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2013/03/26

L’inéluctable contre-révolution du peuple américain


Voici la version longue de mon article publié ce mois-ci en version courte dans le Magazine d'Anticipation Politique numéro 8, qui comme chaque numéro est traduit en plusieurs langues: français, allemand, espagnol, anglais.

Cette version longue de l'article n'est diffusée ici pour l'instant qu'en français. Elle constitue la partie 2 de cette série d'articles sur les Etats-Unis aux XXème et XXIème siècles. La partie 1 est ici.
Mise à jour 05/2014: la Partie 3 est publiée.



L’inéluctable contre-révolution du peuple américain


Chaque génération a besoin de sa nouvelle révolution
(T. Jefferson, 1743 – 1826) 
Quand l'extraordinaire devient quotidien, c'est qu'il y a révolution
(M. Leiris, 1901 – 1990) 

La République étasunienne a connu des transformations extraordinaires et en continu, en particulier depuis septembre 2001. Nous devons attribuer à ces changements le nom de révolution, ou de coup d’État permanent, qui a progressivement ramené les institutions de la République étasunienne au rang de simples simulacres. Cette révolution est une Grande Régression, c’est-à-dire un mouvement qui ne s’inversera qu’avec la victoire d’une contre-révolution menée par le peuple américain, dont les premiers signes d’existence se font jour. Au terme de cette longue lutte, aucune des institutions fédérales actuelles n’y survivra sans être au mieux profondément transformée.[1,2]

Une partition à 4 mains

La crise systémique globale se traduit avant tout par une crise du statu quo, lequel caractérise une époque où les changements bien que présents et profonds sont peu nombreux et très peu perceptibles à la surface ou dans les médias grand public. La crise agit donc comme un dévoilement, conjointement à une accélération de la dynamique de changement, tout en conservant les tendances lourdes. C’est pourquoi il est si déterminant d’examiner les évolutions de la République américaine sous un angle dynamique, au lieu du constat statique habituellement limité à une photographie instantanée de la situation. Nous identifions quatre forces principales, souvent antagonistes, à l’intensité variable dans le temps et dont la résultante à chaque instant explique la situation dans le passé, dans l’actualité et à venir :
  • la dynamique de la morale, qui produit des idéologies au sein de la société ;
  • la dynamique sociale des échanges entre individus, produite par l’idéologie dominante (ce qui inclut entre autres tous les éléments de l’analyse économique classique) ;
  • la dynamique extérieure, celle mise en œuvre par les autres pays au travers des relations (commerciales, financières, monétaires, militaires, politiques etc.) entre gouvernements et organisations; la politique étrangère vise à influencer ces relations pour obtenir des actions favorables au pays ;
  • la dynamique politique interne, produite par les rapports entre les citoyens, les organisations et le gouvernement fédéral, et dont une partie essentielle est la justice.

Une pensée inadaptée au XXIème siècle

La dynamique de la morale est celle qui évolue le moins rapidement. La production et surtout la diffusion d’idéologie dans la société exigent des décennies. Le néolibéralisme est dominant, et l’écologie politique encore balbutiante aux US. Dans le supramonde [56] au pouvoir, l’idéologie d’un exécutif fort a oblitéré toute pensée alternative.

Les forces progressistes sont désorganisées [3] et dans le vacarme des médias dominants sont réduites à n’élaborer que des stratégies de résistance individuelle au mieux, sinon d’alertes ou de réveil des esprits confortablement engourdis, mais pas des organisations politiques pour propager des idées de justice sociale fondamentalement neuves [4]. La religion n’a qu’un rôle conservateur, à la différence de ce qui s’est produit en Afrique du Sud. Les citoyens en sont réduits à accumuler stock et munitions en attendant le pire, et c’est pour cela que c’est ce qui se produira.

Pour les inégalités, veuillez vous adresser à l’étage supérieur

La dynamique sociale aux U.S. fait l’objet de très nombreux bilans [5] et mesures depuis le début de la crise systémique. Nous ne donnerons ici que trois illustrations, la première sur l’évolution sur un siècle des tranches de revenus aux U.S. ; la suivante sur le programme d’aide alimentaire aux US depuis 1976; et la dernière qui montre la différence d’évolution des plus gros revenus entre les U.S. , UK, France et Canada :




 L’idéologie de la société U.S. est exclusivement orientée vers le principe de liberté. Comme attendu, cette conception tronquée a conduit à sacrifier au bout du compte l’égalité des individus, et à autoriser les crimes au nom de la liberté.[6]

La vague de l’expansionnisme reflue

Concernant la dynamique extérieure, la crise systémique globale a aussi révélée que les États-Unis étaient parvenus au terminus de leur phase d’expansionnisme. Leurs alliés ou vassaux traditionnels se sont au fil des années retournés contre eux (Iran, Philippines, Iraq, Chili, Pakistan…), privilégient d’autres relations (Brésil, Afrique du Sud, Inde et maintenant la Chine et l’Australie) [7], prennent des velléités de souveraineté (Japon et sa politique monétaire), ou sont sur un profond déclin (UK [8]). Un nouvel ordre monétaire international est en préparation active pour supprimer le rôle pivot et exorbitant du dollar,[9] et les U.S. n’ont plus aucun moyen de s’y opposer. S’ils choisissent de ne pas y participer, ils se mettront eux-mêmes hors du système mondial comme l’URSS après Bretton Woods. L’expansionnisme ne peut plus se financer.


