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2012/12/22

Les réseaux Euro-BRICS comme réponse à la crise scientifique

 Le Laboratoire Européen d'Anticipation Politique (LEAP) vient de publier la synthèse du troisième séminaire Euro-BRICS, organisé en partenariat avec l'Université MGIMO de Moscou (site en russeMGIMO UniversityInternational programs), ainsi que les recommendations à destination des décideurs politiques notamment du G20. Ce séminaire a réuni des intervenants de plusieurs pays de la zone euro (France, Allemagne, Belgique, Portugal, Pays-Bas) ainsi que de Russie, Chine, Brésil, Inde, Afrique du Sud. Voici le contenu du document en français et celui en anglais

Concrétisation de la vision élaborée par le LEAP et Franck Biancheri sur la construction dès à présent du monde de demain qui ne doit pas se réaliser sans les citoyens, ces séminaires sont un moment privilégié pour la société civile, au delà de l'établissement des réseaux et des programmes communs, de réunir les éléments permettant une anticipation politique représentative de notre monde multipolaire, lequel se renforce au quotidien. Si le moyen est une collaboration ouverte pour comprendre les facettes culturelles et tendances de fond qui façonnent actuellement le monde de demain, l'enjeu est aussi de proposer des outils et des clés de décision pour les représentants politiques, et pour les citoyens. C'est donc aussi un effort de vigilance concerté, aussi bien pour les uns que pour les autres. C'est nourrir la réflexion commune, contribuer à construire ensemble la route, car les seules choses écrites à l'avance ce sont celles dans lesquelles nous ne impliquons pas.

J'ai eu l'opportunité de présenter à cette occasion une intervention lors du thème "Vers le développement de réseaux thématiques Euro-BRICS, dans le domaine scientifique et technologique", dont voici ci-dessous le texte intégral. Elle se situe dans le prolongement de ce que j'ai déjà publié au sujet de la crise scientifique : Une théorie et un homme en crise; et La démocratie scientifique comme réponse à la crise scientifique


Les réseaux Euro-BRICS comme réponse à la crise scientifique.

Madame la Présidente, Monsieur l’Ambassadeur, Chers collègues, Mesdames, Messieurs,

Je souhaite cibler mon intervention en argumentant pourquoi la création ou le renforcement de réseaux  Euro-BRICS est un élément crucial pour sortir dans un élan commun de la crise, prise ici dans toutes ses dimensions.
L’effet accélérateur de cette crise met en évidence la conjonction avec une profonde crise scientifique. J’ai ainsi souhaité m’appuyer sur un rapide constat effectué dans trois disciplines scientifiques, choisies parmi les plus porteuses pour notre avenir : la cosmologie;  l’économie ; et enfin le développement de nouvelles sources d’énergie.

I/ Concernant la cosmologie

Il faut tout d’abord bien comprendre l’intérêt majeur de cette discipline pour l’humanité. Pour ne prendre que la civilisation européenne, depuis Ptolémée, Galilée, puis Newton, Einstein, les révolutions dans le domaine de la cosmologie ont énormément d'influence culturelle sur tous les peuples. En particulier, c'est parce que ces révolutions vont de pair avec une refonte de la physique fondamentale, et en résumé de la conception géométrique de l’univers. Par ce biais, la compréhension de l'infiniment grand et lointain nous éclaire en retour sur l'infiniment petit et proche. De manière simplifiée, cette révolution se propage ainsi de la physique la plus mathématique à la cosmologie, à la physique des particules puis à la maîtrise conceptuelle des interactions présentes à ces échelles, c’est à dire les sciences expérimentales; puis à la technologie qui vient outiller ces manipulations conceptuellement maîtrisées.

En 1997, l’astrophysicien Jean-Pierre Petit publiait « On a perdu la moitié de l’univers »  dans lequel il détaillait les limites, impasses et contradictions extraordinairement profondes du modèle cosmologique dit « standard », associé à la théorie dite des cordes.

En 2006 Lee Smolin a publié « Rien ne va plus en physique ! » [2].
Ce livre retrace trois décennies de ce qu'on pourrait qualifier de recherche forcenée menée par des milliers de chercheurs pour tenter de donner un nouveau souffle à la physique théorique. Il existait à ce jour plus de 100 000 publications dans le domaine de la théorie des cordes !
Smolin met en évidence :
  • d’une part que cette théorie n’a encore jamais apporté le moindre résultat ou prédiction concrète ; mais aussi que cette théorie n’est pas scientifiquement réfutable. Il n’existe pas d’expérience accessible qui puisse prouver ses prédictions (ou bien en utilisant 1 million de milliard de fois l’énergie du LHC, dont les équipes au CERN ont découvert récemment le boson de Higgs).
Pour Smolin en particulier cette démarche de réfutabilité est incontournable. Pour les partisans de la théorie des cordes, elle est simplement dépassée. Ils proclament par exemple comme justification "si ça n'est pas vrai, au moins c'est beau". Avec ces gens la science s’est perdue dans la simple esthétique.
  • D’autre part qu’un résultat fondamental publié en 1992 [3], et base de presque tous les travaux postérieurs dans cette discipline, n’était pas utilisé de manière mathématiquement correcte, et remet en cause l’intérêt de la quasi-totalité des travaux effectués depuis lors.

Alain Connes, médaille Fields, a ainsi écrit dans la préface : 
« Il y a là un réel problème, car la science n'avance pas sans confrontation avec la réalité. Il est parfaitement normal de laisser du temps à une théorie en gestation pour se développer sans pression extérieure. Il n'est pas contre pas normal qu'une théorie ait acquis le monopole de la physique théorique sans jamais la moindre confrontation avec la nature et les résultats expérimentaux (...). Il n'est pas sain que ce monopole prive des jeunes chercheurs de la possibilité de choisir d'autres voies, et que certains leaders de la théorie des cordes soient à ce point assurés de la domination sociologique, qu'ils puissent dire : ‘si une autre théorie réussit là où nous avons échoué, nous l'appellerons théorie des cordes’. »
Jean-Pierre Petit, initiateur d’une cosmologie alternative et féconde [1], a souligné peu après : 
« Même pour quelqu'un comme Woit  [4], une idée nouvelle ne pourrait émerger que "du sérail", de l'université de Columbia, ou de Princeton. Comment pourrais-je, moi, Français, retenir une seule seconde l'attention de ces gens ? »
Philip Anderson, prix Nobel de physique, a lui écrit à propos de la théorie des cordes : 
« Ce que je pense c'est que c'est la première fois depuis des siècles qu'une qu'on se trouve en science face à une démarche pré-Baconienne, qui n'est pas guidée par l'expérimentation. On propose un modèle de la Nature en souhaitant qu'elle s'y conforme et non en cherchant à s'approcher plus près du réel. Il est peu probable que la Nature se conforme à ce qui n'est autre qu'un souhait de notre part.

    Ce qui est triste, comme certains jeunes théoriciens me l'ont expliqué, c'est que ce secteur est si développé que c'est devenu une activité à plein temps, auto-suffisante. Ceci signifie de d'autres directions ne seront pas explorées par de jeunes chercheurs imaginatifs et que toute carrière tentant de se situer en dehors de ce domaine sera bloquée. »
On constate combien le parallèle avec les dogmes de l’économie néolibérale est frappant.

II / le débat en Économie

Le professeur Jacques Généreux a dénoncé en 2001 dans les Vraies Lois de l’Économie [5] la dérive scientiste du courant néolibéral, dominant en économie [6]. Il montre surtout par une simple étude bibliographique combien tous les éléments les plus fondamentaux de la théorie néolibérale (équilibre général des marchés initié par Walras) sont contraires à la réalité (homogénéité des produits, rendements factoriels constants, concurrence pure et parfaite, absence de cout fixe de production, équivalence de tous les acteurs, mobilité instantanée des personnes, absence de prise en compte du temps, et aussi atteinte de l’équilibre entre offre et demande par tâtonnement du marché…). Ces résultats ont été publiés depuis la fin des années 70 pour la plupart. Pourtant, combien d’économistes et de décideurs travaillent encore en utilisant ces conceptions dépassées ?

