actuel (1934), puis Esprit et Réalité (1937). Ces œuvres, issues d'une profonde réflexion sur la période révolutionnaire russe au prisme de la tradition philosophique de ce peuple (Khomiakov, Soloviev, Dostoïevski en particulier) nous apparaissent comme les plus pertinentes et les plus complémentaires avec celles de Guénon, son contemporain, pour comprendre ce que nous devons retrouver.
Liaison subtile et croisement entre Guénon issu d'un Occident ayant perdu ses repères et qui partira vivre au Proche-Orient (au Caire) en 1930, et Berdiaev issu d'un Orient partiellement occidentalisé (mais qui n'a jamais perdu ses traditions), réfugié politique à partir de 1922 en France, apportant et développant cette initiation dont se nourrira Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit. Entre 1948 et 1951, tous les trois nous ont quitté. Il nous reste leurs enseignements.



________________________
Liens vers les autres articles du thème l'Esprit Européen :
Partie 1

2016/10/08

Le cœur du débat de l’élection présidentielle

La décomposition de notre pays vous indigne, l'impunité de nos dirigeants vous choque, le manque de vision vous inquiète, la remise en question de l’avenir de vos enfants vous trouble ?

Il y a de quoi. La France, avec tout l’Occident, est confrontée à une crise de civilisation.[1]


Identifier la cause visible de cette crise en France


Depuis plus de 40 ans, les dirigeants de notre pays en ont abandonné le gouvernail. Nous avons perdu notre souveraineté monétaire dans un monde livré à la dictature du court terme financier. Nous nous sommes donc soumis à un système criminogène qui enrichit les plus riches, matraque les classes moyennes et anéantit les plus pauvres. [2]

L’Histoire montre que le système des banques centrales et le dévoiement de la finance internationale a grandi aux dépens des peuples, y compris dans leurs propres pays. C’est un parasitisme. [8]
L’Histoire montre aussi que le nœud historique de ce parasitisme se situe à la City de Londres, qui a ensuite développé une souche importante à Wall Street. [9]


Les conditions de la volonté souveraine


Dans ces conditions, on comprend que la première priorité que l’on doit attendre d’une élection n’est pas d’abord l’expression d’une volonté (fusse-t’elle celle du Président) mais bien celle des conditions pour pouvoir exprimer cette volonté.

Ces conditions sont pour nous les suivantes, puisque la volonté authentique ne peut pas naître sans indépendance dans les actes et dans les pensées :
  • La France doit retrouver l’indépendance de sa politique étrangère. Elle doit donc commencer par sortir de l’OTAN. Aucun allié à trahir, juste une lettre à envoyer comme le fit le général de Gaulle pour annoncer que 12 mois plus tard la France est dans les faits complètement détachée du commandement intégré de l’OTAN ;
  • Les dirigeants de la BCE nous ont trahi. La déflation ronge notre société. [6] La France doit retrouver l’indépendance de sa politique monétaire, pour pouvoir mieux accompagner la nouvelle politique économique.
Voilà sur quel esprit et quelles perspectives chaque parti devrait se prononcer explicitement avant les élections. Sans l’établissement de ce socle préalable qui dépasse tous les clivages traditionnels droite-gauche, tout débat sur la construction de la France et de l’Europe, et sur la croissance reste une vaine illusion.
Mettre ces questions au cœur du débat des élections permet aux électeurs d’effectuer un premier tri électoral et d’amener la décision du « pour qui voter » sur les bonnes bases.

Combler le vide politique, anticiper le second tour de la présidentielle


Dans les démocraties occidentales, la liberté des citoyens c’est surtout celle de se faire duper, et celle des partis d’être instrumentalisé par des procédés dont l’origine leur échappe dans les profondeurs de l’histoire. [3]

C'est le moment de se tourner vers les hommes et les femmes qui ont fait le bon diagnostic et, surtout, qui ont croisé le fer contre ce système inique et se sont forgés le caractère qu'exige la tragédie que nous vivons. Car jamais un projet positif ne pourra sortir de l'intérieur de ce système qui nous opprime.

Les candidats à l’élection présidentielle qui ne sont pas prêts à changer de cap, à retrouver notre souveraineté, deviennent les collaborateurs du désastre. Ils ne peuvent et ne veulent pas voir que, par-delà les Etats-Unis et l’Europe, le monde se détache de l’idéologie du profit immédiat, de la géopolitique impériale et du pillage des ressources.[2]

Voyez comme la profession de foi de Jacques Cheminade pour l’élection présidentielle de 1995 reste encore aujourd’hui d’une pertinence absolument intacte :

Cette élection présidentielle se déroule à un moment tragique de notre histoire, face à un cataclysme financier mondial. Ce devrait être l’occasion de redéfinir le rôle de la France, faisant d’elle une base de grands projets pour rebâtir le monde.
Je suis candidat faute de voir ailleurs cette volonté.
Les autres mentent ou se mentent à eux-mêmes. Je pars au contraire de cette réalité fondamentale : un cancer spéculatif prolifère dans le monde et y détruit le corps de l’économie. Nous sommes au cœur d’une dépression.
La question à se poser – celle que les autres ne posent pas – est la suivante : pouvons-nous mettre en place un système économique viable qui empêchera que se brise la trame sociale, que se désintègre notre système de gouvernement représentatif et qu’un monde en contraction aille à la guerre ?
Ma réponse est oui. À condition que nous fassions trois choses : identifier l’ennemi, nous battre pour une nouvelle donne et faire se lever une résistance. [...]
Au débat sur la « gestion » doit se substituer à nouveau dans notre pays un débat d’idées, un vrai débat sur les fins de la politique. Pour cela, il faut que nous soyons honnêtes avec nous-mêmes et arrêtions de tolérer l’inadmissible, à la fois dans notre politique étrangère et notre politique intérieure. [10]