Source : NY Times, 02/2013

Le 12 Septembre 2002, G.W. Bush annonçait devant les Nations Unies l’intention de la présidence des États-Unis d’attaquer préventivement l’Iraq, en opposition aux lois internationales en vigueur.[10] Aucun délégué n’a protesté et l’invasion a commencé le 20 mars 2003. Ce jour-là, le cadre multilatéral des lois internationales a été en pratique réduit à la loi de la jungle, parce que ce droit international n’a pas été exercé et garanti. Ce jour est notable par la marque de l’impérialisme américain sur l’ensemble des relations internationales. Cette idéologie est une tendance de fond qui détermine de manière continue la politique étrangère des États-Unis depuis le génocide des guerres indiennes, et celui des Philippines. Cette longue expansion qui a été la source de leur croissance est désormais inversée. Les U.S. se sont retirés d’Iraq, bientôt d’Afghanistan et ce sont aussi les 88000 militaires basés en Europe [11] qui vont être rapatriés aux USA ou en Asie. Mais recycler un complexe militaro-industriel dans les activités civiles est très difficile et lent, comme les U.S. en ont fait l’expérience en 1946-47.

Au nom de ma loi…

Cependant cette agressivité impérialiste, comme à chaque fois dans l’Histoire, a eu aussi pour conséquence au fil des décennies la déstabilisation croissante de l’équilibre des pouvoirs dans la République étasunienne, par l’intermédiaire d’une économie prioritairement basée sur le Keynésianisme militaire. Cette déstabilisation s’est fortement accélérée depuis le 11 Septembre 2001.[12] L’ensemble des libertés individuelles ont alors été l’une après l’autre si profondément remises en question au fil des semaines et des années, le rapport entre citoyens et État et le droit constitutionnel si profondément remaniés [13] que seul le qualificatif de Révolution est adéquat selon nous. C’est un effet boomerang historiquement inévitable qui aurait dû être perçu par tous au moment où le Keynésianisme militaire est devenu une institution au moment de la guerre de Corée, et perdurant sur plusieurs générations.[14] L’appareil d’État « profond », celui qui demeure inchangé lors des élections ou qui garde son pouvoir d’influence intact par le truchement des portes tambour, a assimilé et prolongé ces idées.

La situation politique actuelle de la République américaine est simplement résumée par le Pr. Chalmers Johnson : dans les faits, la séparation des pouvoirs –l’élément le plus fondamental de la Constitution– a disparu.[15] La nouvelle forme du pouvoir n’a pas remplacé ou dissous les institutions du Congrès et de la Cour Suprême, comme l’aurait fait un pouvoir dictatorial issu d’un coup d’État franc et net, ce qui a permis de laisser croire que les simulacres constituaient toujours une branche du pouvoir, à la fois vis-à-vis de la stabilité interne du pays et de celle des relations internationales. Ces années de persistance des institutions obsolètes ont trompé la vigilance des citoyens, bien que des cris d’alertes aient été lancés dès 2002.[16] Sans moyen d’exercer la garantie des droits des citoyens, les libertés de ceux-ci (les 10 amendements de l’U.S. Bill of Rights) ont ensuite été rognées en quelques années par de nouveaux textes.

Le gouvernement des U.S. était déjà connu depuis des décennies pour ses manœuvres secrètes visant à favoriser sa politique d’« expansionnisme » international, qui sont révélées et confirmées après des dénis forcenés.[17] Ces pratiques ont perduré mais le pouvoir exécutif après le 11 Septembre les a étendu sur le sol américain [18] et a de plus ouvertement franchi le Rubicon : il a régulièrement imposé ses conceptions unilatérales, que ce soit comme on l’a vu en ne permettant plus la garantie du droit international ou celle des libertés individuelles, par le biais de nombreux ordres exécutifs ou de « signing statement » du Président sur une loi votée par le Congrès, en invoquant systématiquement un caractère exceptionnel ou temporaire, un nouveau paradigme, de nouveaux concepts inutiles et abscons artificiellement placés hors du champ des lois [19], un état d’urgence, bref un caractère irréversible d’une politique de sécurité nationale dont la mention suffisait à éliminer toute réflexion.[20]

Le pouvoir législatif a lui systématiquement échoué à exercer son pouvoir constitutionnel en limitant les abus de pouvoir de la Présidence : « For the last four years, a republican Congress has done almost nothing to rein in the expansion of presidential power. This abdication of responsibility has been even more remarkable than the president’s assumption of new powers ».[21] Pire, le Congrès a régulièrement fait en sorte de voter des lois qui rendaient légaux les abus de pouvoir des précédents ordres exécutifs.[22] Un Congrès et un président Démocrate n’ont strictement rien changé de cet état de fait, ni n’ont rétabli ce qui avait été bafoué. La tendance lourde de l’ « unitary executive power » s’est poursuivie strictement inchangée parce qu’elle est désormais institutionnalisée.