La discipline de l’économie doit rendre au final un seul service : celui de l’aide à la décision, en proposant des outils conceptuels performants pour anticiper les situations à venir. Généreux, et Granger avant lui, ont argumenté qu’il n’existe pas de lois en économie au même sens que les lois en physique. En économie, les seules lois valables sont les lois décidées par les hommes. D’où la nécessité de développer l’économie politique. Les lois du marché ne sont en réalité que des croyances.

Nous pouvons reprendre le discours qu'a récemment écrit le professeur Jean Gadrey à propos de la crise faisant rage dans la discipline de l'économie [7] pour l’étendre au domaine scientifique (au moins dans les disciplines mentionnées ici), ce qui donne :

« Le débat, de nature collective, devrait se dérouler d’une part au sein des associations de scientifiques, d’autre part dans tous les lieux, services publics, médias et associations où la démocratie scientifique et l’information scientifique sont considérées comme des biens communs à défendre.
Je crois en effet que les principales questions s’expriment moins en termes de conflits d’intérêts (bien que cette question reste à débattre) qu’en termes de PLURALISME, DE CONNIVENCE et de FORMATION DES CROYANCES SCIENTIFIQUES. Elles relèvent de la sociologie, des sciences politiques, de la philosophie morale et politique, de l’éthique professionnelle, plus que du droit et de la science.»

Un premier pas vers l’établissement de nouveaux lieux de discussions en économie est réalisé depuis mai 2011 avec la World Economics Association. [8] Signe d'une transparence accrue, il annonce à mes yeux une nécessaire et attendue démocratisation de la science.

III / Le développement des nouvelles sources d’énergie

Pour terminer, dans le domaine des nouvelles énergies, qui est sans doute le plus directement à même de modifier rapidement notre conception de l’avenir de l’humanité, les nouvelles idées porteuses peinent aussi énormément à émerger, victimes de groupes d’intérêts puissants. Je citerai par exemple :
  • les centrales utilisant la concentration solaire et des sels fondus caloporteurs, bien plus efficaces et écologiques que les panneaux solaires qui fleurissent, ou les centrales nucléaires ;[9]
  • la maîtrise de la magnétohydrodynamique (MHD) pour tout type de transport à vitesse hypersonique avec les technologies d’aujourd’hui; ce domaine a disparu des universités, capté pendant 30 ans par des recherches exclusivement militaires et secrètes, et commence à peine à revenir dans le domaine civil.
  • la maîtrise de la fusion par champs pulsés à haute fréquence (technologie des « Z-pinches »[10]), découverte en 2006, peut permettre une nouvelle révolution énergétique. Ce domaine de recherche est lui aussi en train de passer complètement sous le contrôle militaire mais des colloques scientifiques internationaux ont encore lieu tous les deux ans ; hélas l’Europe y est très peu représentée. Cette filière représente une alternative à ITER tout à fait intéressante, sachant que les faiblesses de conception font de ce dernier un projet sans issue (notamment à cause du phénomène des disruptions) en termes de coûts, de délai et surtout de fiabilité.[11] 
Ici en particulier, on assiste à la captation des budgets de recherche colossaux (15 milliards d’€) qui assèche les autres disciplines. Il faut défendre la voix d’idées alternatives tout à fait crédibles, dont le développement ne requiert qu'une faible fraction du budget d’ITER.

La démocratie scientifique comme réponse à la crise scientifique

Mon propos est bien de mettre en rapport la crise scientifique avec son groupe social actuellement dominant : la communauté scientifique, et de constater ses faiblesses. Les problèmes les plus aigus de cette communauté scientifique sont en résumé:
  • 1- absence de vraie confrontation ouverte des idées entre les chapelles ; au mieux chacune s'ignore et verse dans le copinage, au pire (quand une de ces chapelles devient socialement dominante) on organise honteusement la calomnie, le discrédit gratuit, la censure, l’étouffement, et l’éviction. De nombreux cas sont bien connus en France, le dernier ayant conduit cette année la justice à condamner un astrophysicien spécialiste de la théorie des cordes.[12]
  • 2- absence de vrai dialogue entre le reste de la société et les scientifiques ;
  • 3- absence de contrôle démocratique des stratégies de recherche, régulièrement aux mains de technocrates ou de décideurs à la vision très étroite. La science est un bien commun et un instrument au service des citoyens, dans les nombreux défis de l’humanité qui s’accumulent.

Au-delà de la perte profonde d'éthique scientifique d’une partie des acteurs en position dominante, c’est bien un signe que cette communauté n’est plus en état de gérer efficacement en son sein l’émergence de nouvelles idées scientifiques, de nouvelles conceptions, de nouveaux paradigmes. 
L’organisation actuelle de ce corps social est un frein à l'émergence de nouveaux modèles féconds, hélas au moment où l'humanité en a le plus besoin. Pour dénouer cette situation, un essor des réseaux scientifiques Euro-BRICS, dégagée de l’influence monopolaire anglo-saxonne et des acteurs actuels en pouvoir de blocage, est nécessaire. Il ne s’agit pas de construire de nouvelles institutions de recherche, mais bien en priorité d’offrir des nouveaux lieux d’expression, d’échanges, de traduction et de diffusion, et des nouveaux réseaux pour faire émerger des idées nouvelles sereinement débattues.

Dr. Bruno Paul, 27/09/2012


Références :

[1] a) Disponible sur Amazon en français. For english readers, most of this content is available in The Dark Side of the Universe and The twin universes. For reading this content in many others languages, please browse http://www.savoir-sans-frontieres.com ;
b) International Conference on Astrophysics and Cosmology « Where is the matter ? », Marseille, 06/2001; see also others previous related scientific publications and the 12/2007 publication about Bigravity as an interpretation of the cosmic acceleration.
[2] Livre en français ; book in english.
[3] La finitude mathématique de la théorie des cordes.
[4] Qui a pourtant lui aussi publié en 2006 un livre très critique sur la théorie des cordes.
[5] Les vraies lois de l’Économie, J. Généreux, 2001; also available in português (tome 1, tome 2).
[6] See also « Dismal science faces dismal future », ABC News, 11/2012.
[7] « Liaisons dangereuses, c’est le printemps ! », Alternatives Économiques, 03/2012.
[8] On lira en particulier l’article fondateur de la WEA : How to bring economics into the 3rd millennium by 2020”, real-world economics review, issue no. 54, 27 September 2010, pp. 89-102.
[9] a) Des générateurs de vapeur solaire sont déjà commercialisés par AREVA ;
e) Concentrated solar power, Wikipedia.org
[10] Controled fusion using Z-machine : first scientific papers in english.
[11] « ITER, Chronique d'une faillite annoncée », JP Petit, 10/2011 ; also available in english, espanol, italiano, russe.
[12] « Bogdanoff et parquet versus Riazuelo: le jugement », Science21/Courrier International, 04/2012


2012/11/20

Audit the Fed: où en est-on ?

Avec le démarrage de la nouvelle session du Congrès américain (lame duck session) le 13 novembre, la question du règlement politique du mur fiscal (fiscal cliff) est sur toutes les lèvres. Il est assuré qu'un accord sera trouvé, mais il le sera à la dernière minute, voire même le lendemain, pour la plus grande joie des télévisions qui se relaieront pour essayer de nous tenir en haleine pour ce réveillon. 

Peine perdue, il n'y a pas de vrai suspense: avec les mêmes joueurs en piste ce sera encore un accord négocié "à la Obama", c'est à dire perdant pour les Démocrates, et surtout perdant pour le peuple américain et son avenir. Dans tous les cas de figures, le budget militaire américain ne sera que vaguement écorné, qui dans le scénario extrême restera à son niveau de 2008, c'est à dire un budget qui reflète encore un gouvernement en état de guerre permanent depuis la guerre de Corée. (Pour plus de détails voir au bas de cette page, section "United States Defense Spending history"). Cette messe est déjà dite, contrairement à ce que l'agitation médiatique voudrait que nous pensions.