Et pour ceux qui préfèrent l'abstention, ils choisissent donc de sortir du système politique actuel. Ils devraient aller au bout de leur logique et acheter avec leurs euros des pièces d'or, ou adhérer à un système de monnaie locale (SEL). [3]

Se battre pour une nouvelle donne : les 2 piliers pour vaincre l’occupation financière


1) la réforme du système monétaire international 

Jacques Cheminade prône depuis la fin des années 70 une réforme du système monétaire et financier international. Nous avons nous-mêmes anticipé depuis 2011 cette réforme poussée par les BRICS. [14] Elle a enfin commencé avec la mise en place de l'AIIB, de la NDB, du CRA puis en décembre 2015 avec l'entrée en vigueur de la réforme des quotes-parts au FMI et l’introduction finalisée du Yuan dans le panier du DTS. Ce ne sont que les premiers pas.

Pour ceux qui voit le plus long terme, il est important de comprendre que vouloir sortir de la crise écologique globale [7] va de pair avec une obligatoire refonte du système monétaire international puisque c’est lui la clé de voûte des échanges entre blocs économiques. [4]

Comme mesure d'urgence Jacques Cheminade prône depuis 2000 un Glass-Steagall Act global. [17] Cette séparation des activités de banques consisterait en France à un retour à la loi du 2 décembre 1945 relative à la nationalisation de la Banque de France et des grandes banques et à l’organisation du crédit. Cette proposition est depuis 2008 reprise par plusieurs experts et politiques.


2) les nouvelles Routes de la Soie

Depuis 1997, les cercles de réflexion autour de Jacques Cheminade ont réussi à pousser au premier plan international l’ambition d’intégration du continent eurasiatique qui remonte à la fin du XVIIème siècle. [15] Aujourd’hui le développement concret de ces routes représentent déjà en Asie un réel projet de civilisation. Leurs extensions vers le Sud-est Asiatique, le Moyen-Orient et l’Europe de l’Ouest terrifient Washington. L’Afrique et les Amériques sont également interconnectés dans ce gigantesque projet mondial de développement gagnant-gagnant.


Éveiller le potentiel de chacun


Jacques Cheminade, avec le parti Solidarité et Progrès, a été le premier en France à porter cette stratégie duale contre l’occupation financière sur la ligne de front politique. Par dessus tout, en posant les questions fondamentales il a été et il reste une source d'inspiration. Voici ce qu’il écrivait pour les campagnes présidentielles de 2007 et 2012 :

Je porte mon projet pour qu’il suscite des ardeurs nouvelles et non en présumant qu’il puisse être infligé et suivi à la lettre. [13] Dans une élection autrement livrée aux mauvaises habitudes de ces quarante dernières années, je m’efforcerai de devenir éclaireur, inspirateur et catalyseur, convaincu qu’il se trouve dans notre pays un potentiel d’exception que ma tâche est d’éveiller. [12]

La France doit retrouver sa dimension mondiale pour jouer un rôle de catalyseur dans ce projet. Autrement, nous ne resterons que le pion d’une Union de faux-monnayeurs, vouée à sa propre destruction. [...]
Les conditions d’un conflit mondial sont en train d’être réunies à partir du Proche et Moyen-Orient dans un monde incapable de se donner les moyens d’un futur. Nous sommes à la croisée des chemins. Voici venus les temps des hommes et des femmes de caractère et de fraternité. C’est notre nature humaine de pouvoir le devenir tous dans la tempête, pourvu que nous regardions la réalité en face. [11]


C’est pourquoi je soutiens la campagne de Jacques Cheminade à l’élection présidentielle de 2017


Comme je l’écrivais l’année dernière : [16]

C'est dans cette libération des nouvelles forces politiques en Europe, enfin affranchis de la tutelle américaine, que sont présents plusieurs scénarios de recomposition dans les années à venir.
  • soit les peuples européens gagnent une indépendance exacerbée et restent divisés : ils se condamnent alors à n'être que de simples satellites lointains des géants asiatiques, sans influence extérieure ; 
  • soit la force issue de leur nouvelle indépendance alliée à une compréhension du sens de l'Histoire les conduit à adhérer à l'Union Eurasiatique, garante de la stabilité sur le continent ; 
  • soit cette indépendance acquise ne sera qu'une mascarade de plus, dans laquelle le maître derrière le rideau sera encore la City -mais cette fois sans l'alliance avec Wall Street- et où la plupart des dirigeants partageront la même chemise brune, pour afficher des velléités de plus en plus agressives vis à vis de l'Union Eurasiatique, rebouclant en pure perte sur la tragédie du XXème siècle.
_____________________

[1] j’ai rédigé une série d’articles sur ce sujet à partir de 2013. Je vous recommande de commencer par celui-ci : http://conscience-sociale.blogspot.fr/2014/02/la-conjecture-de-valery-de-paul-paul.html

[2] éditorial de Jacques Cheminade du 14/09/2016








[10] Profession de foi de Jacques Cheminade pour l’élection présidentielle de 1995. Texte intégral republié dans réf.11, Pp. 355.

[11] Jacques Cheminade, Un monde sans la City ni Wall Street. Un grand chantier pour demain, Ed. l’Harmattan, mars 2012, Pp. 10.


[13] Les optimisations que je voie dans le programme de Jacques Cheminade sont les suivantes. Le développement d'une filière nucléaire au thorium doit être mis en balance avec celui autres filières énergétiques innovantes. [réfs. 4, 5] Le retour au système de crédit des années 60 et à l'ECU ne réprésente qu'une étape vers un système monétaire complet et stable tel que proposé par la New Austrian School of Economics :