La branche judicaire enfin n’est pas davantage un contre-pouvoir que le Congrès. Dans les faits, la Cour Suprême délègue ses décisions à des cours plus mineures, dont les juges sont davantage attentifs à ne pas froisser le pouvoir exécutif. C’est ainsi que le système judiciaire U.S. a pu reconnaitre et confirmer le fait que l’État avait le droit de kidnapper, de déporter et de torturer un homme totalement innocent, sans le juger, sans le recours à un avocat, sans lui faire d’excuses ni lui verser des dommages et intérêts.[23] Cette dérive continue de nos jours avec le procès de Manning [24], ou l’absence flagrante de procès des responsables des très nombreux scandales financiers mis à jour depuis 2008. Cette défaillance éclatante de la justice, plus que toute autre, est signe d’une faiblesse mortelle de la démocratie : “Justice is itself the great standing policy of civil society; and any eminent departure from it, under any circumstances, lies under the suspicion of being no policy at all.[25] Elle révèle aussi la collusion entre le système exécutif et Wall Street.[26] Cela n’a rien d’étonnant, l’histoire politique depuis César nous a appris la régularité des dérives fascistes d’un pouvoir exécutif fort.[27] 

Pour couronner le tout, certains dirigeants américains n’assument pas leurs décisions passées. Ils ne veulent pas admettre que ce sont eux ou leurs prédécesseurs qui ont brûlé les navires. Ils rejettent la responsabilité sur le terrorisme. Aussi, la politique sécuritaire des Etats-Unis, au lieu de favoriser sa cohésion sociale, divise encore davantage.[28]

… je vous arrête !

La mort d’Aaron Swartz le 11 janvier [29] nous rappelle celle de Mohamed Bouazizi, qui s’est lui aussi suicidé à 26 ans en signe de protestation ultime contre la politique de son gouvernement. Son geste sera un symbole pour toute une génération de jeunes qui se reconnaîtront en lui. De la même manière, la mort d’Aaron Swartz est aussi un geste politique, celui d’un homme persécuté par un système judiciaire qui trahit ses citoyens au lieu de les protéger [30]. Les deux années de procédures kafkaïennes [31] où le procureur outrepasse sans aucun contrôle l’esprit et la lettre des lois [32] dans le seul objectif de contraindre par cette menace Aaron Swartz à se reconnaître coupable [33] ne nous rappelle rien d’autre que Le Procès [34], dans lequel un homme de 30 ans est brusquement entraîné dans un système judiciaire arbitraire, inhumain, absurde et meurtrier. 


Dernier Recourt

La lutte et la fin d’Aaron Swartz présentent tous les ingrédients pour accélérer une prise de conscience au sein de la communauté connectée. Comme tout symbole, il est fédérateur. 

La partie change de dimension, mais pas de perspectives. Les nouveaux acteurs ne se sentent pas seulement concernés ; ils se sentent eux-mêmes visés par les intentions politiques d’un système judiciaire coercitif, qui ignore superbement les dérives extraordinaires des acteurs du système financier et qui persécute en même les défenseurs des libertés individuelles. Cette idée du sens commun de la justice bafouée est capable de fédérer au-delà des frontières traditionnelles des partis. Ce n’est pas un petit groupe d’hommes politiques qui est remis ouvertement en cause, mais bien la réelle légitimité d’un système de gouvernement qui autorise de tels traitements judiciaires. C’est donc une profonde crise politique qui vient de franchir un nouveau palier.

Après la disparition des droits protégeant les individus dans les textes de lois, les effets directs sur la vie des citoyens américains ne font que commencer. Ceux-ci réagissent et la radicalisation du mouvement de contestation [35] apparaît dès le 25 janvier avec le hack d’un site du ministère de la Justice par Anonymous qui lance la phase publique de la mobilisation « Last Resort » (Dernier Recourt). [36]


Il s’agit ici d’une action à visée médiatique mais avant tout libératoire, qui se déroule d’abord sur Internet et au-delà des lois en vigueur, à la différence du mouvement Occupy. Le message diffusé [37] à cette occasion par OpLastResort exprime très clairement plusieurs motivations qui ne se limitent pas à la dénonciation de pratiques ou de projets de lois liberticides: 
  • Qu’il s’agit d’une opération préparée de longue haleine en réponse aux arrestations d’hacktivistes en 2012 ; Que son déclenchement est la conséquence de la mort d’Aaron Swartz, directement causée par la persécution d’État dont il a fait l’objet ; 
  • Que le sens commun de la justice est au-dessus de l’expression de la loi par l’État, quand celle-ci est perçue comme une trahison de l’intérêt des citoyens ou de leurs libertés ; On doit ici rappeler les persécutions judiciaires menées par le gouvernement contre les autres sonneurs d’alarme [38] ; 
  • Qu’il n’y a pas de volonté de négocier ; c’est un ultimatum qui est lancé au gouvernement pour qu’il lance une réforme en profondeur des nombreuses lois liberticides; Qu’il ne peut y avoir qu’une seule issue : la mise en place par le gouvernement des réformes exigées. Le combat ne cessera pas avant cela ; 
  • Que le message s’adresse aux citoyens du monde entier, et pas seulement aux Américains même si c’est seulement ce dernier qui est visé ; c’est une caractéristique essentielle de ce mouvement de contestation, qui recrute des membres actifs au-delà des frontières, même pour des causes dont on pourrait naïvement penser qu’elles ne concernent que les citoyens américains.

Pointer les noms derrière la finance

OpLastResort annoncera plusieurs hacks successifs de sites gouvernementaux en février 2013. Le premier s’est accompagné de la diffusion de plusieurs archives cryptées, sans la clé de lecture. Elles contiennent sans doute des informations récupérées sur des sites fédéraux. Ce choix de diffusion, s’il vise explicitement à contacter de manière sécurisée des journaux, n’utilise pas les procédures déjà rodées du canal Wikileaks. Cela a surpris la communauté et entraîné un doute chez les médias qui redoutent déjà de ne plus être protégés par le premier amendement [39], jusqu’à la diffusion le 4 février d’une liste de 4600 noms de hauts représentants des institutions financières des U.S. avec leurs coordonnées et mots de passe (cryptés), obtenus en hackant certains sites de la Reserve Federale US.