Dépenses militaires des U.S. (% PNB), 
en dollars constant de 2003 (source: wikimedia.org)

C'est pourquoi je pense plus intéressant de s'attarder sur le projet de loi "Audit the Fed" et sur son développement. Ce projet est une initiative du Représentant Ron Paul (Républicain), qu'il a lancé voici déjà 10 ans alors qu'il était président du Parti Libertarien. Il a su patiemment rallier d'autres Représentants à cette cause, faire fi d'autres projets de lois, audits ou déclarations partiels, et à pu entamer un processus de débat officiel à la Chambre des Représentants. La proposition a été officiellement enregistrée en janvier 2011 (Federal Reserve Transparency Act of 2012 - HR 459), et à été votée par la Chambre le 25 Juillet 2012 avec une majorité plus large que les 2/3 des voix qui étaient nécessaires.
On pourrait imaginer que cette victoire est un beau cadeau de départ à la retraite de Ron Paul (77 ans) qui quitte son poste fin décembre, et que la Fed va ouvrir demain aux auditeurs du Congrès tous ses livres de compte, ce qu'elle avait très partiellement commencé à faire, et qui a déjà révélé officiellement des malversations de plusieurs trillions (!) de dollar, à ce jour encore impunies.

Mais le processus législatif pour cette proposition de loi est loin d'être terminé puisque le Sénat doit maintenant le reprendre au début ! Avec l'actuelle majorité Démocrate au Sénat, son Leader qui a déclaré qu'il n'était pas pressé de mettre cette discussion à l'ordre du jour, et un Président Démocrate qui peut mettre son véto ensuite, cette proposition ne sera pas une loi en vigueur de sitôt. On observe pourtant que la proposition au Sénat (S 202), dirigée par le fils de Ron Paul, gagne petit à petit des sénateurs co-sponsors officiels: désormais 37 sur les 100 sénateurs qui siègent, les 3 derniers enregistrés le 13 novembre. C'est déjà considérable, bien que n'atteignant pas encore le ratio observé à la Chambre des Représentants: 274 co-sponsors officiels sur les 435 qui siègent, avant le début du vote. Cette pression croissante obtenue en grande partie par les citoyens qui militent auprès de leur Sénateur, devrait contraindre le Sénat à débattre la proposition avant la fin 2013.

Outre une volonté de transparence des actions de la Fed qui serait gravée dans la loi, son approbation serait une victoire politique très significative d'un mouvement démocratique qui réunit des citoyens américains de tous partis, fédératrice, et sans commune mesure avec l'élection d'Obama ou d'un quelconque Président.

2012/10/31

Courage et Honneur


 Le 30 Octobre 2012, Franck Biancheri est décédé. Son oeuvre est plus que jamais vivante.

Vous ne pouvez comprendre l'Europe d'aujourd'hui et le monde de demain si vous ignorez ce qu'il a apporté.
Nous tous lui devons beaucoup.
Plus que sa mémoire et sa lucidité, cet homme politique d'action et de courage, pétri de démocratie, nous a légué des idées et concepts qui ont marqué et marqueront notre Histoire. Il est un repère de notre conscience sociale.

2012/10/02

La minute nécessaire

  vient de publier un article à propos de la volonté affirmée des pays de la zone euro, qui est un modèle d'amalgames et de comparaisons approximatives. 

Pour présenter sa construction rhétorique, j'ai choisi de reprendre son texte en remplaçant les termes "l'euro / L'Europe" par "la politique sécuritaire / les Etats-Unis". Voyons ce que ca donne :

"Présenter la politique sécuritaire des Etats-Unis comme un choix irréversible permet de maintenir une pression plus forte sur les pays « sous protection » et leurs populations.  
Depuis la fin des années 1970, la théorie des jeux s’est répandue dans les milieux universitaires, ce qui a conduit les « macroéconomistes » à insister sur la  notion d’engagement  – une stratégie qui  limite le degré de liberté des décideurs politiques.  
Même si elle n’est pas historiquement exacte, la légende de Hernan Cortés est l’un des meilleurs exemples d’engagement stratégique. Voulant conquérir le Mexique, il décida de brûler les navires sur lesquels il était venu d’Espagne avec son armée. A première vue cet acte parait insensé : pourquoi détruire volontairement le seul moyen de se sauver en cas de défaite ? Cortés aurait expliqué qu’il a fait cela pour motiver ses troupes. Sans fuite possible, les soldats étaient encore plus motivés pour l’emporter. Alexandre le Grand aurait fait quelque chose d’analogue lors de la conquête de la Perse.  
Pour être efficace, un engagement stratégique doit être crédible – autrement dit, il doit avoir un caractère irréversible. En ce sens, la stratégie de Cortés était parfaite: en cas de défaite, les Espagnols ne pouvaient reconstruire les navires brulés. Mais un engagement stratégique doit aussi être coûteux en cas d’échec: si Cortés avait perdu, aucun soldat espagnol n’en serait sorti vivant. C’est ce qui a contribué à motiver ses troupes. S’il avait échoué, il aurait sombré dans l’oubli ou aurait laissé l’image d’un illuminé et arrogant, se croyant capable de battre tout un empire.  
La création des banques centrales a été l’une des premières applications de cette stratégie à la politique économique. On dit que les responsables monétaires doivent être indépendants du système politique, parce qu’à l’approche d’élections, les dirigeants élus risquent de faire pression sur eux pour faire baisser provisoirement le chômage, même si cela entraîne une inflation permanente. Pour éviter cette situation, les États doivent isoler les responsables des banques centrales des interférences politiques.  
Beaucoup de « macroéconomistes » attribuent la baisse continue de l’inflation depuis le début des années 1980 à cette stratégie appliquée un peu partout. Encouragés par leur succès, les dirigeants politiques ont commencé à l’utiliser dans d’autres domaines. Ainsi ils ont «vendu» la libéralisation financière à l’opinion publique comme un engagement en faveur d’une politique favorable aux marchés. Si un gouvernement ne s’y conformait pas, la fuite des capitaux le mettrait à genoux.
Les emprunts colossaux réalisés par les États auprès de l’étranger, des caisses d’émission monétaire ou même d’unions monétaires relèvent de la même stratégie.  La création d’une politique sécuritaire mondiale n’est rien d’autre qu’une forme extrême d’engagement : les Etats-Unis ont essayé de lier leur sort à la discipline d’achats des bons du Trésor US par les autres pays.

Le recours de plus en plus fréquent à cette stratégie pose la question de la démocratie. Cortés n’a pas fait de sondage avant de brûler ses navires. La stratégie d’engagement stimule la motivation, mais elle est risquée.  
Heureusement, aujourd’hui ce sont des gouvernements élus démocratiquement qui prennent ces décisions censées traduire la volonté du peuple. Mais étant donné leur nature, ces décisions méritent un examen tout particulier, car elles sont par essence irréversibles.  Liant les mains des gouvernements à venir, elles sont équivalentes à des amendements constitutionnels . De ce fait leur adoption devrait être soumise à un processus d’approbation spécifique.
Cette question est cruciale quand l’engagement présente des avantages plus attirants à court terme que celui de brûler les navires. Ainsi, quand le gouvernement US commence à emprunter à l’étranger pour financer en priorité sa politique sécuritaire, ou choisit d’entrer dans une guerre au nom de la démocratie, la sécurité des citoyens parait mieux garantie. Ce type d’avantage immédiat est bien plus visible que le coût potentiel de l’engagement dans le futur. Avec cette stratégie, un gouvernement machiavélique peut pousser un électorat réticent à accepter une politique contraire à sa volonté.
C’est là que réside le problème. Pour les pétro monarchies, le Japon et UK, mais en premier lieu pour les élus US, accepter la politique sécuritaire a été – explicitement ou pas – un moyen de contraindre leur population à accepter un certain degré de perte de liberté qu’elle n’aurait pas adoptée d’elle-même. S’agissait-il d’une décision démocratique ou de la manipulation de la population par une élite «éclairée»?
Je crains que cette dernière hypothèse ne soit la bonne, ce qui pourrait expliquer le ressentiment qui monte contre les Etats-Unis. Et pour couronner le tout, certains dirigeants US n’assument pas leurs décisions passées. Ils ne veulent pas admettre que ce sont eux ou leurs prédécesseurs qui ont brûlé les navires. Ils rejettent la responsabilité sur le terrorisme. Aussi, la politique sécuritaire des Etats-Unis, au lieu de favoriser sa cohésion sociale, divise encore davantage."