Le même jour, Bloomberg annonçait qu’Obama avait l’intention d’accélérer la publication d’un ordre exécutif présidentiel permettant d’accroître la cybersurveillance [40] dans la lignée de la proposition de loi CISPA. L'escalade continue.

L’inéluctable contre-révolution

Le bilan est très sévère, mais il doit être dressé et prolongé dans ses tendances lourdes car on ne peut espérer modifier sa route en restant aveugle et sourd. 

La République américaine est morte. Ses institutions sont réduites à des simulacres. La valeur symbolique qu’elles portent encore aux yeux du peuple suffit à prolonger leur existence. Pourtant, elles n’apportent aucun service, aucun bienfait aux citoyens. Ceux-ci ont été trahis par leurs élites, par appétit de pouvoir, par lâcheté, par rapacité. Le supramonde [56] ne changera jamais volontairement d’idéologie, bien qu’il puisse y avoir quelques transfuges qui quittent leur camp.[41] 

Le peuple américain a pourtant eu plusieurs occasions de confondre ses oppresseurs, mais à chaque reculade l’effort nécessaire pour la suivante était de plus en plus grand et leurs adversaires de plus en plus nombreux et puissants. Le jour devra obligatoirement venir où les questions sur les assassinats de JFK, du 11 Septembre ou de tant d‘autres affaires [42] qui hantent la conscience collective pourront recevoir de vraies réponses officielles. En attendant cette commission Vérité et Réconciliation, le peuple américain se retranche dans son Fort Alamo. L’assaut a commencé, les premiers coups de feu tirés. 

Encore présentes dans l’imaginaire, les libertés ne peuvent plus être exercées dans les faits. On rend un culte à la feuille de papier de la Constitution illuminée derrière une vitre blindée pendant que les derniers défenseurs des libertés sont menacés ou emprisonnés. On devrait faire du texte du Bill of Rights un tableau intitulé « Ceci n’est pas la liberté », dans le style de Magritte. La Révolution a déjà eu lieu, et le peuple a perdu le pouvoir, puis ses libertés individuelles, ses économies, son emploi, puis ses futurs revenus et ceux de leurs enfants qui devront payer des dettes contractées par les élites. Il a aussi perdu sa santé, son espérance de vie, les espoirs d’éducation pour ses enfants. Et perdu encore, mais depuis bien plus longtemps, toute possibilité d’égalité dans la société multiculturelle américaine.[43] 

Il ne lui reste qu’une partie de ses illusions dont il lui faudra apprendre à se débarrasser, ainsi que son fusil.[44] Il a compris qu’il ne devait jamais le remettre au gouvernement, quoi qu’on lui dise. Cela peut le sauver de l’esclavage, mais hélas pas de la désolation de la guerre civile (ou rébellion). 

Celle-ci est inévitable car l’appétit de pouvoir, ne pouvant éviter le reflux de son expansion et de l’arrêt de son financement à l’échelle internationale, est en train de se retourner de plus en plus ardemment vers l’intérieur de ses frontières. 

Ces affrontements provoqueront à coup sûr une sécession [52], et une déstabilisation en cascade du Canada, du Québec, des îles Caraïbes et surtout du Mexique. 

Elle sera concomitante avec une explosion des tensions entre groupes ethniques. 

Elle entraînera à coup sûr la faillite du dollar, qui accélérera l’effondrement de l’empire US. De multiples dévaluations n’y changeront rien.[45] 

Mais le vrai combat ne se jouera pas à coup de rafales, de drones, d’armures exosquelettes, d’IED, de rafles ou de cyber guerre. Il se jouera d’abord dans les cœurs, avec le courage, et là où tout a commencé : dans les esprits. Un peuple ne peut vaincre que fédéré par l’espoir qui est porté par de nouvelles idées. Il ne se bat pas pour survivre : avoir un futur ne signifie pas simplement vivre demain. Il est nécessaire de savoir pourquoi on va vivre demain, pour vivre quelle sorte de vie. C’est le contenu de cette contre-révolution idéologique qui est la pièce manquante dans l’esprit du peuple américain. C’est celle qui lui permettra de se relever, et de recréer un État (ou plutôt plusieurs) qui auront fait table rase des institutions actuelles. 

Voilà les tendances lourdes. Dans ce maelström, la séquence exacte qui sera suivie peut être très variable mais tous les chemins conduisent au même aboutissement. Que ce soit en commençant : 
  • par une pression accrue sur le front monétaire international, [46] 
  • par celle de citoyens qui vont tester les réactions du gouvernement en voulant vérifier l’exercice de leurs droits, [47] 
  • par une implication grandissante des citoyens dans les débats de la société civile U.S. En effet si votre implication vise à critiquer les positions du gouvernement, l’United States Military Academy (USMA) vous classe alors parmi les activistes violents d’extrême-droite, [48] 
  • par un boycott à grande échelle du système, [49] 
  • par un renforcement de la politique sécuritaire continuant le chemin vers la loi martiale (Alerte Rouge) [50] ou la confiscation des armes, [51] 
  • par une action d’insurrection menée par des partisans de la suprématie des Blancs ou bien proches du Tea Party [52]. C’est le type de scénario d’intervention militaire contre le peuple américain auquel l’armée se prépare depuis 2010, [53] 
  • ou même par une nouvelle volonté du gouvernement d’interrompre momentanément l’escalade liberticide pour apaiser les tensions, [54] 
  • ou par une démission du Président, [55] 
l’état insurrectionnel est imminent d’ici la fin du mandat d’Obama, sachant que le supramonde [56] au pouvoir tient par-dessus tout à le conserver, que l’ultimatum d’OpLastResort restera lettre morte, et que la pression de la dynamique extérieure ne diminuera pas.[57] Des événements brutaux ou réactions extrêmes pourront toujours accélérer sa venue.[58] Les médias de masse ne parleront que d’insurrection, pas de guerre civile, et abuseront sans doute des qualificatifs de terroristes. Dans le même temps, rien ne retardera l’inéluctable contre-révolution du peuple américain.




[1] Nous utiliserons la technique de la parrêsia alliée à la méthode de l’anticipation politique. Ce texte se veut être une aide à la décision de chaque individu impliqué, dans le prolongement d’une forte empathie pour le peuple américain
[2] Ce texte est prolongé par l'article "Peupler l'espoir", à paraître.
[3] The progressive movement lacks a spine for the moment, and is badly divided over a number of difficult issues which diffuse them, instilling hatred and fear in their hearts, driving out love, and leaving room only for a destructive pride and selfishness. And the timid thinkers, the so-called intelligentsia, hide in their studies and in their cellars, and in their work, waiting for someone else to do something. Eventually progressive people will come together or, as Edmund Burke observed, "...they will fall, one by one, an unpitied sacrifice in a contemptible struggle." (A Financial Coup d'Etat, the Credibility Trap, and What Must Be Done, 09/28/2012)
[4] “Resistance, Revolution, Liberation – A model for positive change”, C.H. Smith, oftwominds.com, 2012
[5] “The Middle Class In America Is Being Wiped Out – Here Are 60 Facts That Prove It”, TheTruthWins, 01/2013; CNBC, 02/2013; L.A. Times, 08/2012
[6] Rumsfeld déclara après le pillage et la destruction des trésors archéologiques à Bagdad, patrimoine de l’humanité : « Freedom’s untidy… Free people are free to make mistakes and commit crimes »
[7] India & Russia Report, 02/2013
[8] GlobalPost, 02/2013
[10] The Independent, 02/2002 (reprinted by Daily Times)
[12] Cette évolution a été remarquablement expliquée dans une approche multidisciplinaire par la trilogie « Blowback » du Pr. Chalmers Johnson, et en particulier dans le dernier tome: Nemesis – The last days of the American Republic,  Metropolitan Books, 2006 ; Voir aussi “ The military Keynesianism of the U.S. and the Road to Tyranny”, Conscience Sociale.
[13] Zero Hedge, 02/2013
[14] Cf Réf 12 ; voir aussi Conscience Sociale, 07/2012 ; On se souviendra également des mots de Solzhenitsyn: “In keeping silent about evil, in burying it so deep within us that no sign of it appears on the surface, we are implanting it, and it will rise up a thousand fold in the future. When we neither punish nor reproach evildoers, we are not simply protecting their trivial old age, we are thereby ripping the foundations of justice from beneath new generations.” (The Gulag Archipelago, 1958-68)
[15] Cf Réf 12
[16] Federation of American Scientists, 04/2002; “Uncle Sam's Iron Curtain of Secrecy”, James Bovard, 08/2005; The Guardian, 03/2006; “2 U.S. Supreme Court Justices – And Numerous Other Top Government Officials – Warn of Dictatorship”, Washington’s blog, 09/2012
[17]La route vers le nouveau désordre mondial – 50 ans d’ambition secrètes des États-Unis”, P.D. Scott, Ed. Demi-Lune, 2011 (2007 pour l’édition originale) ; Le bilan que l’on observe un siècle après montre combien l’expansionnisme et l’idéologie de la « destinée manifeste » ont leurrées W. Wilson dans sa vision du rapport entre les peuples et du contrôle des capitalistes par l’État pour le bien des citoyens.
[18] DemocracyNow, 02/2006
[19] Par exemple pour justifier le fait que la torture n’était pas légalement interdite dans les affaires citées, cf Réf 12. Lire aussi à ce propos Le programme secret de la CIA et le Parlement Européen: Histoire d'un forfait, histoire d'un sursaut, 12/2012.
[20] Voir à ce sujet Conscience Sociale, 10/2012
[21] NY Times, 01/2006; “U.S. Constitution in grave danger”, Al Gore, 01/2006
[22] NY Times, 03/2006
[23] NY Times, 02/2006
[24] The Guardian, 02/2013
[25] E. Burke, 1729 – 1797
[26] USAToday, 09/2012
[27] “Corporatism is the corner stone of the Fascist nation” écrivait Benito Mussolini
[28] Conscience Sociale, 10/2012
[29] Pour plus de détails sur cette partie, lire Conscience Sociale, 02/2013
[30] Boston.com, 02/2013
[32] En utilisant un texte entré en vigueur un mois après l’entrée des U.S. dans la première guerre mondiale (Espionage Act, 1917) ou le très controversé CFAA (Computer Fraud and Abuse Act)
[33] Pour lui permettre en échange d’obtenir une sentence plus faible mais certaine
[34]  Œuvre de Franz Kafka, rédigée entre 1914 et 1925
[35] Cette logique de radicalisation dans la communauté connectée avait été anticipée.
[36] Pour plus de détails sur cette partie, lire Conscience Sociale, 02/2013
[37] Voir la vidéo (ou le texte complet ici).
[38] Assange, Manning, Hammond, Kiriakou, Ellsberg, Drake, Radack…
[39]  EFF.org, 07/2012
[40] TheVerge.com, 02/2013
[41] The Telegraph, 10/2012
[42] « La route vers le nouveau désordre mondial », P.D. Scott, Ed. demi-lune 2011 (English edition, 2007) ; “What WikiLeaks revealed to the world in 2010”, salon.com, 12/2010
[43] D’après le rapport de l’Institute of Assets and Social Policy (02/2013) la différence de richesse entre les Blancs et les Afro Américains a triplé lors des 25 dernières années.
[44] CNSNews, 02/2013 ; Statistiques mensuelles du FBI NICS, 01/2013
[45] GEAB 69, Laboratoire Européen d’Anticipation Politique, 11/2012
[46] À la suite du rapport de l’OMFIF déjà cité et du G20 de 2013 en Russie
[47] Voir par exemple cette initiative
[48] “Anti-federalists espouse strong convictions regarding the federal government, believing it to be corrupt and tyrannical, with a natural tendency to intrude on individuals’ civil and constitutional rights. Finally, they support civil activism, individual freedoms, and self government.” WashingtonTimes, 01/2013. C’est le concept des « citoyens ennemis ».
[49] Cf Réf 4
[50] Courier-Post, 03/2003
[51] Bob Owens, 12/2012
[52] SmallWarsJournal, 07/2012; Forbes, 11/2012
[54] Politico.com, 02/2013
[56] Ce terme et sa définition précise sont empruntés au Pr. Peter Dale Scott, op.cit.
[57] Global Research, 08/2012 ; NY Times, 12/2012
[58] GEAB 72, Laboratoire Européen d’Anticipation Politique, 02/2013