Etonnant, non ? 

2012/07/11

Les barbares financiers


Les financiers aiment se représenter en classe sociale très supérieure, une jet set bien au dessus des autres mortels. On leur invente des termes qui les isolent socialement, pour mieux les démarquer : on les appelle les working rich.

Pourtant les autres gens leur trouvaient bien des défauts, et notamment sur leur déficience morale. Des comparaisons cliniques avec les profils de psychopathes patentés ont déjà été dressées, sans compter que certains économistes comme Roubini commencent à évoquer la nécessité d'en lyncher un.

En plein scandale du Libor, connu des spécialistes depuis au moins 10 ans et qui ne sort qu'aujourd'hui aux yeux du grand public (donc encore un signe que la crise est un dévoilement, une chute du monde d'avant), voici publiée une nouvelle approche de ces déviants sociaux, qui présente l'intérêt d'être statistique et par auto-évaluation des concernés. On apprend ainsi que :
  • 24% des dirigeants de Wall Street et de la Bourse de Londres estiment que des conduites malhonnêtes ou illégales sont nécessaires pour réussir dans le monde de la finance (22% aux US, 25% au UK),
  • 16 % d'entre eux ont admis qu'ils n'hésiteraient pas à commettre un délit boursier, tel que le délit d'initié s'ils pouvaient s'en tirer sans poursuites,
  • 39 % des cadres interrogés estiment que leurs concurrents ont déjà pratiqué des activités illégales ou malhonnêtes (40% aux US, 36% au UK),
  • 30 % d'entre eux affirment que leurs salaires ou leurs bonus les poussent à enfreindre le code de déontologie (28% aux US, 32% au UK), et 23% affirment que d'autres pressions s'exercent pour qu'ils le fassent (19% aux US, 26% au UK),
  • 41% des interrogés seulement affirment qu'il est tout à fait certain que leur staff n'a pas eu besoin d'employer des pratiques non éthiques ou illégales pour gagner (43% aux US, 39% au UK),
  • Seulement 55% des interrogés affirment qu'ils ne commetraient pas d'activités illégales ou non-éthiques pour gagner 10 millions de $, 
  • 30% seulement des interrogés estiment que la repression des crimes financiers par la SEC/SFO est efficace (26% aux US, 34% au UK),
  • 14% des interrogés affirment qu'ils subiraient des répercussions négatives de la part de leur employeur si ils dénonçaient formellement un cas de violation de la loi ou de l'éthique; seulement 35% estiment certain que leur employeur ne le ferait pas.
Il ne s'agit pas de s'effaroucher devant ces chiffres, mais bien de comprendre que cette industrie est tellement gangrénée par les déficiences morales qu'il est impossible qu'elle reprenne d'elle même le droit chemin et abandonne ses mauvaises pratiques. Toute transformation sociale efficace dans ce groupe ne pourra venir que d'une pression accrue de l'extérieur, qui passe tout d'abord par un remplacement complet et rapide de tous les cercles dirigeants, dans tout cet écosystème. Inutile de dire que nous en sommes encore très loin. La conclusion sur laquelle nous devons donc nous appuyer pour anticiper les évènements à venir c'est que ces pratiques vont perdurer et encore davantage se renforcer, car elles s'apparentent à de la prédation nuisible. A la différence d'un parasite, un nuisible ne s'arrête jamais de lui même de dévorer. Il est insatiable.  Mais il n'est fort que parce que son hôte le laisse faire. Le système social évolue donc par à-coup brusques, et non pas par régulation continue et progressive. 
Au delà d'actions individuelles sporadiques, la première étape sociale à surveiller est la montée en puissance de la notion de crime financier dans le droit, et des retorsions effectivement entreprises. La deuxième étape est l'appui sur ce droit pour établir des barrières géographiques sur les flux financiers (ce qui est techniquement très aisé à réaliser), et sur l'éjection de certaines entreprises au delà de ces frontières, par décret. Socialement, le banissement est une solution bien plus efficace que le lynchage. Une forme plus temporaire est l'ostracisme, qui est lui aussi un mécanisme d'auto-défense populaire, un vote de défiance politique.

Sources de l'étude
Tricher est nécessaire selon 24 % des cadres de Wall Street et de la City, Le Monde, 07/2012

2012/05/25

La démocratie scientifique comme réponse à la crise scientifique

 Pour faire suite au débat engagé avec Anonyme à propos de mon précédent article sur la crise scientifique en cosmologie, je voudrais étendre au domaine scientifique ce qu'a récemment écrit le professeur Jean Gadrey à propos d'une crise similaire faisant rage dans la discipline de l'économie
Le débat, de nature collective, devrait selon moi se dérouler d’une part au sein des associations de scientifiques, d’autre part dans tous les lieux, services publics, médias et associations où la démocratie scientifique et l’information scientifique sont considérées comme des biens communs à défendre.
Je crois pour ma part que les principales questions s’expriment moins en termes de conflits d’intérêts (bien que cette question reste à débattre) qu’en termes de PLURALISME, DE CONNIVENCE ET DE FORMATION DES CROYANCES SCIENTIFIQUES. Elles relèvent de la sociologie, des sciences politiques, de la philosophie morale et politique, de l’éthique professionnelle, plus que du droit et de la science.

Voilà éclairci le fondement de ma démarche, que l'on retrouve également poussée par la fondation Sciences Citoyennes.

Ajout le 11/06/2013:
Automne 2011.
"Conclusion: Science as politics
Beyond the specificity of the institution studied, the EHESS, we find here some scientific processes characterized by a kind of generality. We can see that local paradigmatic change is a violent social process that breaks down the traditional reciprocity of social exchange. Asymmetric relations and exclusion are at the heart of these dynamics, and it is more about transforming existing legitimacies than settling scientific disputes. The more radical the change is, the more likely new entrants will have to build their legitimacy through some kind of detour at the borderlines of other fields in order to transform value into different forms that could make sense in other fields and, in return, support their strategy within their own field. Possession of international capital is not the least advantageous building block for the construction of robust scientific strategies.
The study also documents the fact that scientific life in general and, moreover, paradigmatic change are not only a question of truth, of evidences, and of proofs but also of politics. Evaluating, influencing, building coalitions, voting, and selecting are regular practices both within disciplines and in wider interdisciplinary arenas when articles are submitted, grants are distributed (Lamont, 2009), positions are opened (Musselin, 2005), and candidates are selected. The importance of votes or of quasi-votes enables us to view science as politics. But this brand of politics is special, as we find no left-wing axis and no natural median voter. "

 

2012/04/03

Le devoir du citoyen

 Ce devoir, c'est celui de s'informer, et d'informer. Plus exactement, dans nos sociétés au consentement fabriqué, c'est celui de bien s'informer, et de bien informer. Le citoyen ne doit pas rester un simple réceptacle, ou une courroie mécanique de transmission, il doit exacerber son rôle de relai actif de l'information. Chaque parole politique est aussi un acte de journalisme. 

En voici une illustration ce matin : Le Monde publie un article de Jean-Marc Ferry : "Les candidats face au défi européen".
Sachant l'importance absolument cruciale de ce thème pour la sortie de la crise systémique mondiale, il a attiré toute mon attention. 
Je dois dire que j'ai été immédiatement déçu par la couverture imparfaite du programme européen de François Hollande. Comme il n'est pas possible de commenter sur le site du Monde sans être abonné, j'ai donc immédiatement contacté l'auteur en personne. Le relai actif que j'ai mentionné.
Il m'a répondu aussitôt, et c'est avec son autorisation que je publie ici mon commentaire et sa réponse. Je l'en remercie sincèrement pour cette démonstration de transparence du débat entre citoyens, dans cette campagne aux enjeux historiques.