2013/02/11

L'hiver américain


 Le 11 janvier 2013 à New-York, Aaron Swartz[1] mettait fin à ses jours. Il était l’objet d’une procédure depuis janvier 2011 pour un acte des plus bénins : cet intellectuel de 26 ans avait copié 4 millions d’articles scientifiques de la base JSTOR au contenu de laquelle il avait droit d’accès du fait de ses activités au MIT. Bien que l’intégralité de ces articles ait été financée par des fonds publics, la plupart ne pouvaient être consultés qu’avec une souscription. C’est en signe de protestation contre les limitations d’accès à un bien commun qu’Aaron Swartz a commis cet acte. Etant un des fers de lance du mouvement revendiquant un accès libre aux informations[2], Aaron Swartz n’a pourtant jamais rediffusé ces fichiers et les a rendus en juin 2011 au MIT. Dès le mois suivant il était cependant mis en accusation par un procureur, qui a encore alourdi les charges pesant contre lui en septembre 2012. Aaron Swartz était alors l’objet, toujours pour les mêmes faits, de 13 chefs d’accusation et encourait jusqu’à 35 ans de prison, 1 million de dollar d’amende  accompagnés de procédures de rétorsion aggravées. À titre de comparaison éclairante, la loi U.S. punit d’un maximum de 20 ans de prison les faits qualifiés d’aider des terroristes à se procurer une arme nucléaire.[3] Le 9 janvier JSTOR ouvrait finalement ses archives au public, mais la machine de persécution du système judiciaire US ne pouvait plus être arrétée.

En ce premier jour de mémoire[4] , il nous semble important de souligner la contribution essentielle d’Aaron Swartz dans le domaine de la politique des libertés individuelles. Celles-ci sont en effet à nouveau profondément questionnées avec l’émergence des  systèmes d’informations sociaux et l’accès de masse à internet. C’est ici un moment historique où les trois entités du pacte social (les citoyens, les entreprises et l’Etat) sont dans l’obligation de redéfinir attentivement leur positionnement respectif, et qui survient conjointement au déclin des Etats-Unis sur la scène internationale. Nous y reviendrons en dernière partie après avoir discuté :
  • La symbolique du geste d’Aaron Swartz
  • Les conséquences immédiatement observées
  • Les autres conséquences que l’on peut attendre des tendances lourdes ainsi mises en lumière

Tout un symbole

Aaron Swartz vivant est déjà un symbole : jeune, inventif, entrepreneur de start-ups, intellectuel engagé, progressiste, il a déjà acquis un prestige certain dans la génération connectée par le courage de ses positions sur les libertés individuelles menacées et son lobby contre la loi SOPA. C’est aussi un symbole pour le système qui érode les libertés individuelles de manière accélérée depuis 2001.[5]
La mort d’Aaron Swartz nous rappelle celle de Mohamed Bouazizi, qui s’est lui aussi suicidé à 26 ans en signe de protestation ultime contre la politique de son gouvernement. Son geste sera un symbole pour toute une génération de jeunes qui se reconnaitront en lui. De la même manière, la mort d’Aaron Swartz est aussi un geste politique, celui d’un homme persécuté par un système judiciaire qui trahit ses citoyens au lieu de les protéger[6]. Les deux années de procédures kafkaïennes[7] où le procureur outrepasse sans aucun contrôle l’esprit et la lettre des lois en utilisant un texte entré en vigueur un mois après l’entrée des U.S. dans la première guerre mondiale[8] ou le très controversé CFAA[9] dans le seul objectif de contraindre Aaron Swartz à plaider coupable pour lui permettre d’obtenir une sentence plus faible, ne nous rappelle rien d’autre que Le Procès[10], où un homme de 30 ans est brusquement entraîné dans un système judiciaire arbitraire, inhumain et absurde. Aaron Swartz aura finalement une conscience  morale plus forte que celle de Joseph K. Sa lucidité, et non son désespoir, lui indique que « la seule façon de ne pas perdre au jeu auquel le gouvernement le contraint, c’est de ne pas jouer ». S’il sort ensuite du jeu, c’est nous qui endossons son témoignage[11].