Monsieur Ferry,

vous écrivez dans votre article du 02/04 : "Sur le fond, il n'y a pas de vision institutionnelle novatrice concernant l'UE. [dans le programme de F. Hollande]"

Je tiens pourtant à porter à votre connaissance le discours suivant de F. Hollande sur l'Europe :

"L’Europe doit être aussi mieux gouvernée. C’est le rôle du Conseil européen, des chefs d’Etat et de gouvernement. C’est le rôle, aussi, des institutions communautaires – que je respecte. L’Europe a avancé quand elle a été capable d’avoir des chefs d’Etat et de gouvernement qui avaient une vision, mais aussi des institutions communautaires qui prenaient l’initiative, qui anticipaient, qui traduisaient, qui engageaient. Et un Parlement européen qui faisait entendre sa voix. Et c’est pourquoi nous devons aller vers une responsabilité encore plus grande de la Commission européenne devant le Parlement européen, et du président de la Commission européenne devant le Parlement européen."

Pensez-vous vraiment qu'il ne s'agit pas là d'une vision institutionnelle très novatrice concernant l'UE ? Et sans équivalent dans les discours des autres candidats ? Et à même de permettre enfin le contrôle de l'Europe par les citoyens au travers de représentants directement élus ?

Je suis disposé à en débattre avec vous, afin que vous puissiez publier un correctif de votre article, au moins pour rétablir cette vérité sur le programme de F. Hollande.

Cordiales salutations,

--Bruno Paul 
Transparence.me - Conscience Sociale - Democratie Agile - Twitter - Facebook - LinkedIn - Viadeo - G+
Et sa réponse :
Cher Bruno Paul,

Je vous remercie pour cette mise au point. Je me suis en effet indexé sur le programme (en ligne) du Parti Socialiste, et je reconnais ne pas avoir intégré ce discours de François Hollande, dont je partage le schéma en ce qui concerne le retour à la méthode communautaire, moyennant une légitimité renforcée du Président de la Commission (voire de l'Union en général), ce qui implique sans doute une réforme profonde de son mode
d'investiture.

Le Monde tenait à ce que j'évoque les programmes. J'ai donc dû en insérer dans mon article un (trop) rapide aperçu. Cependant mon souci principal était plutôt de faire passer l'idée relative à la sortie de crise.

Bien cordialement, JMF

Prof. Jean-Marc Ferry
http://users.skynet.be/sky95042

Chaire de Philosophie de l'Europe
Université de Nantes
jean-marc.ferry@univ-nantes.fr

Université libre de Bruxelles
jferry@ulb.ac.be

Dont acte.

2012/02/22

US challenges (summary)

 The European Centre for International Political Economy has recently released a paper about China's challenges. I disagree with most of its content, and even more with what is not mentioned about US when the author is comparing both countries. I then noticed that little changes like swaping China with US in the text, adding new links, will reveal much of the other side of the story. Here is the resulting new text.


SUMMARY :
The global economic crisis has changed the perception that many countries shared on US. It is no longer viewed as a financial paymaster, but rather an unruly and disruptive potential pupil. Hence the aim of this paper is to identify and describe the challenges that US is facing in its new role. This paper argues that American developments in all three areas are imposing increasing strains on the country’s political system and institutions and demand new approaches both inside and outside the country. The future for the country is still uncertain due to many vulnerabilities in economic, domestic and foreign policy.

Economists forecast that China’s GDP is to exceed that of the US within a decade or two. Although these predictions may get little attention among investors, it is also worth remembering that they are based on simple extrapolations of the past. Yet, challenges such as the confirmed obsolescence of growth model, the growing pressure of unemployment, and the lack of diversification lie ahead for US. These challenges need to be faced by a new government and policy that will balance the fiscal situation and put US back on track for fast economic growth. Besides, domestic policies face the challenge of rapid escalation of social unrest among US’s population. The increasing number of ‘mass incidents’ (and Occupy Movement) across US, the huge number of people who have access to the Internet and the free exchange of information via ‘micro-blogs’ and tweeting networks, on which 240 million American netizens (as Internet users are known) express their grievances represent a threat to the existing system. Although the traditional bi-Party still commands big respect among richer citizens the level of corruption is alarming and has started to bother younger and poorer generations. And yet, the rulers in US are still a long way from formulating a coherent response to the demands of an increasingly impatient public.

As is the case for its domestic policy, US’s foreign relations are rooted in one fundamental imperative: keeping its regime in power. The government is ready to do whatever is necessary to maintain bloodless growth by keeping financial markets under perfusion, securing access to energy and natural resources worldwide and preventing the economy from being blown off course by external shock. Since Washington has few military allies its international influence is exercised largely through the medium of money and the language of brute force. However, the huge dependency on the global economy will sooner or later become too important for US to remain on the diplomatic sidelines.

There is growing evidence of broadbased popular demand for democracy (Wikileaks, Anonymous, growing debate to end bi-partism or to reform the US constitution), and the pressure for change is increasing. The government’s legitimacy – based on performance – is coming under strain from several directions and these challenges, which are both economic and political, need to be addressed. However, US’s bi-Party system has not yet formulated a clear, effective response strategy. For the rest of the world, the only realistic option is to continue trying to engage US pragmatically but without conceding on essential principles : the usual rules from the XXth century are broken, the dollar cannot remain the global trade currency, whatever the US’s military dominance currently. We are entering a new era, a post-US dollar world, and to remain peg with the dollar will doom your own currency as well.

2012/01/01

Bonne année démocratique et agile

En guise de voeux pour cette année, voici une initiative collaborative très stimulante pour dynamiser nos vieilles démocraties. Avec la naissance de l'Euroland qui se poursuit dans la grande crise systémique mondiale, le besoin de contrôle démocratique des nouvelles institutions n'a jamais été aussi pressant, appelé par toutes les voix et nécessaire pour la stabilité sociale de ces nouveaux grands ensembles humains.

Lisez le Manifeste pour un Développement Agile de la Démocratie et suivez #MDAD ou #democratieAgile sur Twitter. Votre  participation est vivement souhaitée !

N'oubliez pas :
"Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s'occupe de vous tout de même." (C. Forbes, comte de Montalembert, 1810 – 1870)

2011/12/06

De l’utopie réaliste à l’anticipation politique

Il y a presque 2 ans, le blog de Paul Jorion lançait comme initiative collective "l’inventaire de demain". Et il y a quelques jours, François Leclerc faisait le bilan de cette « projection dans l’avenir » :
« De notre production collective, il n’est pas encore ressorti cette esquisse de la société de demain que l’on espérait en voir surgir… Nous sommes pourtant en retard sur l’événement. La crise elle-même a déjà produit des réactions qui auraient mérité de figurer dans un inventaire qui n’est pas, il s’en faut, terminé »

Et en forme de volonté de rebondir, le blog de Paul Jorion lançait alors un deuxième Appel à Contributions sur « l’Utopie Réaliste : un partage des visions du socle des grands principes d’une nouvelle société , en rupture avec celle qui est aujourd’hui entrée dans une crise de longue durée et ne s’en remet pas. En s’attachant à dégager ses valeurs, ses mécanismes, les comportements sur lesquels elle reposerait. »

Nous pouvons donc légitimement faire les observations suivantes :
  • Primo, malgré le nombre très impressionnant de visites sur le site en question, la production d’idées en 2 ans a été faible. Le ratio est grosso modo de 1 contribution pour 18000 visites. Ce n’est pas surprenant puisque ça correspond à l’ordre de grandeur connu pour les processus collaboratifs sur internet (User Generated Content), mais c’est bien de le remarquer à nouveau sur un sujet directement en relation avec la crise.
  • Secundo, les contributions reçues n’ont pas réussi à se projeter dans l’avenir, ce qui était pourtant bien le but escompté de l’initiative. La mention de l’adjectif réaliste qualifie bien cette exigence initiale de l’utopie.
  • Tertio, la prise de conscience des animateurs du blog de Paul Jorion du déplacement nécessaire de la réflexion économique vers la sphère politique : alors que la première mouture s’attachait simplement à collecter des recettes locales de mode de production ou de distribution, des modèles alternatifs économiques ou monétaires, la deuxième initiative se veut comme un brouillon sinon d’une nouvelle constitution, du moins de principes faisant société, ce qui est bien la définition première du politique. On notera aussi les initiatives récentes des animateurs du site de se diversifier ou de se ressourcer en se rapprochant de courants sociologiques, Stiegler et Ars Industrialis en particulier. En effet l’économie n’est rien d'autre que l’expression de la loi des hommes. Quand celle-ci connait une révolution, l’obsolescence arrive à grand pas, et le temps n’est pas loin où les économistes néo classiques seront regardés comme nous considérons aujourd’hui les astrologues du moyen-âge ou les médecins pédants moqués par Molière. C’est une tendance générale attendue dont nous saluons ici une première manifestation concrète.
  • Quarto, on remarque l’absence de moyens concrets proposés, de démarche intellectuelle, pour pouvoir ancrer les contributions à la projection dans le futur dans le réel. Cette démarche existe pourtant depuis quelques années, c’est celle de l’anticipation politique tout simplement. A la différence de l’Utopie qui débat sans contraintes, et donc sans application concrète et rapide, l’anticipation politique permet de focaliser la réflexion sur les tendances lourdes qui vont apparaître, et qui ne sont encore aujourd’hui que des signaux faibles. L’ancrage dans le réel est dès lors immédiat, et de cette démarche réaliste, on peut en tirer une capacité prédictive très efficace, en particulier dans les périodes de rupture. C’est bien ce qui est mis en œuvre par les membres du think-tank L.E.A.P depuis 2003, avec un taux de succès de prédiction supérieur à tout autre groupe.
En conclusion, notre propre contribution à l’initiative collaborative sus-citée se situe donc sur 2 axes :
D’une part un conseil fondamental : pour réussir son volet réaliste, cette initiative devra utiliser la démarche d’anticipation politique ;
D’autre part une mise en application de cette démarche sur les valeurs, mécanismes, et comportements sur lesquels reposerait la société future : voir par exemple mes articles déjà parus

Enfin, insistons sur un volet déjà signalé par un participant : celui de l’effort indispensable de plus grande démocratisation de notre vie politique nationale et européenne, et de réapprentissage de l’engagement politique du citoyen, sans lesquels toute proposition d’amélioration de la société bénéficiant au plus grand nombre sera rapidement remise en question.
Cette démocratisation et cet apprentissage politique devrait commencer, non pas par une proposition de constitution d’une société révée comme idéale par quelques-uns, mais dans le prolongement des valeurs expliquées dans les articles ci-dessus, par un Manifeste pour une Politique Agile qui serait constitué à l’image du Manifeste pour le développement Agile de logiciels :
  • 1 texte sous licence libre permettant des traductions, 1 pétition en ligne
  • 4 valeurs fondamentales, et 12 principes courts et immédiatement compréhensibles, qui explique les devoirs et l’éthique d’un représentant politique en commençant par la transparence, ainsi que les principes de la démarche d’élaboration des nouvelles politiques de manière profondément ouverte et collaborative, notamment en privilégiant la prise en compte du long terme et des futures générations.
En cette années d'élections majeures à travers toute l'Europe, ce Manifeste, après avoir reçu la signature d'un million de citoyens à travers l'Europe, inciterait immédiatement tous les leaders politiques à se positionner publiquement sur le Manifeste pour suivre ses recommendations ou pas. Il rentrerait donc de facto en usage, signifiant le succès de la première action d'une démocratique réelle.

L'année électorale qui vient offre une occasion unique aux citoyens de l'Europe d'inciter efficacement les leaders politiques à prendre les bonnes décisions, en cohérence avec leurs aspirations à une meilleure société et surtout pour pouvoir résister collectivement aux dangers majeurs  qui nous assaillent : guerre monétaire par les banquiers de Wall Street et leurs alliés de la City, montée en force des courants anti-démocratiques et autoritaires en Europe. 

[Pour la suite de cette idée, voir le site agile-democratie.net. Le manifeste a été mis en ligne le 10/12/2011]

2011/11/21

MHD would allow warfare's paradigm change... instead of civilisation change.

Source: JP Petit
 Mach 5 : here is the first public test of hypersonic weapons by the Pentagon. (See also refs BBC, defense.gov, globalsecurity.org). After MHD torpedoes, hypersonic missiles are changing the way warfare can be done. It's like being before or after V2 missiles strike in 1944. But this has not prevent the german third reich empire to breakdown just few months after.

This field test is not described as using MHD technology, but using a rocket launcher and a glide effect. If MHD could be confirmed, it will announce for the next few years operationnal MHD based hypersonic aircraft fighters and drones, as it is already planned for hypersonic gliders used as drones

MHD is a scientific revolution, and also by far the biggest US counter intelligence operation of the last 50 years. This scientific breach was totally blocked and only military research was allowed. All these facts were described in scientific details since decades by Dr JP Petit in many books like "Ovnis et armes secrètes américaines".

This was not the only possible way... use of MHD technology could have been civil oriented, with a revolutionary impact on carbon reduction, energy production and in short the way in which any transport can be performed. We can still ask for this. This is our democratic duty, before it is too late. Let's start using Euroland's current new democratic refoundation to enforce this direction.

Note: the previous Mach 20 experiment in August is neither described  as using MHD technology. It is also described as a simple glider on the uppest layers of the atmosphere.


2011/07/23

Le S de BRICS doit nous inspirer

 Ce S désigne l’Afrique du Sud bien sûr. L’Egyptien Serageldin a introduit son dernier discours “The Making of Social Justice: Pluralism, Cohesion and Social Participation” à Johannesburg par ces mots :

"Apartheid was the epitome of social injustice, and its overthrow was a great moral victory for freedom, equality and justice.  The light shining from South Africa has finally reached the northern part of the continent."
Après avoir lu son discours, vous pourrez ici pour vous replonger dans la récente histoire de ce pays, qui a vu l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela. Dans un pays socialement au bord du gouffre, cette transition s’effectue sans les atrocités qui accompagnent le plus souvent les révolutions. Comment cela a t’il pu se produire ? N’y a t’il pas des leçons à en tirer pour notre présent, dans un contexte de transition démographique dans de nombreux pays ? Voilà les questions à l’origine de ce texte, rédigé fin 2009 et que je publie aujourd’hui.

Une anticipation politique rétrospective: la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud pouvait-elle être anticipée ?

Nous retenons comme définition de l’Apartheid celle de «développement spatialement séparé», donnant un contenu géographique strict à une politique de discrimination raciale apparue dès le Land Act de 1913, puis largement développée et renforcée par le Parti National à partir de 1948.
La date précise de la fin de l’Apartheid ne fait pas consensus. Ici, puisque l’Apartheid est avant tout l’expression d’une politique, nous choisissons de retenir la date du 5 Juin 1991, quand le Parlement a abrogé les Land, Group et Population Registration Act.
Ce fait établi de manière formelle la volonté de changement de politique.
Nous n’avons pas retenu les dates du 11 février 1990 (libération de prison de Nelson Mandela), celle du Prix Nobel de la paix le 15 Octobre 1993 pour Mandela et De Klerk ou celle des premières élections multiraciales des députés à l’Assemblée Nationale et de la dissolution des bantoustans le 27 avril 1994, et qui vit la victoire de l’African National Congress (ANC). Ces députés ont ensuite élu le 9 mai 1994 Nelson Mandela à la présidence de la République.
La fin de l’Apartheid est clairement un processus qui s’est étendu sur plusieurs années, et qui d’une certaine façon continue encore de nos jours : « depuis 1994, seulement 3,6 % des fermes ont été redistribuées aux 1,2 million de noirs alors que 60 000 blancs possèdent et gèrent toujours 80 % des surfaces cultivables. Le gouvernement s'était donné en 1994 comme objectif de redistribuer 30 % des terres d’ici 2014. » (1)
La façon dont il s’est dénoué après 1991 n’est certes pas du au hasard, mais ce n’était qu’une voie possible parmi d’autres, beaucoup plus chaotiques, mais qui aurait toutes conduit à la fin du développement géographiquement séparé entre ethnies.
Nous retiendrons donc en particulier dans notre analyse les faits et évènements antérieurs à juin 1991, ou les données applicables à cette période. Pour une brève chronologie des évènements historiques ultérieurs, le lecteur pourra se reporter aux références 1 et 2.
Nous nous proposons d’analyser à la fois le Comment, c'est-à-dire l’analyse rétrospective des données de court ou moyen terme internes à l’Afrique du Sud qui pouvaient être utilisées pour anticiper la fin de l’apartheid, mais aussi commencer par le Pourquoi, c'est-à-dire à éclairer les tendances de fond et les interactions avec les autres nations, et en particulier la géostratégie, la géopolitique et la géoéconomie.