Les premières conséquences

La mort d’Aaron Swartz présente tous les ingrédients pour accélérer une prise de conscience au sein de la communauté connectée. Comme tout symbole, il est fédérateur.
La partie change de dimension, mais pas de perspectives. Les nouveaux acteurs ne se sentent pas seulement concernés ; ils se sentent eux-mêmes visés par les intentions politiques d’un système judiciaire coercitif, qui ignore superbement les dérives extraordinaires des acteurs du système financier et qui persécute les défenseurs des libertés individuelles. Cette idée même du sens commun de la justice bafouée est capable de fédérer au-delà des frontières traditionnelles des partis. Ce n’est pas un petit groupe de personnes qui est remis ouvertement en cause, mais bien la réelle légitimité d’un système de gouvernement qui autorise de tels traitements judiciaires. C’est donc une profonde crise politique qui s’annonce.

Les premières initiatives sont de deux ordres :

1) La mobilisation « Opération Angel » tout d’abord, qui vise à prolonger immédiatement l’action politique de Aaron Swartz en modifiant la loi CFAA, par un lobbying contre la proposition de loi CISPA, ou des pétitions pour remplacer les procureurs et intervenants clés dans l’affaire Aaron Swartz. Ces actions sont publiques et se prolongent en manifestations dans la rue. Pour les participants elles sont connectées au mouvement Anonymous, qui est le groupe politique informel le plus proche des positions d’Aaron Swartz. Ainsi le port des célèbres masques et les #Anonymous sont fortement corrélés à ces manifestations :

 Impacts des premières mobilisations sur le réseau Twitter ;
Source : topsy.com

2) La radicalisation du mouvement apparait dès le 25 janvier avec le hacking du site ussc.gov qui lance la phase publique de la mobilisation « Last Resort » (dernier recourt). Ce type de radicalisation avait été anticipée.
Il s’agit ici d’une action à visée médiatique, qui se déroule exclusivement sur Internet et aux marges des lois en vigueur. Le message diffusé[12] à cette occasion par ce collectif de la mouvance Anonymous exprime très clairement plusieurs motivations :
  • Qu’il s’agit d’une opération préparée de longue haleine en réponse aux arrestations d’hacktivistes.  On pense notamment à l’arrestation du groupe LulzSec, aux US et en Europe[13] suite au retournement  de « Sabu » en 2011, qui a été convaincu de collaborer en tant qu’agent double avec le FBI. Les peines encourues sont toujours supérieures à 20 ans de prison.

  • Que son déclanchement est la conséquence de la mort d’Aaron Swartz, directement causée par la persécution d’Etat dont il a fait l’objet ;
  • Que le sens commun de la justice est au-dessus de l’expression de la loi par l’Etat, quand celle-ci est perçue comme une trahison de l’intérêt des citoyens ou de leurs libertés ;
  • Qu’il n’y a pas de volonté de négocier ; c’est un ultimatum qui est lancé au gouvernement pour qu’il lance une réforme en profondeur des nombreuses lois liberticides ;
  • Qu’il s’agit d’une pure expression politique du combat en cours entre citoyens et Etat pour préserver les libertés individuelles, et pas une simple performance technique à des fins de publicité. Si des interlocuteurs sont désignés pour les réformes à engager, il s’agit d’intellectuels progressistes qui n’ont aucun lien avec ces hackings ;
  • Qu’il ne peut y avoir qu’une seule issue : la mise en place par le gouvernement des réformes exigées. Le combat ne cessera pas avant cela ; il s’étend donc dans le temps et dans l’espace puisque plusieurs sites fédéraux ont été infiltrés selon Anonymous ;
  • Que le message s’adresse aux citoyens du monde entier, et pas seulement aux Américains même si c’est seulement ce dernier qui est visé ; c’est une caractéristique essentielle de ce mouvement de contestation, qui recrute des membres actifs au-delà des frontières, même pour des causes dont on pourrait naïvement penser qu’elles ne concernent que les citoyens américains ;

Après le DoJ: la FED attaquée

On remarque que cet ultimatum pouvait prendre de court le reste du mouvement Anonymous, jusqu’à présent plus modéré. Pourtant cette opération a été « validée » par le reste du mouvement (ses auteurs ont notamment participé à de nombreuses autres opérations préalables) et est ainsi officiellement supportée par le collectif #YAN chargé de médiatiser les opérations. Les très rares messages qui expriment des doutes ou des distances n’ont aucun écho (j’exclue les milliers de comptes twitter tout juste piratés et qui ont tous le même jour diffusé le même commentaire négatif pour discréditer cette opération). Désormais, il n’est pas exagéré de dire que tout membre d’Anonymous qui ne souhaiterait pas être confondu avec cette rébellion contre le gouvernement U.S. devrait au préalable créer pour se distinguer un autre « concept-chapeau », une autre marque. Anonymous a répondu à la logique d’escalade imposée par l’érosion programmée des libertés civiques.

Deuxième remarque : le premier hacking de cette opération s’est accompagnée de la diffusion de plusieurs archives cryptées, pour l’instant sans la clé de lecture. Elles contiennent sans doute des fichiers récupérés sur des sites fédéraux. Ce choix de diffusion, s’il vise explicitement à contacter de manière sécurisée des journaux, n’utilise pas les procédures déjà rodées du canal Wikileaks. Cela a surpris la communauté et entraîné un doute chez les médias qui redoutent déjà de ne plus être protégés par le 1er amendement[14], jusqu’à la diffusion le 4 février d’une liste de 4600 noms de hauts représentants des institutions financières des U.S. avec leurs coordonnées et mots de passe (cryptés), obtenus en hackant certains sites de la Reserve Federale.