Synthèse géopolitique et géostratégique de l’Afrique du Sud avant 1991

La géopolitique doit évidemment prendre en compte les évènements suivants :
  • la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 et l’effondrement très rapide de l’URSS
  • l’indépendance le 21 mars 1990 de la Namibie
  • l'invasion du Koweït par l'Irak à partir du 2 août 1990, et le début de l’offensive militaire des Alliés contre l’Irak le 16 janvier 1991
Le conflit depuis 1945 entre les USA et l’URSS avait donné lieu en Afrique australe à une position bien définie :
  • Une alliance de l’Afrique du Sud avec les USA au moins jusqu’en 1975
  • L’Afrique du Sud comme puissance régionale, avec une influence stratégique sur ses voisins : le Botswana, le Zimbabwe, le Mozambique, la Zambie, le Malawi et au nord la Tanzanie (Madagascar restant isolée des affaires continentales) c'est-à-dire hors de la « diagonale du vide » et de la sphère d’influence de la Françafrique. Cette influence se concrétise dans la main mise de l’Afrique du Sud sur toutes les principales lignes de chemin de fer dans l’Afrique Australe (1, et Atlas Geostratégique 2009, Diplomatie HS 10), contrôlant ainsi tous les acheminements de matières premières dont la région est particulièrement riche (or, diamant, uranium, métaux mais aussi pétrole & gaz…) vers les ports des différents pays.
  • L’Angola comme seul pays résistant durablement à l’influence régionale de l’Afrique du Sud (1)
  • Un soutien marqué du bloc soviétique en Angola depuis 1975 (via notamment les 55000 militaires envoyés par Cuba)
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La crise Angolaise entre le MPLA au pouvoir, l’UNITA et leurs soutiens étrangers respectifs va connaître un dénouement historique le 15 novembre 1988 à Genève, par un accord entre Angola, Afrique du Sud, USA et Cuba, suite aux avancées du 20 Juillet et de l’accord de paix du 22 aout 1988 entre l’Angola et l’Afrique du Sud (1). C’est cet accord qui prépare le terrain pour l’indépendance de la Namibie en 1990, laquelle était jusqu’alors une province administrée par Pretoria. Bien que les USA aient aidé l’UNITA à partir de 1986, ils vont faire pression sur l’Afrique du Sud pour accepter l’’indépendance de la Namibie en échange du retrait des troupes Cubaines.
Au chapitre des causes de cet accord, on peut dire que si l’URSS avait fait la preuve en 1975 de sa réelle capacité à se projeter militairement (avec Cuba) loin de ses bases (et pour la première fois dans un pays du Tiers Monde), cet accord de 1988 souligne la volonté de l’URSS de se désengager de ses positions lointaines… un prémisse parmi d’autres de la chute du Mur de Berlin.
Au chapitre des conséquences de cet accord, on peut dire que les USA en sortent vainqueurs :
  • les importations d’Angola vers les USA ont été multipliées par presque 2,9 entre 1988 et 2000, et encore par 5,3 entre 2000 et 2008 (1). En 2008, l’Angola fournit 4,5% du total du pétrole importé par les USA, presque autant que l’Iraq et seulement 2 fois moins que l’Arabie Saoudite (1).
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  • Les premières lois à être votées par les nouveaux régimes en Angola et en Namibie concernent les exploitations de matières premières (taxes, concessions et royalties). Les concessions de prospection de pétrole et de gaz ont été attribuées en Namibie aux compagnies américaines, néerlandaises et d’Afrique du Sud en premier lieu (1, 2).
  • La mise en production de la mine d’or de Navachad en 1989 en Namibie (identifiée depuis 1984) a dès 1990 permis de produire régulièrement plus de 2 tonnes d’or par an (davantage que la production actuelle de la Guyane française, 53ème producteur mondial) (1, 2). Les sociétés propriétaires d’origine étaient Erongo Exploration and Mining Company (une filiale de Anglo American Corporation dont le siège est à Londres et les principaux actionnaires sont des banques américaines telle JP Morgan Chase ; 70 %), Metal and Mining Company of Canada (20 %) and Rand Mines Exploration Company (Afrique du Sud ; 10 %). (3, 4, 5)


De la géopolitique à la politique intérieure : du pourquoi au comment

Quelques coïncidences vont venir accélérer le cours de l’histoire (1) :
  • Le ministre sud africain des affaires étrangères, Pik Botha, voit les billets d’avion sur le vol Pan Am 103 pour New York de sa délégation non confirmés au dernier moment. La délégation échappe ainsi à l’attentat de Lockerbie, et rejoint le siège de l’ONU à New York par l’avion précédent pour la signature officielle de l’accord tripartite le 22 Décembre 1988.
  • Le 18 Janvier 1989, le président sud Africain, PW Botha subit un infarctus qui l’empêche d’assister à la réunion du 20 janvier avec les Namibiens à laquelle il se fait remplacer. Il revient aux affaires le 1er Avril 1989 quand la résolution 345 des Nations Unies (période de transition de 11 mois de la Namibie vers l’indépendance) entre en vigueur officiellement.
En septembre 1989, Botha est contraint à la démission. Le premier ministre Frederik De Klerk est élu président. Il amorce immédiatement l’abandon du régime de l’apartheid. Le 2 février 1990, les partis ANC, PAC et le parti communiste (SACP) sont légalisés de nouveau. (1)
On remarquera aussi que Nelson Mandela, libéré le 11 février 1990, fait son premier voyage à l’étranger le 13 juin à New York, le 16 juin à Amsterdam et le 20 il retourne à New York (1).
En aout 1990 le gouvernement rencontre l’ANC, plus modéré que l’Inkatha Freedom Party (IFP) et demande la nomination d’un nouveau gouvernement et d’une nouvelle constitution assurant une voix pour chaque citoyen. Toutes les lois raciales relatives à la vie quotidienne des individus ( Separate Amenities Act) sont abrogées au mois d'octobre 1990 (1). Le 1er février 1991, de Klerk annonce au Parlement des réformes majeures, et notamment l’annulation des Land Acts de 1913 et 1936. (1)

Synthèse géoéconomique de l’Afrique du Sud avant 1991

On ne peut pas évoquer l’Apartheid sans mentionner le rôle joué par les sanctions économiques d’un certain nombre de pays envers l’Afrique du Sud, à la suite du fort mouvement de protestation qui ont animés leurs sociétés civiles, lequel faisait suite aux violentes répressions répétées des émeutes en Afrique du Sud, en particulier depuis 1976.
Les sanctions contre l’Afrique du Sud ont commencé à l’initiative des pays africains (Defiance Campaign). Leur effet a été nul du fait du faible poids économiques de ces partenaires.
Les sanctions économiques ont pris un nouvel essor en 1984, par des sociétés privées américaines qui se sont retirées d’Afrique du Sud (90 sociétés en 2 ans). La aussi l’effet sur l’Apartheid a été négligeable.
Est-ce que les sanctions plus importantes prises dans la foulée ont pu avoir une influence sur la transformation politique ?
La plupart des informations trouvées, notamment sur Wikipedia, l’affirment. Cela va dans le sens de la volonté de trouver un effet politique réel de la forte campagne de protestation dans les pays occidentaux. Pourtant l’étude de Hefti et Staehelin-Witt (2003) apporte des éléments beaucoup plus détaillés sur les divers types de sanctions commerciales et économiques, et sur leurs effets sur la politique du gouvernement sud-africain. La conclusion est sans équivoque :
“On ne peut attribuer aux sanctions économiques qu’une modeste contribution au processus, dans le meilleur des cas. De Klerk n’a pas subi, de la part de la population blanche, de pression en vue de céder aux exigences des pays sanctionnants. C’est ainsi qu’une enquête portant sur l’effet des mesures économiques dirigées contre l’Afrique du Sud (autrement dit, outre les sanctions économiques, le blocage des crédits de 1985, lequel a débouché sur la crise de la dette, la campagne de désinvestissement et le boycott par l’étranger de certains produits sud-africains, et en particulier des produits agricoles), a montré qu’en 1989 encore, malgré ces mesures, la population restait opposée à la suppression de l’apartheid. De même, une majorité n’aurait pas voulu céder à des sanctions économiques renforcées.”
Cette affirmation est aussi confortée par l’analyse de l’effet des sanctions sur la fuite nette de capitaux hors de l’Afrique du Sud (1) :
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Les fuites de capitaux en 1985 n’ont pas atteint un seuil très différent des minimums auparavant observés.

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Pourtant cette année a connu la « crise de la dette sud Africaine » (refinancement de la dette court terme du pays) immédiatement suivie par le credit crunch des banques américaines sur les attributions de nouveaux prêts dans ce pays, puis par une loi votée par le Congrès américain. La devise a perdu de sa valeur ce qui a accentué les difficultés économiques du pays. Mais la banque centrale sud africaine a limité les effets en imposant fin 1985 une monnaie virtuelle « le Rand financier » pour les sorties de capitaux par les autres pays. (1, 2)

La démographie de l’Afrique du Sud

Le premier fait frappant dans la société de ce pays réside dans l’hétérogénéité spatiale des ethnies, résultat de longues années de séparation géographique par ségrégation, et inchangée dans les cartes issues du recensement de 2001 (1) :

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On aurait tort de croire cependant que les groupes ethniques étaient parfaitement séparés. Les données de 1996 montrent qu’il n’y a pas de province où les Blancs soient totalement absents :

Eastern
Cape
Free
State
Gauteng Kwazulu-
Natal
Mpuma-
langa
Northern
Cape
Northern
Province
North
West
Western
Cape
South
Africa
African / 
Black
86.4 84.4 70.0 81.7 89.2 33.2 96.7 91.2 20.9 76.7
Coloured 7.4 3.0 3.8 1.4 0.7 51.8 0.2 1.4 54.2 8.9
Indian / 
Asian
0.3 0.1 2.2 9.4 0.5 0.3 0.1 0.3 1.0 2.6
White 5.2 12.0 23.2 6.6 9.0 13.3 2.4 6.6 20.8 10.9
Unspecified /
Other
0.6 0.4 0.8 0.8 0.6 1.5 0.7 0.5 3.1 0.9
Total 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0 100.0
Le deuxième fait marquant est la différence de traitement social que recoivent les diverses ethnies, et qui se traduit par le taux de chomage :


On est donc amené à se poser la question du rapport numérique entre les populations, et leur évolution dans le temps. Il apparaît clairement que la proportion de la population blanche diminue très rapidement, comme déjà noté dans ce rapport statistique de 1986 : « the Whites have shown the lowest growth rate of all the population groups for the last 6 years ». C’est même un effondrement puisque le taux de croissance est divisé par 2 :
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On peut même tracer cette chute dans les données statistiques remontant jusqu’à 1960. Cette tendance continue à être bien présente pour toutes les tranches d’âge de la population (Age distribution in five-year intervals by population group ; données de 1996)

 image

Les colonnes additionnelles notées « P% » indiquent la proportion de la population pour chaque groupe ethnique et ayant moins de 70 ans, moins de 55, moins de 40, moins de 25 et moins de 10 ans. Les blancs passent de 10 à 6 %.
Cette pression démographique à la baisse pour les Blancs, bien qu’elle soit le résultat de plusieurs facteurs (émigration des Blancs à l’étranger surtout après 1991, taux de fécondité plus faible et en rapport avec leur situation socioéconomique, inquiétude due à la criminalité…) ne peut également manquer d’être analyser comme un échec annoncé du développement séparé, et harmonieux, de la société blanche.

Eléments clés de l’anticipation politique

L’influence des USA (et en particulier de ses banques) sur la fin négociée et rapide de l’apartheid a bien été déterminante. En effet la stabilité sociale de l’Afrique du Sud était d’un intérêt national vital pour les USA, pour les raisons géostratégiques, géo économiques et démographiques que nous avons évoquées
La citation suivante résume la doctrine de l’anticipation qu’il était possible de produire avant 1991 :
The U.S. has a vital national interest in preventing a further escalation of violence, confrontation, and economic impoverishment in Southern Africa. If sanctions on investment and trade with South Africa are broadly supported in the Western world, they could trigger catastrophic consequences for the eighty million people in the seven African countries dependent on South-Africa for food, trade routes electricity, and other necessities. In short, sanctions policies that promote further disorder in South Africa could have a profound residual impact of causing the Ethiopianization of all of southern Africa.” (1)


[Annexe 1]

Cette répartition géographique de l’Afrique du Sud a favorisé la permanence de langages multiples :

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South Africa municipalities by language
Lighter shades indicate a non-majority plurality. Data from the 2001 census

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[Annexe 2] Les principales lois d'apartheid

 1949
§ Loi sur l'interdiction des mariages mixtes (Prohibition of Mixed Marriages Act)
1950
§ Loi d'immoralité (Immorality Act) pénalisant les relations sexuelles entre Blanc et non Blanc.
§ Loi de classification de la population (Population Registration Act), distinguant les individus selon leur race.
§ Loi de suppression du communisme (Suppression of Communism Act), permettant d'interdire tout parti politique catalogué comme communiste par le gouvernement.
§ Loi d'habitation séparée (Group Areas Act) répartissant racialement les zones urbaines d'habitation.
1952
§ Loi sur les laissez-passer (Pass Laws Act) faisant obligation aux Noirs ayant plus de 16 ans d'avoir sur eux un laissez-passer en l'occurrence un document ressemblant à un passeport qui stipulait s'ils avaient une autorisation du gouvernement pour être dans certains quartiers.
1953
§ Loi sur les commodités publiques distinctes (Reservation of Separate Amenities Act) ségrégant les toilettes, fontaines et tous les aménagements publics.
§ Loi d'éducation Bantoue (Bantu Education Act), concernant le programme scolaire des Noirs.
§ Retrait du droit de grève aux travailleurs noirs, interdiction de la résistance passive.
1954
§ Loi de relocalisation des indigènes (Native resettlement Act) : permet de déplacer les populations noires vivant en zones déclarées blanches.
1956
§ Loi sur le travail et les mines (Mines and Works Act) formalisant la discrimination raciale dans le monde du travail.
1959
§ Loi sur la promotion de gouvernements noirs autonomes (Promotion of Bantu Self-Government Act) créant les bantoustans sous administration des non Blancs.
1970
§ Loi de citoyenneté des Noirs des homelands (Black Homeland Citizenship Act) retirant la citoyenneté sud-africaine aux Noirs issus de communautés ethniques relevant de bantoustans déjà créés.
1974
§ Décret sur l'Afrikaans obligeant toutes les écoles, mêmes noires, à dispenser en afrikaans tous les enseignements de maths, de sciences sociales, d'Histoire et de géographie du niveau secondaire.
1976
§ Loi sur l'interdiction aux Noirs de l'accès à la formation professionnelle.