La Fed a bien tenté de minimiser cette infiltration[15], mais après la nouvelle diffusion le 8 février d’un listing de 120 000 fichiers présents sur plusieurs serveurs de la FED[16], il faut en tirer d’autres conséquences :

  • L'immense majorité de ces fichiers sont d'accès public, mais pas tous. Ces Anonymous ont eu accès pendant une longue durée au système de fichiers de ces serveurs, en lecture et en écriture ; 
  • Il est donc parfaitement possible que les Anonymous aient pu placer de nouveaux fichiers java ou des scripts ColdFusion en remplacement de certains présents, ce qui potentiellement pouvait permettre d’enregistrer les mots de passe circulant dans le flot d’exécution de l’application utilisée par les banquiers, lesquels sont à ce moment-là le plus souvent stockés en mémoire et sans cryptage.
  • En effet, il faut s’interroger sur le fait de diffuser la liste des mots de passe cryptés sur Internet : la première mesure prise sera de réinitialiser tous les mots de passe une fois l’application restaurée par la FED dans un état non compromis (ou sensé l’être !... si un attaquant était en mesure d’opérer en mode "man-in-the-middle" ou avec un code applicatif compromis à ce moment critique, il récupérerait en quelques heures ses logs avec tous les nouveaux mots de passe non cryptés qui viennent d'être choisis par les utilisateurs…). 
  • Pour notre part, cela signifie que ces mots de passe avaient déjà remplis leur usage pour les Anonymous, c’est-à-dire que leur valeur était connue… et qu’ils avaient déjà été utilisés par ailleurs. Etre en capacité de modifier les fichiers du serveur d’applications signifie pouvoir envoyer sur le PC des banquiers utilisateurs un code approprié qui peut exploiter leurs configurations précises : plugins java, flash, navigateur… les failles « zero-day » de ces composants deviennent particulièrement faciles à utiliser pour récupérer ensuite d’autres informations ou fichiers directement sur le PC de ces utilisateurs. Le listing diffusé des fichiers n’en fait pas mention… mais cette opération Last Resort ne fait que commencer. On comprend qu'outre les noms et adresse livrés au public, le plus déstabilisant pour le système financier U.S. c’est ce que nous ignorons encore et qui soit en la possession des Anonymous tant les possibilités sont vastes ! C’est une pratique habituelle des guerres de l’information.
Le même jour, Bloomberg annonçait qu’Obama avait l’intention d’accélérer la publication d’un ordre exécutif présidentiel permettant d’accroître la cybersurveillance[17] (aussi nommé cybersécurité suivant de quel côté on se trouve) dans la lignée de la proposition CISPA. L'escalade continue.[18]

Terminons cette partie par une précision : 
l’ex-policier Dorner a lancé le 4 février une vengeance personnelle meurtrière contre plusieurs personnes de son ancien service, en publiant auparavant sur sa page facebook un long manifeste intitulé lui aussi Last Resort.
Cet homme, patriote et soldat, qui a totalement perdu confiance dans le système judiciaire et policier de Los Angeles, qui se déclare explicitement soutenir Obama et le camp démocrate, est contre la vente libre des armes à feu, n’a aucune connexion avec l’opération des Anonymous. Pour reprendre le titre du dernier fichier diffusé par ces Anonymous : « Dorner est un symptôme, pas un syndrome »

[part 3 to be continued soon]




[2] Standard RSS, Open Access, Creative Commons, Demand Progress, mouvement contre la loi SOPA/PIPA
[3] “Participation in nuclear and weapons of mass destruction threats to the United States”, 18 USC § 832
[6] Boston.com, 02/01/2013
[10] Œuvre de Franz Kafka, rédigée entre 1914 et 1925
[11] The Nation, 01/12/2013
[12] See the video (full text here)
[13] CNN.com, 03/06/2012
[14] EFF.org, 07/2012
[15] Networkworld.com, 02/08/2013
[16] ZdNet.com, 02/08/2013
[17] TheVerge.com, 02/08/2013
[18] En réponse à cet ordre présidentiel (critiqué ici), le 4ème round de l'opération a été déclenché au moment du discours sur l'Etat de l'Union le 12 février (#OpSOTU). Ce fut un échec, sans doute par manque de temps de préparation des détails techniques. Mais on peut se demander pourquoi les leaders de #OpLastResort n'ont pas dévoilé à cette occasion la ou les clés de décryptage des fichiers "warheads" qu'ils avaient diffusé au départ de l'opération, puisque cet ordre présidentiel représente justement les lois liberticides contre lesquelles ils s'élèvent. Ils se sont contentés de dire qu'il y aurait 12 rounds dans ce combat contre le gouvernement US.
Le 17 février, un autre Anonymous apparemment indépendant des leaders de l'opération #OpLastResort a diffusé sur Zerobin des données brutes qu'il déclare extraites d'une base de données du site State.gov, le ministère des affaires étrangères US. Dans l'attente de confirmations, il faut rester prudent à ce sujet pour l'instant, des manipulations restent parfaitement possibles. Rien de plus facile que de créer des fausses données apparemment ou partiellement vraies.


Le jour d'après, les leaders d'#OpLastResort ont annoncé un nouveau hack sur une banque d'investissement qui s'occupe notamment des Municipal bonds. C'est un client de l'agence Stratfor qui avait été hackée par Anonymous et dont un important historique d'emails avait ensuite été diffusé via Wikileaks début 2012. Voir cet article de ZdNet.